Le retour au lac secret aux bœufs qui gobent

fario lac

Les randos-pêche en lac d'altitude ont suscité un intérêt majeur durant ma jeunesse de pêcheur de truite. A 14 ans à peine, j'écumais déjà les vallées des Pyrénées centrales avec mon plus vieil ami pêcheur, l'immense (au sens propre comme au sens figuré) Alexandre Miette. Nos sorties consistaient alors à lancer et relancer un vairon mort manié, du matin au soir, dans une prospection stakhanoviste de type "un lancer trois pas".  Nous étions déjà des esthètes de la discipline, suivant fidèlement les préceptes de notre maître (un certain pêcheur hydrobiologiste répondant aux initiales OP et dont la tête a été mise à prix dans le cercle des moucheurs) : 18/100 max, plombée interne de 2gr pour une action planante à souhait, 2 triples fins de fer de 18, et prospection méthodique de bordures en toute discrétion. 

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Puis, la fainéantise et le purisme grandissant avec les années, nous sommes rapidement passés à la mouche artificielle, plus pratique à mettre en oeuvre et pas tellement moins productive pour la truite et le saumon de fontaine. Les grandes possibilités de pêche à vue qu'offre l'eau cristalline des lacs d'altitude nous ont fait basculer. Nous étions devenus, sans nous en rendre compte, des moucheurs... 

Mon engouement pour ces biotopes a persisté durant de longues années, où mon leitmotiv aurait pu se résumer de la façon suivante : "marcher toujours plus longtemps pour fuir les touristes des plaines et trouver des poissons toujours plus idiots".  
Puis au début des années 2010, avec mon départ forcé pour les Alpes du sud, ma motivation s'est brutalement émoussée. Serait-ce ma nouvelle et grandissante passion pour les différentes déclinaisons de la mouche en eaux vives, ou le piètre intérêt halieutique des lacs de la région par rapport à leurs homologues pyrénéens (sans aucun chauvinisme évidemment), toujours est-il que la fréquence de mes excursions en milieux lacustres d'altitude a inéluctablement diminué à partir de ce moment là.

La flamme s'est ravivée de manière totalement fortuite l'an dernier, en juillet précisément, lorsque mon ami Quentin et moi avons découvert, au cours d'une banale errance estivale, un plan d'eau absolument extraordinaire. Les plus curieux pourront toujours consulter le récit de cette mirifique rencontre en tapant "lac secret aux bœufs qui gobent" dans google. Une fois chassé la culpabilité d'avoir balancé pour ce faire 7gr de CO2 dans une atmosphère qui n'en manquait déjà pas, vous aurez le loisir de lire des élucubrations de ce type sur le blog moribond d'une célèbre marque anglaise de pêche à la mouche qui eut, il y a quelques années, la bonté de me sponsoriser. Bref, trêve de discours égocentrique, revenons au bord de l'eau.

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Je disais donc un lac extraordinaire. Extraordinaire pour les poissons qu'il abrite en premier lieu, des truites farios de souche méditerranéenne, plutôt grosses (je le précise d'emblée puisque c'est le critère désormais consacré) mais également (et surtout dans ma grille personnelle), sauvages et belles... En effet, nous avions déniché une forme de vie salmonicole naturelle presque miraculeuse, dans un milieu d'ordinaire plutôt caractérisé par des alevinages héliportés de poissons importés d'Outre Atlantique. J'ajouterai enfin "mystérieuses", dans la mesure où elles subsistent dans ce biotope grâce à je ne sais quel miracle de la nature. Pour le repro-septique qui m'habite, cela reste toujours l'objet d'un questionnement intime. Comment diable font ces truites pour pérenniser leur population dans un habitat si peu compatible avec leurs exigences écologiques ? quel subterfuge utilisent-elles pour subsister là, depuis sans doute plusieurs décennies ? Bon, au final, une fois là-haut, ces questions frivoles disparaissent vite... Les truites sont là, elles gobent, ça suffit non ?

En réfléchissant bien, ce lac concentre tous les ingrédients imaginables qui sont susceptibles de vous transcender dans l'approche lacustre montagnarde : une offre mêlant pêche à vue, majoritairement en surface (s'il vous plaît !), avec tout de même, histoire de valoriser chaque ferrage, une réelle nécessité de stratégie de pêche. Ce degré d'exigence est liée à une relative sélectivité et sournoiserie des poissons. Je trouve cette recette parfaite : ni trop facile à réaliser, ni totalement hermétique. L'écosystème dont il est question est en effet relativement riche, ce qui calme vite les ardeurs alimentaires de nos farios locales et fait sacrément pencher la balance du côté de la sélectivité, au détriment de l'opportunisme.

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En ce mois d’août 2018, la sortie planifiée depuis l'hiver se concrétise enfin. Quentin, qui a passé plus de temps sur des skis ou le cul sur une selle que dans ses waders depuis le début de la saison (on n'a que les amis qu'on mérite...) , est aussi euphorique que son idole Kylian Jornet lorsqu'il est torse poil au sommet du Mont Blanc. Je constate sa motivation à mes dépends durant la montée pédestre, le voyant sautiller de cailloux en cailloux, alors que j'ahane laborieusement plusieurs lacets en dessous. La tendance est alors grande de me replonger avec nostalgie dans un passé pas si lointain où je parvenais à dompter de la sorte les sentiers les plus pentus. Mais je réalise que mon nouveau rang social, couplé à mon inquiétante avancée en âge, ne risquent surement pas d'améliorer mon endurance déclinante...

Je ne vais pas me lancer dans une description détaillée de notre séjour. Ce serait trop laborieux, autant pour vous que pour moi, surtout quand on sait l'avidité avec laquelle les lecteurs se ruent sur les photos lors de la publication d'un article comme celui-ci, négligeant souvent totalement le texte, surtout quand il s'agit de la prose barbante d'un rédac' chef déprimé à l'approche de l'automne. 

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Bon, pour faire simple, ce séjour a confirmé plusieurs choses entrevues l'an dernier et notamment l'une de mes théories personnelles totalement empirique (et très certainement fumeuse, j'en conviens) selon laquelle les truites de souche méditerranéenne de lac d’altitude s'alimentent d'avantage en présence de hautes pressions et de fortes chaleurs. Il fallut attendre les moments de ce type pour revivre l'état de grâce de l'été dernier. Toutefois, nous prîmes réellement conscience que la population de ce lac n'est pas démesurée et la densité de poissons probablement faible. Ainsi, promener ses mouches au petit bonheur la chance dans ce type de pièce d'eau risque de vous conduire d'avantage à la tendinite qu'à la photo souvenir. Nous avons donc rapidement pris le parti de ne pas perdre trop d'énergie dans les pêches de vagues au sedge dragué ou en noyée (techniques se révélant porteuses lorsque les rangs de truites sont suffisamment serrés) pour se concentrer sur les pêches à vue. Evidemment, ceux qui pratiquent cette techniques savent à quel point elle vous rend vulnérable aux conditions climatiques... alors quand on opère en altitude, où la météo change en l'espace d'une poignée de minutes, je vous explique pas la galère. La galère, il en fut question cette année. Rassurez vous, je ne vais pas tomber dans le poncif évoquant une pêche "dure" (notion chère à ce cher Pierre Pommeret) mais durant laquelle nous avons tiré notre épingle du jeu grâce à notre science de la pêche en lac, à un choix parfait de mouches...etc etc. Non, d'autant que la réalité est toute autre : en vrai, on en a chié grave face à ces maudites truites, alternant frustration intense à cause de la furtivité de leurs phases d'alimentation et impuissance au moment du choix de la mouche. Dès qu'un semblant de logique pointait le bout de son nez au niveau de la taille, de la couleur ou de la hauteur de flottaison prenante, 2 ou 3 poissons plus tard, tout était remis en question. Je pense pouvoir affirmer que j'ai pris lors de ce séjour plus de refus que durant toute ma carrière de moucheur réunie. Si la juxtaposition de photos dans un tel report peut faire frémir plus d'un lecteur, il faut bien garder à l'esprit que le ratio poisson attaqué / poisson pris confine au ridicule dans notre cas. Toutefois, notre ténacité (on retiendra un mythique aller/retour à la voiture en plein cagnard pour aller chercher l'étau et quelques herls de condor, quand nous avions encore la naïveté de croire à l'existence potentielle d'une mouche miracle en début de séjour) nous permit d'être présents dans les moments fastes, lorsque les poissons baissaient un peu la garde, pour notre plus grand bonheur :

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Cette sortie était la session incontournable de ma saison 2018 et plusieurs semaines après, je frissonne encore en repensant à ces poissons qui peuplent ce lieu béni.
Le lac secret offrira encore une qualité de pêche exceptionnelle tant qu'il restera confidentiel. Mettez-y une poignée de gugus supplémentaires chaque année et vous anéantissez tout l'intérêt halieutique du coin (je n'imagine même pas l'effet produit par du prélèvement dans un tel plan d'eau). Il m'a d'autant plus ravi cette année que j'ai pu constater, non sans une certaine jouissance interne, la totale inefficacité du poisson nageur à cette période de la saison. Il va sans dire que mon inflexible déontologie m'interdit de balancer du plastique vibrant pour leurrer ces beautés naturelles, et que c'est mon jeune et hérétique compagnon qui fut chargé de cette veule besogne...  Pas de doutes, on reviendra l'année prochaine :)

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A propos de l'auteur

Simon est né dans le département du Gers et a découvert la pêche à l'âge de 10 ans. Bien qu'initialement éloigné des rivières pyrénéennes qui lui sont chères…