Rivière, truite, pêcheur et fée électricité : Tous électrivores (1/5)

hydroélectricité

Soyons francs, l’hydroélectricité n’a pas bonne presse chez les pêcheurs de truites. Nous n’aimons pas beaucoup les barrages, les tronçons de rivière avec des débits réduits ou des variations intempestives de niveaux. Actuellement, rares sont les projets de création de centrales hydroélectriques qui ne soulèvent pas opposition, indignation, voire pétition de la part des pêcheurs. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les seules règles environnementales s’appliquant aux centrales hydroélectriques, à savoir le maintien d’un minimum d’eau dans la rivière, étaient initialement contenues dans la loi pêche de 1984.

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Une fois fait ce constat, je pourrais me lancer dans une suite de chroniques dans lesquelles j’énumérerais tous les impacts de l’hydroélectricité sur les cours d’eau, les aberrations financières qui entourent la tarification de la production, une liste de toutes les mauvaises pratiques volontaires ou non des producteurs, bref, je pourrais facilement avoir l’assentiment de tous les lecteurs, mais, ferais-je vraiment avancer la réflexion de chacun et le débat ? Je n’en suis pas convaincu. C’est pour cette raison, que j’ai décidé d’aborder ce délicat sujet de l’hydroélectricité et de la vie des cours d’eau en essayant d’apporter un maximum d’informations, de données et de constats afin que tout un chacun puisse se faire une opinion la plus éclairée possible sur ce sujet.

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ligne haute tension
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L'électricité, un vecteur d'énergie ubiquitaire

Si aujourd’hui, certains se passent de viande, d’autres de voitures, combien d’entre nous ne consomment pas d’électricité ? Bien peu il me semble, en tout cas, je n’en ai encore jamais croisé. En un peu plus d’un siècle, la fameuse fée électricité a envahi tous les foyers, les lieux de travail, les espaces publics. En s’intéressant à elle, j’ai bien conscience de traiter d’un sujet capital pour le fonctionnement actuel de nos sociétés industrialisées. D’ailleurs si d’aucun envisage l’arrêt de l’usage des énergies fossiles, je n’ai encore jamais entendu quelqu’un évoquer un quelconque arrêt de la production d’électricité. Ce n’est pourtant pas qu’elle ne soit pas dangereuse pour l’homme. Si vous avez le malheur, par accident, de vous retrouver au cœur d’un circuit électrique entre 2 fils et que votre corps sert de conducteur, votre organisme ne va pas aimer du tout. Dans un registre moins dramatique, il n’est pas spécialement conseillé de vivre à proximité d’une ligne à haute tension ou d’un alternateur de forte puissance. En effet, la production et la circulation d’électricité émet des champs électro-magnétiques qui peuvent affecter la santé. Mais, au sein de nos habitations ou de nos lieux de travail, les circuits qui nous approvisionnent en électricité semblent, à priori, peu nocifs pour la santé.

Voilà donc le décor planté, je suis face à un bien que nous consommons tous quotidiennement pour des usages dont nous ne sommes pas prêts de nous passer. La question actuelle n’est donc pas de savoir si nous allons arrêter de consommer de l’électricité mais avec quelle source d’énergie nous devons la produire.

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Quelques chiffres sur la consommation d'électricité en France

Dans cette 1ère chronique, nous allons nous plonger dans les méandres de notre consommation. Premier élément clé, le langage commun. En énergie, l’unité de base permettant de quantifier les puissances produites ou consommées est le Watt, du nom d’un scientifique écossais (James Watt) dont l’histoire nous dit que les avancées sur les machines à vapeur lui furent inspirées en parcourant les bords de la rivière Clyde. De là à penser qu’il y pêchait le saumon, il n’y a qu’un pas que je ne franchirais pas. Pour éviter d’accumuler rapidement les 0, on parle de kilowatts (1000 watts), de mégawatts (1000 kW), de gigawatts (1 million de kW) et de térawatts (1 milliard de kW). C’est à cette échelle que se situe notre consommation d’électricité en France avec une moyenne de 485 TWh/an pour les 10 dernières années (485 milliards de kWh). En 50 ans, notre consommation a été multipliée par 5 de 60 TWh/an dans les années 1960, à 250 TWh/an dans les années 1980, 400 dans les années 1995. Avec 7 000 kWh/an/habitant, nous sommes 2 fois au-dessus de la consommation moyenne mondiale mais en-dessous d’un américain « moyen » qui avale 12 000 kWh/an pour satisfaire ses besoins.

La part des ménages dans cette consommation est d’environ 30% ( 17% pour l’industrie). Une maison construite scrupuleusement selon les normes de 2012 consomme 2 à 3 fois moins qu’un pavillon des années 1990. Avec une moyenne de 300 000 nouveaux logements par an, si, depuis les années 2000, nous avions privilégié l’isolation plutôt que la piscine extérieure et la cuisine aménagée, nous aurions pu économiser l’équivalent de la production d’un réacteur nucléaire, de 500 centrales hydroélectriques ou de 1000 éoliennes.

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électricité france
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électricité hypermarcher
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La palme de la consommation pour le secteur tertiaire

Au-delà des habitations, c’est actuellement le tertiaire (bureaux, commerces) qui représentent plus de la moitié de la consommation. Un « joli » centre commercial, consomme 20 fois plus par m² qu’une maison individuelle. Nos 66 millions de m² de centres commerciaux en tout genre consomment plus de 50 TWh (12% de notre consommation totale) soit l’équivalent de 80% de la production hydroélectrique, de 7 réacteurs nucléaires ou de 5 000 éoliennes. Donc, à chacune de nos incursions dans ces temples de la consommation pour acheter des biens qui, pour 80% d’entre eux ont déjà parcourus plusieurs milliers de km, nous participons activement à valoriser ce mode de commerce très énergivore. En sachant que 2 millions de m² sont construits chaque année sur notre territoire, ce sont 3 nouvelles éoliennes ou une centrale hydroélectrique qu’il  faut chaque année pour satisfaire nos besoins de consommation effrénée.

Autre exemple de consommation « utile », les enseignes commerciales. Elles consomment 2 milliards de kWh (100 centrales hydroélectriques). Il aura fallu attendre 6 années pour qu’un décret de 2012 qui prévoit l’extinction de ces points lumineux d’1h à 6h du matin soit enfin appliqué, ce qui devrait permettre d’économiser 1 TWh (50 centrales hydroélectriques). Quel courage politique il aura fallu pour un tel résultat ! Nous n’osons pas imaginer le même texte prévoyant l’interdiction de tout affichage publicitaire lumineux… Peut-être qu’en 2050, nos villes et villages seront enfin plongés dans l’obscurité la nuit.

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voiture électrique
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La voiture électrique, coup de grâce pour nos rivières ?

Dernier point de prospective, les fameux véhicules électriques si chers à tous les bien-pensants de la lutte contre le réchauffement climatique. Si nous nous lançons dans l’aventure du tout électrique, voilà la facture à régler :

Avec 725 milliards de km/an effectués par tous nos véhicules personnels et commerciaux et 16 milliards de km/an par les camions, une perspective de consommation de 20 kW/100 km pour les véhicules et 100 kW/100 km pour les camions, il nous faudra produire 160 TWh de plus soit une augmentation de 35% de notre consommation actuelle (21 réacteurs nucléaires, 7 000 centrales hydroélectriques et 16 000 éoliennes). Alors si les Zoé, Leaf et autres I Pace venaient à remplacer nos Méganes, C4 et autres Berlingos et que nous voulions sortir du nucléaire, je ne donne pas cher de nos dernières rivières non équipées… Mais c’est une autre histoire que je vous conterai à ma prochaine chronique !

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Découvrez la suite de notre dossier "Comment les rivières,  les truites et les pêcheurs cohabitent-ils avec la fée électricité ?" :

Part 2 : Et au milieu fissionnait l'atome

Part 3 : Les modifications des habitats

Part 4 : Les impacts sur les espèces

A propos de l'auteur

Philippe Baran est né en 1968 à Bourges. Il a passé ses jeunes années avec son frère les pieds dans les petits ruisseaux de la Champagne Berrichonne et de la Loire. Il a…