Les mouches sèches de l'ouverture

mouche sèche truite

Nous y sommes presque! Le mois de Mars déboule à peine et depuis quelques semaines déjà, le coeur et l'âme en ébullition, nous, les pêcheurs de truites, sortons peu à peu de notre période d'hibernation. Certains parmi nous, ont trompé l'ennui en se livrant avec obstination à la pêche en seconde catégorie ou en réservoir. D'autres, dont je suis, ont préféré mettre à profit cette période d'abstinence pour digérer la saison précédente, tirer des enseignements nouveaux, refaire leurs boîtes à mouches et peut-être (on peut rêver!) se fixer des objectifs dans la perspective de la saison qui vient.

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Faire son ouverture en sèche est avant tout un parti-pris, une décision qui est de l'ordre de l'intime. Je constate que presque tous les pêcheurs à la mouche ont désormais des notions de pêche en nymphe et si la finalité est de prendre du poisson coûte que coûte et en plus grand nombre, c'est vers cette technique là qu'il faudra se consacrer, chacun voit midi à sa porte... le but n'est pas non plus de finir frustré.

Mais pour aborder les choses sereinement il faut donc avoir validé certaines étapes dans son approche de la pêche, en premier lieu d'être totalement détaché du résultat...et ça avec l'instinct de prédateur enfoui au plus profond de nous tous, c'est bien plus facile à dire (et même à écrire!!!) qu'à faire. A titre personnel, 4 à 6 truites prises en sèche dans les règles de l'art me procurent plus de satisfaction que le triple pris en nymphe en peignant méthodiquement le moindre courant. Mais je ne condamne pas cette technique, loin s'en faut, car il y a des conditions qui sont contraires à une pêche en sèche cohérente et on sera dés lors bien inspiré de changer de technique et de pêcher "sous l'eau"... et puis je vous le confesse ici : il m'arrive aussi de craquer!!!

Je vais de ce pas m'adresser ici aux aventureux, aux courageux, aux esthètes et aux rebelles qui souhaitent faire leur ouverture en mouche sèche.

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Pascal Martin
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Au coeur des Pyrénées où j'ai mes habitudes, le mois de mars permet beaucoup plus de possibilités que l'on pourrait l'imaginer de prime abord.

Pour aller à l'essentiel quand au choix de la mouche puisque c'est de cela dont nous allons parler, nous "savons" que nous pouvons rencontrer 4 catégories d'insectes : des Olives, des Chironomes, des Plécoptères et... si on a de la chance (!) des March Brown !

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truite fario
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Anticiper la présence de ces insectes nous permettra de rentrer plus vite en situation d'efficience et de faire un choix de mouche plus sur. Je rappelle qu'une des clefs de la réussite (et plus particulièrement en mouche sèche!) pendant le mois de mars demeure une bonne gestion du temps... n'en perdons pas !!! Chaque minute compte, l'activité des truites est très circonscrite dans le temps

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Pêche mars
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Baetis
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Baetis Rodhani subimago femelle
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Les olives : 

Emblématiques éphémères du début de saison, on dénomme "olives" les subimagos de plusieurs espèces de baetidae. La plus connue et la plus représentative est l'espèce "Baetis Rodhani" (Large Dark Olive), mais d'autres espèces peuvent aussi co-exister à ce moment là, je pense en rencontrer au moins deux...peut-être trois, mais je suis bien incapable de déterminer l'espèce à coup sur, l'état de subimago ne le permettant pas d'ailleurs... Qu'à cela ne tienne, ces baetis sont très proches par leur aspect, une même imitation vaudra pour tout les baetidae rencontrés en cette période d'ouverture. Tout au plus sera-t-il judicieux de posséder des modèles aux tons et aux tailles légèrement (très légèrement) variés.

Ce sont des éphémères de taille moyenne (14 à 16), ils possèdent 2 cerques assez clairs. L 'abdomen brun-olive terne finement segmenté de beige-clair. Leurs ailes sont gris-bleuté fumé et opaques. Les ailes postérieures, minuscules, sont difficiles à discerner à l'oeil nu... et quand on pense que c'est l'étude des ramifications intercalaires de ces mêmes ailes qui est une des clefs de détermination des baetidae entre eux, rendez vous compte de l'ampleur de la tâche !!!!!! Le thorax est plus sombre avec des touches ocres et les pattes d'un jaune-sale assez clair et translucide. Les monteurs de mouche exigeants auront à coeur de considérer l'aspect de leurs imitations en tenant compte de la façon dont la truite est amenée à voir leurs proies, c'est à dire par en dessous !!!

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Large olive quill
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Large olive quill
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baetis
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On se rendra compte notamment que le partie ventrale de l'abdomen est toujours plus claire que l'impression générale que donne l'insecte et que le thorax révèle parfois des contrastes insoupçonnés. Je crois qu'il est vraiment intéressant de tenir compte de cela.

Les grandes plages au courant régulier et de profondeur moyenne sont les plus propices et les plus colonisées par nos "Olives". Leurs nymphes, excellentes nageuses s'activent dés midi et excitent les truites qui à ce moment là gagnent leur postes de chasse. L'émergence débute rituellement en milieu de journée, de préférence les jours gris et humides.

Si dans la même journée une émergence de "March Brown" se produit, celle-ci précède l'arrivée des "Olives"... qui elle s'étale un peu plus dans l'après midi. Un temps chaud pour la saison, le vent d'Autant (sud) sont de mauvaise augure pour espérer réussir avec le concours des "Olives". La pluie, un léger vent du nord même, sont de bons signaux.

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contenu stomacal
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Contenu stomacal lors d'une éclosion d'olives
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truite baetis
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Plus l'air est humide, qui plus est si le vent est absent, plus nous auront le loisir d'observer la lente dérive des subimagos. Si la même zone est bien peuplée en truites, il y a de grande chance pour que ces dérives soient interrompues par de jolis gobages, bien réguliers. Ce scénario rêvé est celui d'une "pêche facile", ce n'est cependant pas toujours le cas... si la plupart des truites attablées sont assez sensibles à un modèle de base classique, il est fréquent de traverser des périodes de refus. Il faut alors analyser la situation sans caler nos truites en les assommant à maintes reprise de notre mouche si justement ignorée. On gagne souvent un temps précieux à changer de modèle.

En cours d'émergence, la truite peut, pour des raisons bien mystérieuses, modifier sensiblement son menu et se révéler sélective. Les subimagos si franchement gobés juste avant sont tout à coup délaissés, ignorés...notre poisson prends désormais l'insecte pendant son passage de nymphe à subimago, ce que nous, pêcheurs appelons "l'émergente"... parfois même c'est la nymphe montante qui est prise et qui provoque une autre forme de gobage d'ailleurs, plus appuyé... souvent les beaux sujets. Dans ces deux cas il faudra avoir recours à des imitations un peu plus adaptées.

Un grand classique, le grand remède en vérité, c'est d'avoir comme réponse à cette situation la "Gold Ribbed's Hare's Ear"... mouche plus connue en France sous l'appellation "Oreille de Lièvre". C'est une mouche qui fait des miracles lorsqu'elle est bien montée et justement utilisée. L'oreille de lièvre ne nécessite que très peu de matériel (du fil, divers poils de lièvre, un brin de tinsel or plat, rien de plus), tous les monteurs la connaissent, mais fort peu en maîtrisent réellement le dressage. C'est en effet un modèle que je trouve fastidieux et difficile à réussir malgré son apparente simplicité.

A ce titre, le surdoué Cyril Bailly avec toute la rigueur et la précision qui le caractérisent, monte des oreilles de lièvre comme personne, on peut s'inspirer de ses dressages, c'est vraiment la classe !

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 Gold Ribbed Hare's Ear par Cyril Bailly
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Gold Ribbed Hare's Ear par Cyril Bailly
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Laissez moi vous raconter une anecdote. C'était fin mars 2009 sur le Lez près d'Engomer par un joli après midi bruineux et je pêchais ce jour là accompagné de mon grand ami Jean-Yves Fourest. Les olives étaient bien là, en train d'émerger, de dériver....et de se faire très régulièrement happer par des truites plutôt décidées. Le Lez est suffisamment large à cet endroit, nous pêchions donc une rive chacun et les truites étaient aussi bien réparties de son côté que du mien.

J'essayais de nombreux modèles de duns ainsi que mes meilleures émergentes. Je crois bien même me souvenir avoir essayé une nymphe légère du style de Skues mais je ne prenais aucune truite, elles ne se déplaçaient même pas pour venir refuser. Deux ou trois truitelles mis à part, le dédain des truites à mon égard était total, et c'est toujours humiliant surtout lorsque l'on pêche avec un ami n'est-ce pas...?

Pendant que je calais toutes les truites, Jean-Yves, impérial, enchaînait les victimes à un bon rythme, l'air franchement épanoui.

Agacé, il fallait quand même que je sache quelle était donc cette mouche secrète nouée à son bas de ligne...

- "Une Oreille de Lièvre!!!" Me hurla-t-il.

J'avais tout essayé sauf ça !!! ... Quelle suffisance !...Résigné, je nouais à mon tour la célèbre mouche à ma pointe avant d'attaquer mon dernier gobage, la dernière truite que je n'avais pas encore effrayé. Je pris ce poisson au premier passage... 22 centimètres, c'était risible. Mon ami lui, avait pris 8 belles truites et j'aurais pu en faire autant si j'avais été aussi malin que lui ce jour là.

Voici ce qu'il arrive lorsque l'on oublie les "principes".

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March Brown
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Les March Brown :

L'autre éphémère important auquel on peut avoir affaire est la March Brown. Afin de ne pas être redondant, je vous renvoie à la lecture de l'article spécifique publié ici en février 2018 (voir l'article). Il contient tout ce que j'avais à dire à propos de cet insecte et de la pêche qui en découle. La présence de ces deux types d'éphémères n'a jamais été systématique mais plus les saisons passent et plus les journées sans "éclosion" se font jour. Heureusement d'autres insectes volants pour lesquels nos poissons témoignent d'un réel intérêt sont bel est bien là pour nous tirer d'affaire.

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Brachyptera
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Brachyptera
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Les Plécoptères :

Essentiellement représentés par la famille des Taeniopterygidaes en cette saison, ce sont des plécoptères de taille moyenne (14 à 16) de couleur dominante grise. Les plus représentatifs sont les genres Taeniopteryx et Brachyptera, ce sont ceux que je prends comme références pour le montage des mouches de cette famille. Ce sont aussi les insectes les plus constants en tout début de saison, rares sont les jours on l’on ne les rencontre pas. En l’absence d’éclosion d’éphémères, les truites les prennent franchement. Il sera donc primordial d’avoir un ou deux modèles cohérents de cette famille d’insectes.

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 Taeniopteryx
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Taeniopteryx
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plécoptère
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Festin de plécoptères
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Le grand avantage des plécoptères à vrai dire, c’est que leur présence se repartit presque tout au long de la journée, ce qui permet de pêcher l’eau avec une certaine confiance, alors que les éclosions d’éphémères (si elles se produisent !) sont très circonscrites dans le temps et en milieu de journée seulement.

Je n'ai jamais eu l'opportunité d'observer par moi-même le passage de nymphe à imago en ce qui concerne ces petits plécoptères et j'aurais donc bien du mal à vous décrire cette phase. En revanche j'ai remarqué que leur façon caractéristique de voleter à la surface de l'onde (parfois sur plus d'un mètre!) excitait au plus haut point les truites. Ils donnent l'impression de "courir" sur l'eau ! j'ai vu tant de truites gober cet insecte dans ce type de situation que j'en ai tiré la conclusion qu'il me fallait mettre au point un modèle très vivant, qui donne cette impression de mouvement et de "fuite".

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February red
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February red
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J'ai conçu il y a une dizaine d'années un modèle personnel à 4 ailes en m'inspirant d'une idée que Jean-Louis Poirot avait eu bien avant moi...ne modifiant que quelques menus détails à son dressage.

Lorsque l'on observe ces insectes voler à contre jour, on perçoit bien le brun-rouge (parfois même franchement orangé sous certains éclairages plus vifs) de l'abdomen, ce qui lui vaut son nom... En effet, le nom usuellement donné à l'artificielle censée représenter le genre taeniopteryx est "February Red". C'est une mouche à laquelle je voue un véritable culte tant elle m'a rapporté de truites au long des saisons, j'adore cette mouche !

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truite pleco
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 Leuctra
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Leuctra
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On risque aussi de rencontrer une autre forme de plécoptère : de petites espèces (18 à 20), toutes fines, de couleur gris anthracite aux reflets violâtres et dont les ailes semblent enroulées le long du corps. Il s'agit de leuctridae et je les vois apparaître plus massivement dès le mois d'avril. Autant les leuctridae de fin de saison (Leuctra Geniculata/ Needle Brown) ont un impact terriblement significatif sur les truites, autant celles du début de saison (Leuctra Hippopus) semblent bien indifférentes aux yeux des poissons, tout du moins à l'état imaginal... je n'ai jamais observé cet insecte dans les contenus stomacaux et je n'utilise donc pas une imitation spécifique pour les représenter.

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chiro
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Chironome du début de saison
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Moucherons et chironomes :

Selon les années en Mars, le niveau des rivières pyrénéennes est encore très bas si l'hiver a été froid et que la fonte des neiges n'a pas encore commencé.

Il y a aussi les parties captées (voire très captées hélas !!!), des rivières où l'eau est toujours trop basse et où le biotope a négativement évolué au fil du temps et dans lesquels les insectes révélateurs du bon état écologique du milieu ont pratiquement disparu.

Si la rivière est restée basse tout au long de l'hiver, le substrat se sera sans doute assombri d'une fine couche organique sur tout le fond du cour d'eau ce qui est assez annonciateur de la présence de chironomes.

Peut-être alors serons-nous mis en présence de petits chironomes clairs ou parfois de petits diptères noirs. Dans la plupart des cas, il s'agit d'une pêche matinale, dés que le soleil commence à "taper sur l'eau" aux environs de 10h. On peut s'attendre alors à voir voler ces petits chiros clairs. On peut aussi au même moment observer des truites postées dans très peu d'eau, dans des zones calmes. Si elles gobent, c'est de façon très discrète, semblant pincer la surface du bout du museau. Il s'agit toujours d'une pêche à vue, palpitante et émouvante.

 

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Chiro montage rustique
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Chiro montage rustique
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Les truites semblent s’intéresser à ces insectes à tous leurs stades de développement… mais très souvent la pêche est difficile, notamment lorsque les truites prennent les nymphes (pupes) juste avant la mue définitive en insecte parfait… Parfois aussi les imagos de certaines espèces « patinent » maladroitement sur l’eau, traînant avec eux un morceau de leur enveloppe nymphale. Très certainement des proies privilégiées des poissons sélectifs… il faudra donc réfléchir à des modèles très précis.

Veuillez m'excuser, mes compétences entomologiques sont assez limitées pour ce qui concerne ces petits insectes, je m'en tiens donc à des considérations d'ensemble. Disons qu'il faudra monter des petites mouches (20 à 26) pour les représenter et que la pêche est toujours délicate quand les truites chassent ces satanées bestioles.

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Alors, j'ai bien conscience que l'expérience n'est qu'une lanterne sourde qui n'éclaire difficilement que celui qui la porte, et si la lecture de cet article ne vous fera sans doute pas doubler votre nombre de prises le jour de l'ouverture, j'espère que vous y trouverez là un petit peu de sens à donner à votre pêche, cette mise en perspective qui amène ce petit "plus" d'ordre intellectuel qui fait le sel de notre sport.

Photos et montages de l'auteur sauf :

  • Baetis vu de dessous : photo Patrick Daniels/Léon Janssen
  • Orl : photo Cyril Bailly
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Pêche truite
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Marryat Tactical Pro

A propos de l'auteur

A 47 ans, Christian fait partie de ce que l'on pourrait appeler les "pêcheurs-naturalistes ". A une époque où le culte du nombre et de la taille des…