Géovan

Tasmania – Far West Anglers - Part 1

Tasmanie pêche

C'est par une nuit agitée de début décembre que j'ai rejoint la Tasmanie par l'intermédiaire du ferry « Spirit of Tasmania ». Lors du contrôle de mon véhicule à l'embarquement, je me souviens de la mine déconfite du policier lorsqu'il m'a vu passer par l'intérieur de la voiture – accessoirement par mon lit – pour ouvrir le coffre. Tout le désespoir du monde pouvait se lire sur son visage.

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Je bataillais entre une poche de linge sale et mon matériel de camping pour accéder au verrou interne. Une fois ouvert, il a eu une vue imprenable sur le capharnaum qui régnait en maître dans ma modeste demeure. D'habitude, quand ces types là vous font ouvrir votre voiture, c'est pour vérifier dans les moindres détails l'absence de toute denrée alimentaire de type fruit/légume ou produits frais, dont l'importation sur l'île est formellement interdite. Or, dans mon cas, probablement pas si particulier que ça parce que, des backpackers à la voiture de manouche, il a dû en voir défiler un paquet, l'homme s'est contenté de me demander si je ne transportais rien d'interdit. J'ai répondu par la négative et pouvais enfin embarquer. La nuit fut interminable. Chaque fois que j'entreprenais une sortie pour fumer une clope, je me retrouvais à m'accrocher aux murs pour garder l'équilibre. Je n'avais pas réservé de cabine, trop onéreux pour les gens de mon espèce, mais avais droit à un siège à moitié inclinable dans un grand dortoir commun. Je m'asseyais donc dans un coin, celui le plus dépourvu d'autres passagers. A quelques sièges du mien, des affaires. Je ne serai donc pas seul dans ma rangée.

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ferry Tasmanie
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Je me suis plongé dans la lecture pour un moment, avant de me rendre compte que ce n'était pas forcément l'idée du siècle étant donné les conditions de mer exécrables. Ma voisine reprit sa place, une charmante jeune femme d'environ mon âge, peut être un peu plus. Nous échangions un bonjour, sourires, quelques banalités et je me replongeais dans mon livre. Elle fit de même, j'étais pris d'une envie de conversation mais ne voulais pas briser sa concentration. J'avais, de plus, pas vraiment d'inspiration pour une entrée en matière fracassante. A force de réfléchir, je finis par rater le coche et elle s'endormait paisiblement. Pour moi, impossible de trouver le sommeil, les mouvements du bateau avec la houle me retournaient l'estomac. Je savais que j'aurais dû éviter le buffet à volonté. Vers 2h du matin, alors qu'il ne restait que 3h avant le lever du soleil sur la Tasmanie, je prenais ce qu'il me restait de courage à deux mains et me lançais dans l'écriture d'un mot, sur un bout de papier arraché à mon carnet, à destination de la jeune femme. Je le posais discrètement sur son sac à main, bien en vue et avais disparu avant qu'elle ne se réveille.

Me voici en Tasmanie, après une nuit presque blanche, qu'importe. Je respire l'air pur de la liberté, bien que la ville d'arrivée soit en fait très industrielle et triste, peu à l'image de l'île elle même. Je prenais tout de suite la route en direction de la ville suivante qui abritait le plus grand magasin de pêche à la mouche de l'état. « Essential Fly Fisher » où je fus très bien accueilli par les propriétaires. On me donnait déjà le contact de James, un jeune guide local d'à peine 21 ans, qui se ferait un plaisir d'aller pêcher à mes cotés. Mais c'est en solo que je voulais faire mes premières expériences tasmanes.

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Le gérant du flyshop me conseillait un des premiers lacs de la fameuse région des Western Lakes. Il était accessible partiellement en voiture, mais très grand et certaines baies reculées me paraissaient propices à une première rencontre avec les truites locales. Je m'enfonçais donc vers les célèbres Western Lakes, sur une gravel road qui me paraissait interminable tant j'étais pris d'impatience. J'arrivais au Lake Ada sur les coups de midi, le vent était assez violent, mais il fallait m'y habituer parce qu'en Tasmanie, un jour sans vent c'est comme un prof en fin de carrière qui n'a jamais touché de Xanax, ça n'existe pas. Je commençais à faire les bordures, scrutant chaque caillou dans l'espoir d'entrevoir une nageoire. Mais sur les premiers hectomètres de berge, je ne vis rien. Par contre, des dizaines de wallabies naviguaient dans la végétation mêlée à des restes de neige.

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Wallabies
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Wallabies, la faune locale dans son élément.
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Un wombat traverse le chemin devant moi, cette vie sauvage est extraordinaire. Je me sens transporté. Loin de tout, en pleine nature, au milieu de dizaines de kilomètres carrés de parc national. Quelques mouches percent alors la surface du lac lorsque j'atteins la berge battue par le vent et j'aperçois les premiers museaux engloutir les insectes luttant pour s'envoler. Je ne tarde pas à épuiseter ma première truite tasmane ! Je suis alors aux anges, malgré qu'il ne s'agisse que d'un sujet d'une quarantaine de centimètres, ce poisson me comble de joie. La robe est splendide, des nageoires proéminentes, un bec de mâle bien dessiné malgré le jeune âge. Je poursuis mon tour et me casse les dents sur des truites difficiles et en mouvement permanent. Le vent violent ne rend pas la tâche facile. Il se fait tard, j'ai beaucoup marché et je dois me trouver un campement pour la nuit. Mission accomplie donc, on reviendra.

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wombat
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On se laisse volontiers plonger dans cette atmosphère sauvage. Chaque seconde passée là bas me donne un peu plus envie d'y rester
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Dans les jours qui ont suivi, je décide de prendre contact avec James. Malheureusement, ou heureusement pour mon temps de pêche, aucune réponse de la jeune femme du ferry. J'avais pourtant fait un effort de rédaction. Tant pis, ça ne peut pas mordre à chaque fois. Après quelques jours en rivière à explorer en solitaire et une expédition ratée dans les lacs, raccourcie pour des soucis météorologiques et matériels, James me donne rendez-vous chez lui, afin de partir en treck sur 3 jours. Ma tente m'a lâché la première nuit de la mission précédente, à cause d'un vent à décorner un élevage tout entier de bœufs gavés d'hormones, couplé à une pluie torrentielle au milieu de la nuit. Je me suis retrouvé trempé ainsi que toutes mes affaires, à devoir plier, aux aurores après une journée entière de marche. Retour à la voiture, frustré, mais pas démotivé pour autant. James m'explique que nous n'avons pas besoin de tente, les australiens utilisent un « swag », sorte de sac en caoutchouc assez ample qui vous recouvre de la tête aux pieds. Couplé à un bon duvet, on peut dormir sereinement, protégé du froid ou de la pluie, à peu près n'importe où et dans toutes les conditions. Je lui fais confiance, nous partirons le lendemain matin, après une bonne soirée de montage de mouches, préparation des sacs à dos, trucidage d'un poulet entier à deux pour le dîner, le tout en échangeant nos différentes histoires au bord de l'eau. Je suis remonté à bloc. Après deux heures de route, nous arrivons au départ.

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Pêche Tasmanie
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L'accès aux coins les plus reculés des Western Lakes nécessite la traversée de rivières, des heures de marche loin des chemins, à travers cette végétation épaisse.
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Pour des raisons que vous comprendrez, je ne citerai aucun nom, de lac, ville, ou autre qui puisse permettre de vous rendre sur la zone exacte des événements qui vont suivre. Cet endroit est magique, les lacs où nous sommes allés sont pêchés par une dizaine de personnes chaque année tant ils sont difficiles d'accès, ce qui en fait de véritables trésors. Cependant, si vous prévoyez de vous rendre dans ce coin, n'hésitez pas à me contacter, je vous donnerai volontiers des infos et contacts. Les Western Lakes, ce sont plus de 2000 lacs situés sur un plateau au centre de la Tasmanie. Une zone hostile, avec peu de chemins balisés, où carte, boussole et une bonne paire de jambes sont vos meilleurs alliés. L'impact humain dans cette partie du territoire se limite à quelques chemins et vieilles cabanes. Je crois que j'en suis tombé amoureux. Au re-visionnage des photos, je me suis souvenu à quel point je me sentais loin de cette société du profit et du paraître social dans laquelle nous vivons. Cet endroit est dangereux, dans le sens où il est très simple de tout plaquer pour y vivre en autarcie.

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Pêche Tasmanie
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Un des nombreux serpents croisés lors de mes expéditions. Je n'ai jamais eu le temps d'en photographier un entièrement, ils sont sacrément rapides et craintifs.
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Pêche Tasmanie
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Nous avons marché longtemps avant de commencer à chercher des poissons. Pour la première journée, nous pêcherons sac sur le dos car nous ne pouvons pas nous permettre de faire un tour complet des lacs que nous passons. Pour optimiser, nous longeons la berge sur laquelle nous avons le soleil dans le dos. Les précautions sont prises pour limiter nos ombres portées sur l'eau et nous convenons d'attaquer un poisson chacun, en pêchant en équipe. C'est à dire qu'on ne se sépare pas, mais s'entraide et se guide mutuellement. Mais dès le début, James se montre très entreprenant et ne me laisse pas trop le temps de réagir lorsque l'on croise des truites. Il totalise 3 poissons (3, 3.5 et 7.5 lbs) alors que je n'ai toujours pas propulsé ma mouche. La dernière est un mâle splendide, la plus grosse et belle truite que j'ai pu voir dans ma carrière de pêcheur et qui fut un réel plaisir à photographier.

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Pêche Tasmanie
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Dynosaure
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Elle s'est laissée tenter par un « black spinner » qui fut, LA mouche du séjour puisque ces éphémères ont éclos de manière régulière durant les 3 journées. Sa lente montée, four grand ouvert, en direction de l'imitation de mon coéquipier est gravée dans ma mémoire. La lente et discrète aspiration laissa échapper un « ploc » sourd. La belle livrera une longue lutte acharnée avant que je puisse la mettre à l'épuisette. Après cela, James était fou de joie. Il venait de battre son record, et cela annonçait un trip prometteur. La suite de la journée sera calme, j'essuyais quelques refus et James décrocha un beau poisson. Le coup du soir fut infructueux par manque d'insectes. Sur les coups de 22h, nous dressons notre campement et dinons en vitesse. Les jambes sont fatiguées et il n'y a rien de plus reposant que boire un café bien chaud avant de s'endormir les yeux rivés sur la voie lactée.

4h, les alarmes sonnent, les premiers rayons du soleil s'apprêtent à percer la pénombre. Nous ne prenons pas le temps d'avaler quoi que ce soit, le plan est de revenir déjeuner vers 9h, une fois le coup du matin terminé. Cette journée prenait les allures de la veille. James marchait très vite le long des berges. Trop à mon goût. Il effrayait quelques poissons, pour être le premier à attaquer les suivants. Je prenais mon mal en patience et ne pouvais pas vraiment me plaindre, il m'amenait dans son jardin secret après tout. Il mit au sec un nouveau poisson trophée de 6.5lbs et quelques autres, qualifiées un peu présomptueusement de petites, de 3 et 4lbs.

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Pêche Tasmanie
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Encore un trophée pour James, la robe de ces poissons et leurs proportions sont juste parfaites.
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Il faut savoir que la densité de truites dans ces lacs est très faible. Par contre, la croissance y est très rapide, ce qui donne une taille moyenne ahurissante. Nous n'avons pas vu ou pris de truite de moins de 50cm. Je n'avais toujours pas pris la moindre truite du séjour après ce coup du matin et commençais à douter, le cumul de la fatigue des déplacements permanents et des maigres tentatives avortées me montaient à la tête. Mon guide avait dans l'idée de faire le coup du soir sur un « trophy lake » dont les seules captures connues sont 5 poissons de plus de 12lbs. Je n'avais pas vraiment envie de m'y rendre, connaissant déjà le scénario si l'une d'elles se montrerait. Surtout qu'il voulait y rester jusqu'à la nuit et traverser 5km de bush dense pour rentrer au campement ensuite. Je le laissais donc aller sur son lac et faisais le tour d'un autre aux poissons plus modestes. Rapidement, je prenais ma première truite du séjour. Un poisson de 3.5lbs, qui me combla de bonheur. Me retrouver seul me permit de prendre mon temps et d'être concentré. La pêche se fait uniquement à vue, dans la bande des 5 premiers mètres de bordure où les truites viennent s'alimenter. Elles se déplacent constamment. Celle-ci succomba à un scarabée noir, les terrestres étant très abondants le longs des berges herbeuses de ces biotopes de moyenne montagne. James renonça à son trophy lake après seulement une heure et l'ambiance fut meilleure avec ma capture. Nous rejoignions le lac où était établi notre camp de base pour le coup du soir. Nous fûmes gratifiés d'une éclosion massive de black spinners et le vent concentrait les mouches sur les bordures. Tour à tour, nous prenions une 5lbs pour James, et une 6 pour moi ! Je battais à mon tour mon record, avec ce trésor qui me permit de tester la solidité de mon nœud de backing à deux reprises. Cela sonnait le glas d'une bonne journée en somme. Je ne crois pas m'être endormi si vite que ce soir là depuis l'ère de mes premières soirées étudiantes.

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Pêche Tasmanie
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La récompense. Fruit d'efforts intenses, qui rendent le moment encore plus magique.
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La dernière journée attaquait calmement à la pointe du jour. Aucune activité matinale et notre pause petit déjeuner remonta le moral des troupes. Nous finissions au passage nos derniers vivres, afin d'alléger les sacs et rendre les 25 kilomètres nous séparant de la voiture plus agréables. Nous repassions sur nos pas du premier jour et repêchions les mêmes lacs. Une très grosse éclosion en début d'après midi nous permit de prendre quelques poissons, mais les truites étaient extrêmement mobiles, à longue distance, et leurs trajectoires imprévisibles. Nous passions donc pas mal de temps à lancer sur des poissons presque fantomatiques, dont le nez perçait la surface par-ci par là. L'arrivage d'insectes massif terminé rendit le reste du retour bien calme. Je me revois, durant les 2 dernières heures de marche, vidé de toutes mes forces, mes jambes avançant machinalement, mon cerveau divagant au plus profond de ses recoins.

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Pêche Tasmanie
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J'ai pu rester chez James quelques jours le temps de trouver un job et de me remettre de mes émotions. C'est la dernière partie qui fut la plus complexe à vrai dire. Je me suis essayé au ramassage des fraises. C'est payé au rendement, ce qui en général me permet de gagner pas mal d'argent. Mais pour les fraises, c'était une autre histoire. Les fermes revendent à la grande distribution qui impose des critères de forme et de couleur des fruits très précis, et tout ce qui n'entre pas dans leurs dits critères, est tout simplement jeté à la poubelle. Le plus glauque, c'est que les autres travailleurs et superviseurs sont issus de communautés du Sud Est asiatique, majoritairement des Philippines. Des gens qui viennent donc de milieux très pauvres et qui travaillent pour envoyer de l'argent à leurs familles. Or, cela ne les choque absolument pas de devoir jeter des tonnes et des tonnes de fruits parce que, nous autres, consommateurs occidentaux ne connaissant pas la faim, n'achetons pas de fruits imparfaits. J'ai tenu 3 jours. Ils ont été suffisants à me faire culpabiliser encore aujourd'hui. J'ai donc rendu les armes et trouvé un autre job dans la plantation de myrtilles, en attendant impatiemment la saison de la cueillette des cerises, connue comme étant un excellent moyen de renflouer son compte en banque. La suite, au prochain épisode de l'épopée tasmane !

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Pêche Tasmanie
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A propos de l'auteur

Voyageur dans l’âme, Benjamin a sillonné l’Australie et la Nouvelle-Zélande pendant trois ans à la recherche des truites géantes et surtout d’endroits sauvages peu…