Rien que de l'eau

Le mois de janvier marquant le passage à la nouvelle année est, selon nos conventions sociales, l'époque des voeux. En bon procrastinateur invétéré, il aura fallu attendre la deuxième quinzaine du mois avant que je ne sorte de ma léthargie hivernale pour me plier à l'exercice des voeux (oui, il paraît que maintenant que Truites & Cie est sur les rails, il va falloir rendre le truc "pro", ça rigole plus du tout cette affaire).  

Alors que peut-on se souhaiter pour cette année 2019 ? Si l'on fait abstraction du doux climat social qui règne actuellement sur la France et que l'on reste dans la légèreté de notre passion commune, Il me semble que toutes les considérations paraissent futiles à côté de celle qui nous rend sacrément vulnérables, nous pêcheurs de truites, depuis quelque temps : l'eau. 

De l'eau, voilà sans doute ce qu'il y a de mieux à espérer en 2019. Cette eau, dont tout le monde pestait contre le trop plein en mars dernier et qui a fait cruellement défaut ensuite. De l'eau, en quantité, histoire de s'accorder un peu de répit en ralentissant cette gangrène qui ronge nos cours d"eau à truites par l'aval. Une eau qui viendrait en bonne quantité, ni trop pour ne pas anéantir les alevins printaniers mais suffisamment pour assurer leur survie en été.

Le réalisme (et non le fatalisme) nous fera passer sous silence le volet "qualité". Est-il vraiment besoin de se torturer en l'abordant ? Par curiosité, je viens de vérifier la date à laquelle la Directive Cadre sur l'Eau est entrée en vigueur (cela coïncide pour moi avec le moment où ces considérations ont commencé à toucher le jeune pêcheur de truites que j'étais alors). Octobre 2000. Plus de 18 ans qu'on nous assomme de textes réglementaires visant à améliorer la qualité de nos milieux aquatiques... Si l'on enchaîne en zieutant les courbes de consommation des produits phytosanitaires en France et, tant qu'on y est, celle des effectifs de vertébrés aquatiques, le résultat est sans appel. 

Restons sur la quantité : 

"On a basculé dans une nouvelle ère climatique" a réussi à articuler Nicolas Hulot, malgré le paquet de couleuvres coincé dans la gorge, un peu avant son départ fin août. Les chiffres de cet été parlent d'eux mêmes : 33.4°C aux portes du cercle polaire en Laponie Finlandaise, 39.8°C à Kyoto (précédent record 8 fois battu en l'espace de quelques jours), 30.3°C pour la nuit la plus chaude jamais enregistrée à Perpignan (de quoi fournir une parfaite excuse à notre pote Pierre Cast pour ne pas aller bosser le lendemain). Des chiffres qui donnent les chocottes. On n'est plus dans le scénario catastrophe où Evelyne Delhiat se projetait dans les années 2050 en nous décrivant la Bérézina lors des prime time de TF1 destinés à divertir la ménagère. Cette fois, il semblerait qu'on y soit. On en viendrait presque à angoisser à chaque fois qu'on ouvre la page des prévisions météo : à quelle sauce allons-nous être mangé ? 

Ce qui demeurait jusqu'à pas si longtemps une vague considération abstraite semble s'être matérialisé et cristallisé, durant cet été 2018. Evidemment, si vous n'êtes pas au fait de la chose, ou pire encore, si vous ne vous sentez pas concernés par le sujet, là, je ne peux rien pour vous.

Face à cela, quelle attitude adopter ? Vaste et complexe question, un terrain sur lequel je ne m'aventurerai pas, d'une part parce qu'il serait bien présomptueux et illégitime de prodiguer quelques conseils que ce soit, et d'autre part, parce que je n'ai moi même pas de réponse claire à mes questionnements intimes.  Résignation, militantisme, nihilisme? On peut toujours se sentir investi et fermer le robinet en se brossant les chicots mais mieux vaut ne pas penser au même moment au mammouth démographique que constitue actuellement l'Afrique noire. On peut aussi décider d'arrêter de prendre l'avion pour un oui pour un non, mais il convient alors d'oublier les hordes de chinois qui s'y entassent quotidiennement pour écumer le moindre spot de consommation sur la planète...

Bref, quelle que soit la voie dans laquelle vous vous engagerez, on pourra vous rétorquer que vous êtes un monstre d'égoïsme, ou un doux rêveur qui s'auto-flagelle, et dans les deux cas, l'autre n'aura pas complètement tort. Mourir pour des idées, c'est bien beau mais lesquelles.  

Bref, la seule chose dont je suis convaincu sur le sujet, c'est la scandaleuse façon dont s'en sont emparés nos élus et dirigeants les plus turpides. Certes, le changement climatique se fait de plus en plus palpable et impactant dans notre vie quotidienne (c'est quand même innovant comme concept, le ravitaillement de villages en camions citernes remplis d'eau potable) mais il a aussi bon dos ce cher changement climatique. La récupération, c'est pratique pour s'octroyer de nouvelles légitimités. Ainsi, cet automne, sous couvert d'"adaptation à la nouvelle donne climatique", nous avons eu le plaisir de revoir apparaître ces penseurs éclairés qui s'étaient déjà brillamment illustrés après la canicule de 2003. Plutôt que de changer de paradigme (quoi ? renoncer à la spéculation à court terme ?), on commence déjà à rivaliser d'ingéniosité pour panser les plaies à venir grâce à des solutions toujours plus bancales, immorales, et destructrices de nos milieux aquatiques (vous savez les canons à neige, les barrages, tout ça tout ça).

S'il est bien difficile de placer le curseur de notre ligne de conduite face au changement climatique, il est en revanche beaucoup plus aisé de se positionner sur la récupération honteuse dont il fait l'objet et ça, c'est notre devoir à tous !

Simon Scodavolpe

A propos de l'auteur

Simon est né dans le département du Gers et a découvert la pêche à l'âge de 10 ans. Bien qu'initialement éloigné des rivières pyrénéennes qui lui sont chères…