Lueur d'espoir

Avez-vous remarqué comme ça s'anime en ce moment autour de la réglementation pêche ? 

Cette fois, c’est la FDAAPPMA de l’Aude (11) qui a mis le feu aux poudres avec l'abaissement du quota à 5 truites fario par jour, relançant ainsi les sempiternels débats entre les pêcheurs paniers qui revendiquent une pêche libertaire traditionnelle et les traqueurs de beaux poissons en catch and release, souvent favorables à ce genre de mesure. Voilà le tableau si l'on caricature un peu.

Ce qui est très drôle dans ma situation, c'est que mon cercle d'amis comporte à peu près autant de vieux cons adeptes de la poêle à frire (des pyrénéens en plus, la pire espèce qui soit !) que de jeunes cons no-killer, qui hurlent "fish" à chaque ferrage et posent ensuite fièrement (bêtement ?) avec leurs trophées sur les réseaux sociaux. Serait-ce le signe que j'appartiens un peu à chacune de ces catégories ? c’est possible, si l'on en croit mes inclinaisons personnelles qui me font apprécier un bon plat de truites de montagne de temps à autres (et j'invite tous ceux que ça dérange à me montrer le contenu de leur réfrigérateur afin que je vérifie l'impact environnemental de leurs denrées alimentaires quotidiennes) comme une courte séance photo précédant la remise à l'eau d'un boeuf de cinquante centimètres de long ! J’ai donc régulièrement le loisir d’écouter les doléances de chaque partie.

La semaine dernière, le débat a fait rage sur les réseaux sociaux, et chaque pêcheur y est allé de son argumentaire passionné, prêchant pour sa paroisse à grands coups de solutions miracles : de la classique proposition d'augmentation de la maille à la restauration du milieu, en passant par la réduction du quota ou même la très fumeuse limitation de la pêche à certains jours de la semaine... Les buts plus ou moins affichés étant divers et variés : avoir de plus gros poissons, pouvoir continuer à manger des truites, préserver les géniteurs ou encore pour les plus ambitieux, carrément sauver l'espèce Salmo trutta… rien que ça ! le tout souvent prodigué avec une émotion inversement proportionnelle à la crédibilité scientifique du propos. Demandez à un pêcheur ce qu'il pense de la maille ou du No-Kill, et vous aurez une réponse à peu près aussi cartésienne que celle d'un enfant de 4 ans à la question : est-ce que tu aimes les carottes râpées ?

Ce fatras idéologique s’accompagne d’une flopée de non-sens voire de malhonnêteté intellectuelle (tous les prétextes sont bons pour tuer ou relâcher plus de truites !), dont des comparaisons farfelues entre des milieux écologiquement incomparables ou le récurent amalgame entre halieutisme et protection du milieu aquatique. Visiblement, il est encore bon de rappeler que la vocation de la réglementation pêche n'est pas de sauvegarder les populations de truites (on n'a jamais sauvé une population de truite en péril grâce à un durcissement réglementaire, dixit nos hydrobiologistes) mais de façonner la pyramide des âges selon ce qu'on souhaite : en gros, manger du poisson, ou plier du carbone là où c'est possible. On peut s’émouvoir à la lecture de ces mots et se la jouer écolo-naturaliste en prétendant qu'il est indigne d'avoir la main sur la Nature, mais dans les faits, le constat est sans équivoque : la réglementation pêche ne sert qu’à dicter comment exploiter le stock.

Aussi éculées et stériles soient-elles, ces luttes ont le mérite de nous confirmer que les règles actuelles et les bidouillages qu'elles connaissent depuis de trop longues années ne contentent personne. Ce constat accablant n’a pourtant pas l’air d'interpeller certains de nos gestionnaires, ni les grands lanceurs de pétitions des temps modernes. Non seulement, ces durcissements successifs génèrent des tensions, mais ont-ils des répercussions réelles sur les populations salmonicoles, en terme chiffré ? (et j’insiste sur le mot chiffré, car les ressentis pêcheurs du type on-en-prend-plus-de-belles-qu’avant ne valent rien d'un point de vue scientifique). Aucune étude de suivi par pêche électrique n'a encore prouvé qu'un changement de maille ou de quota modifie en profondeur une population de truites. Beaucoup de bruit pour pas grand chose... Ce que nous constatons par contre clairement : les pêcheurs populaires se sentent toujours davantage lésés par des réglementations de plus en plus contraignantes (d’autant que leurs résultats ne s’améliorent pas, quelle ironie du sort !). De leur côté, les pêcheurs dits "sportifs" palpent également les non-conséquences de ces mesures et voient leur frustration grandir tous les ans davantage. Et il y a de quoi, quand on connaît le fantastique potentiel halieutique de certains coins français (c'est à dire leur capacité à produire des gros poissons). Potentiel qui demeure absolument sous-exploité, à cause de réglementations pêche aberrantes, dont un linéaire en No-Kill (seul moyen réellement efficace de valoriser ces portions, toujours dixit la science) ridiculement faible par rapport à la demande croissante de parcours de ce type. 

Le mécontentement est donc parfaitement légitime de part et d’autre, et s'explique de façon limpide : il est strictement impossible de contenter pleinement les différents types de pratiquants avec nos réglementations pêche bâtardes et globalisées. A attentes antinomiques, réglementations antinomiques... cela semble limpide non ? Et pour que l’effet soit réel, ces réglementations antinomiques devraient concerner des tronçons de rivière longs de plusieurs kilomètres (toujours dixit la science)... impossible répondent les autorités ! Dans le système associatif actuel dont l'unité est l'AAPPMA, compter sur une sectorisation de nos rivières en longs parcours à réglementations spécifiques et tranchées (en résumé, peu de contraintes pour le pêcheur cueilleur sur les portions à fort recrutement/faible croissance type "tête de bassin pyrénéenne" et des longs parcours No-Kill pour le pêcheur de beaux poissons sur les portions aval à forte croissance) semble illusoire. L'organisation de notre système associatif et l’implication d'organismes dépendants du ministère de l'environnement seraient assez incompatibles avec la mise en place de ce modèle, pourtant intéressant sur le papier. Alors que faire ?

Une lueur d'espoir en provenance du Sud-Ouest de la France est née cette semaine, avec l’adoption de la double maille pour le brochet par la fédération de pêche du Lot, arrêté préfectoral à l'appui. Relâcher les plus gros individus (recherchés pour leur valeur halieutique) tout en conservant la possibilité de prélever des individus plus jeunes (et donc les plus nombreux, de la tranche d'âge la plus à même d'encaisser ce prélèvement), voilà le principe général. Cette fédération ouvre là une voie presque inespérée et l’on ne peut que s’en réjouir. Et si nous devons rester prudents quant aux réels bénéfices de la mesure, saluons avec enthousiasme cette prise de position innovante, courageuse et très intéressante d'un point de vue expérimental. Si certaines FDAAPPMA pouvaient emboîter le pas et l'adopter pour la truite, en engageant par la suite un vrai suivi des populations (sinon à quoi bon !), ceci pourrait constituer une avancée majeure et qui sait, peut-être apaiser un peu les troupes… car nos querelles internes ne nous aideront certainement pas à nous fédérer face aux enjeux climatiques et environnementaux qui pointent déjà le bout de leur nez !  

Simon Scodavolpe

A propos de l'auteur

Simon est né dans le département du Gers et a découvert la pêche à l'âge de 10 ans. Bien qu'initialement éloigné des rivières pyrénéennes qui lui sont chères…