L'hérésie nymphe au toc

A en croire le succès des articles qui lui sont consacrés, la nymphe au toc fait de plus en plus d'émules. Cette technique à la démocratisation récente est le fruit détonant de la rencontre entre deux modes de pêche que tout opposait initialement : la mouche et le toc. Opposition conceptuelle et surtout culturelle, bien entretenue par leurs aficionados les plus esthètes. Pourtant, ce schisme initial a commencé à flancher au début des années 2000, notamment sous l'impulsion d'un certain Olivier Plasseraud qui pensa alors son combo canne Epeore/moulinet PLX et ses imitations de larves Larvor. Symbole de la volonté naissante du toc de s'affiner, de se moderniser. Dans le même temps, les moucheurs cédaient progressivement à l'attrait du rendement sous l'influence du monde de la compétition, quitte à bafouer leur logique naturaliste originelle. De cette convergence progressive est née la nymphe au toc.

Aujourd'hui, cette technique a totalement brouillé les pistes si bien que même au niveau sémantique, personne ne s'y retrouve plus vraiment... et l'on devient presque hors la loi sur certains parcours où l'on pratique "la pêche à la mouche artificielle" mais pas vraiment la "mouche fouettée"...  A l'heure actuelle, on ne devrait sans doute conserver que l'expression "pêche en dérive" pour désigner tout ce qui gravite quelque par entre le toc aux appâts, la nymphe au toc et la nymphe au fil. Techniques qui concourent in fine, exactement à la même chose : faire dériver un bidule de façon naturelle, plutôt près du fond, dans les postes à truite. 

En couplant une nymphe à bille (dont on ne sait trop si elle relève du leurre imitatif ou incitatif, ou peut-être, et c'est sans doute là sa grande force, d'un peu des deux à la fois) au matériel toc parfaitement adapté pour la présenter, la nymphe au toc est sans doute l'expression d'une forme de technique ultime mêlant confort de pêche, efficacité et facilité de mise en oeuvre... une "vraie pêche de branleur" comme se plaît à la qualifier mon ami Olivier Grimal. De fait, elle attire de nouveaux adeptes dont le profil général est le suivant : des optimisateurs sans complexe, peu soucieux des clichés véhiculés par les techniques, qui abordent la pêche de la truite sans idée pré-conçue, avec une folle envie de ferrer. Le genre de pratiquant qui se fait trop rare de mon point de vue, tant il est fatiguant de rencontrer des puristes voulant prouver à la terre entière que leur approche est la plus juste, logique, éthique, ou que sais-je encore...

Cette technique bouscule les codes, supprime les repères et donc, logiquement, agace. Elle agace aussi par sa diabolique efficacité. Elle dérange d'un côté les néo-moucheurs modernes qui se prennent encore pour tel malgré les ploufs répétés et pas très sexy de leur bille tungstène (de quoi faire se retourner Skues dans sa tombe) qui voient en elle une concurrence forcément déloyale et sombrent dans le ridicule lorsqu'ils tentent de se raccrocher à leur caste en justifiant que eux, c'est-bien-de-la-mouche dont il s'agit, n'hésitant pas pour ce faire à inventer des critères totalement arbitraires et subjectifs tels que la longueur, la dégressivité du bas de ligne ou la nature de la soie qui garnit leur moulinet... Comme si le fait d'utiliser un bas de ligne dégressif de 4m50 au bout d'une soie de 4 leur permettaient encore de garder leur appartenance à leur confrérie, nonobstant leur enclume en tungstène, leur indicateur fluo et leur volonté de pêcher profond et creux ? Serait-ce une pointe de jalousie face à leurs homologues équipés de cannes anglaises, bien plus efficaces à mesure que la largeur du cours d'eau s'accroît ?

A l'extrême opposé, la nymphe au toc chiffonne aussi certains tocqueurs traditionalistes, purs et durs des appâts naturels, ceux qui creusent les berges en mars à la recherche de vers rosés pleins de vie, et récoltent les larves au tamis à la belle saison. Pour eux, le crime de lèse-sportivité est tout aussi grave : comment diantre un espèce d'assemblage poilu, fluo et clinquant pourrait-il supplanter leurs esches savamment récoltées dans une volonté imparable de coller au régime alimentaire des truites ? Et pourtant... refuser de reconnaître la supériorité globale de ces petites mouches brillantes relève à ce jour de l'obscurantisme, tant elles ont et continuent de montrer leur efficacité dans tous les cours d'eau de France et de Navarre.

D'un point de vue personnel, éprouvant un plaisir semblable à pratiquer les différentes approches de la pêche en dérive (et peu importe la nature des anneaux qui ornent ma canne), je me délecte de constater à quel point la nymphe au toc a fait tomber les codes et égratigne par la même mes confrères qui se prennent un peu trop au sérieux.  Face au vent de renouveau qu'insuffle cette approche à notre passion commune (d'aucuns jugent parfois moribonde), pourquoi donc pester lorsqu'on a enfin quelque chose d'innovant à se mettre sous la dent ? Ne devrions-nous pas tous nous réjouir de sa vertu la plus irréfutable : inciter de nombreux disciples de Saint-Pierre à prendre du plaisir au bord de nos rivières à truites ?

Simon Scodavolpe

A propos de l'auteur

Simon est né dans le département du Gers et a découvert la pêche à l'âge de 10 ans. Bien qu'initialement éloigné des rivières pyrénéennes qui lui sont chères…