Jeu Dangereux

Après un an de répit, les antispécistes font de nouveau la une, plus motivés que jamais dans leur propagande anti-pêche. Non contents de divertir le citadin parisien dans ses trajets quotidiens en métro, ils nous gratifient désormais d'automutilation sur la place publique, histoire de faire enfler la polémique. Une méthode bien dans l'air du temps... A croire qu'on n'échappe jamais vraiment au système qu'on abhorre.
Plutôt que de cultiver notre image de beauf moyen par le biais de l'insulte (certains confrères lourdauds s'y adonnent suffisamment sur les réseaux sociaux), plutôt que de tenter de convaincre ces fanatiques par l'utilisation d'arguments factuels (relatifs à la perception de la douleur chez le poisson par exemple), tentons pour une fois de balayer devant notre porte. L'auto-critique, voilà une démarche personnelle qui n'étouffe pas la plupart d'entre nous. Elle est toutefois bien utile de temps à autre si l'on est enclin à l'évolution, même si nous nous considérons en l'occurrence comme d'authentiques victimes. 

Nous pêcheurs modernes et passionnés (d'aucuns qualifieraient de "sportifs" mais je peine toujours à trouver une quelconque signification à cette expression), mettons un point d'honneur à relâcher avec précaution la majorité de nos prises, voire la totalité pour les plus purs d'entre nous. Les raisons de cette démarche sont diverses et variées mais elles pourraient se résumer en caricaturant par la "beauté du geste".  Ainsi nous sortons grandis de cette graciation. Dans cette activité désormais récréative qu'est la pêche à la ligne, le poisson n'est plus entrevu comme une victuaille potentielle mais comme un partenaire de jeu que l'on préserve en lui laissant la vie sauve.
Ainsi est né le concept, de prime abord plutôt honorable, de "poisson jeu". On peut également y voir un moyen substantiel de rompre définitivement avec l'ancienne génération (les fameux "viandards"  destructeurs de rivière) pour les plus jeunes cons d'entre nous.

Toutefois, les récentes attaques que nous subissons montrent que tout le monde ne l'entend pas de cette façon, et que notre vision focalisée par notre prisme de pêcheur est loin de faire l'unanimité.
Pas besoin de s'intéresser de près aux doléances des intégristes de la cause animale pour avoir été confronté à ce décalage de perception, de façon certes bien plus modérée, mais déjà augure d'un futur potentiellement sombre : nous avons déjà presque tous eu droit, lors d'une conversation fortuite avec un non pêcheur, à un de ces "mais pourquoi vous les pêchez si c'est pour les remettre à l'eau ?". A ce moment là, votre classe et votre grandeur spirituelle manifeste vous poussent à expliquer à votre interlocuteur (en essayant de ne pas paraître trop condescendant) qu'il est bien révolu le temps de la pêche nourricière, que vous "pêchez propre" grâce à votre équipement pointu...etc etc balayant d'un revers de main sa question déplacée alors qu'il reste pourtant perplexe. 
Erreur ! c'est à ce moment là qu'il faudrait considérer l'autre et son incompréhension, car elle prend aujourd’hui des proportions extrêmes.  Si je jubile habituellement de passer pour un hurluberlu égaré auprès de mes contemporains, je fais une exception sur ce cas précis tout simplement car ses conséquences risquent à minima de mettre en péril la pêche libre et accessible telle que nous la connaissons en France aujourd’hui. 
"Pêcher propre" n'a aucun sens pour le commun des mortels. Ce que nous assimilons à un acte de noblesse relève aux yeux du grand public de l'ignominie tortionnaire, fruit de l'imaginaire obscur de quelques égoïstes sadiques. Quelle ironie du sort, nous qui pensions agir correctement, sommes pris à notre propre jeu. Or, nous ne sommes pas totalement étrangers à ce clivage :

Dans notre approche moderne, nous donnons du grain à moudre à nos détracteurs en sombrant peu à peu dans un sentimentalisme sans limite. Les leçons de morales que nous nous infligeons quotidiennement, entre disciples de Saint Pierre, au sujet du prélèvement, des ardillons, de la manipulation du poisson et j'en passe, ne font qu'entretenir cette tendance lourde et en aucun cas, ne redorent le blason de la communauté. S'étriper autour des questions futiles (au vu du contexte environnemental actuel) relatives à la réglementation pêche n'a que des effets contre productifs dont l'entretien de la sempiternelle division dans nos rangs déjà bien clairsemés.  Au delà de ça, cette surenchère tend à élargir le champ des inepties et des non-sens scientifiques que nous lisons de plus en plus fréquemment. Le plus en vogue du moment est la confusion entre écologie et halieutisme par la mise en parallèle de la pratique du catch and release avec la sauvegarde de nos populations salmonicoles. Comme si nous, pauvres pêcheurs, pouvions mettre en péril un cheptel de truite avec notre modeste hameçon... magiciens que nous serions ! 

Le concept du poisson jeu dont certains se gargarisent à longueur de journée sur les réseaux sociaux à grands coups de hashtag (#releaseyourdream et compagnie) ne fait pas que des émules et confine même désormais à la provocation. Il y a fort à parier que ces même pratiquants seront les plus meurtris si l'on en vient à interdire le no-kill comme c'est déjà le cas chez nos voisins suisses... Les fausses bonnes idées peuvent se payer cher et la médaille possède parfois des revers insoupçonnés.

Pour autant, changer ses pratiques intimes du bord de l'eau relèverait du fourvoiement (nous avons une éthique, autant nous y tenir non ?), la remise en question n'est pas là. Mais dans une société où la communication a pris une importance démesurée (et où chacun se sent le devoir de prouver à la terre entière qu'il lave plus blanc que blanc), il serait opportun d'aborder ces sujets épineux avec toute l'humilité et la prudence qu'ils nécessitent. Ainsi les éminents chevaliers blancs des temps modernes, qui assomment de discours péremptoires sur le respect du poisson et fustigent le moindre dissident (aussi jeune et candide soit-il), feraient bien d'approfondir le concept pour en saisir toute la complexité : en effet, qu'est-ce que le respect du poisson ? Produire une sécrétion massive d'acide lactique chez un animal hameçonné est-il compatible avec son respect ? quid de la désaturation induite par une exposition prolongée à un appareil photo pour quelques like de plus sur facebook ? ou alors, est ce que le fait de se mouiller les mains à la préhension et de pêcher sans ardillon dispensent des considérations précédentes ? Bien malin celui qui pourra répondre à cette litanie d'interrogations de façon exhaustive.

En l'absence de consensus envisageable (la relativité du point de vue l'anéantit), poursuivre aveuglément un prosélytisme de bas étage permettra sans doute de gonfler son égo et d'entretenir son aura de puriste, certes. Mais pour ce qui est des vraies menaces qui planent sournoisement au dessus de nos têtes, nul doute qu'elles seront totalement occultées par la même occasion !
 

Simon Scodavolpe

A propos de l'auteur

Simon est né dans le département du Gers et a découvert la pêche à l'âge de 10 ans. Bien qu'initialement éloigné des rivières pyrénéennes qui lui sont chères…