Pêcheur moderne

Alors que l'été vient de toucher à sa fin, le soulagement se fait ressentir dans l'esprit de bon nombre de pratiquants. La plupart des régions françaises abonnées aux tensions hydriques ont été non seulement épargnées des désormais classiques vagues de chaleur, en plus d'avoir été copieusement arrosées dans une atmosphère durablement fraîche... on n'en demandait (presque) pas tant ! Les pêcheurs du Massif Central, de la Drôme ou du Morvan avaient perdu l'habitude de rencontrer de si favorables débits au mois d'août alors que les nympheurs à vue de l'est attendaient désespérément des conditions décentes pour la pratique de leur approche favorite... Soit dit en passant, à voir l'état des fonds des rivières de Franche Comté à chaque courte période d'eaux basses cet été, on comprend bien que le déficit pluviométrique est loin d'être la seule cause du fléau qui les touche...  

Ce petit sursis fut bon à prendre et nous avons senti la nécessité d'en saisir la préciosité, alors que le thermomètre s'envolait sous toutes les longitudes voisines de l'hémisphère nord (dôme de chaleur canadien, canicule inédite en Europe de l'est...etc) et que le GIEC sortait son dernier rapport apocalyptique.

Dans ce contexte, nous avons pu constater une énième fois le décalage de perception et de vision du monde inhérent à notre statut de disciple de Saint Pierre. Cette météo estivale 2021 perçue comme revigorante dans nos rangs de passionnés a été dans le même temps qualifiée par le commun des mortels de "pourrie" voire même de "catastrophique pour le tourisme" ... on en viendrait presque à croire que l'étuve saisonnière récurrente n'est pas insupportable pour tout le monde. Rappelons quand même qu'à l'échelle de la France, le mois de juin 2021 fut le 5ème plus chaud depuis 1900 et que l'été 2021 dans sa totalité présente une anomalie thermique positive de +0.4°C (moyenne de référence 1981-2010). Peut-être que le changement climatique fait aussi perdre la mémoire...

Non décidément, pêcher met à la marge, d'une façon ou d'une autre. Ce sentiment d'anticonformisme, souvent délicieux, peut aussi agacer tant nous sommes parfois esseulés en public, acculés par les sentences de nos concitoyens que nous ne concevons pas.

Dans cette époque où les repères se brouillent, pêcher c'est résister. Résister à la tentation des indignations idéologiques à la mode, à l'emprise du virtuel, du béton, à la déconnexion avec les saisons, et, in fine, à ce monde qui nous échappe. Ce bonheur des choses simples se raréfie et devient l'apanage de quelques loisirs profondément roturiers et terriens (tiens je n'ai encore jamais rencontré de pêcheurs transhumanistes... peut-être un jour !).

Evidemment, nous sommes loin d'être exempts de tous les fourvoiements contemporains. Oui, nous achetons sans doute trop de leurres en plastique, trop de cannes asiatiques, exhibons trop de poissons sur Facebook, et renouvelons nos waders un peu trop souvent, certes. Mais force est de constater que globalement, sincèrement et objectivement, tout pêcheur possède, à des échelles variées bien sûr, une sorte d'attachement atavique à la terre, à ce qui s'y passe et une relative inquiétude face à ce qui risque de lui arriver plus vite que prévu.

En définitive, j'ai la naïveté de croire qu'être pêcheur en 2021, c'est peut-être avant tout avoir la volonté de comprendre la Nature, son fonctionnement et l'envie de protéger ce qui peut encore l'être. Le reste apparaît comme bien futile. Être moderne n'est sans doute pas pêcher à la mouche plutôt qu'au ver de terre ou en no-kill plutôt qu'avec un panier en osier, mais bien de se rejoindre sur une élévation d'esprit dépassant le cadre de ces trivialités, qui nous fait converger vers une seule chose sensée :  la nécessité impérieuse de conserver ce lien à une époque qui l'efface de plus en plus.

Simon Scodavolpe

A propos de l'auteur

Simon est né dans le département du Gers et a découvert la pêche à l'âge de 10 ans. Bien qu'initialement éloigné des rivières pyrénéennes qui lui sont chères…