Obscurantisme réglementaire

Il y a quelques jours la FDAAPPMA de Lozère annonçait en grande pompe l'interdiction de l'ardillon sur son linéaire de première catégorie cette année. La raison affichée est désormais un grand classique : on veut protéger les juvéniles pour "favoriser l'efficacité de la gestion patrimoniale".... rien que ça! Difficile d'imaginer qu'un ingénieur de FD puisse réellement croire qu'il a la capacité d'influer sur la dynamique de population avec du bidouillage réglementaire. La raison sous-jacente est en fait ailleurs et sort du registre de la biologie : par ce biais là, le gestionnaire sélectionne le profil type de pratiquant qu'il souhaite voir opérer chez lui. Je vous renvoie à l'interview fleuve d'Olivier Plasseraud qui décortique parfaitement ces mécanismes (ici). A l'instar de la FD 07 voisine qui s'était illustrée de la même manière il y a 2 ans, la FD 48 fait de la politique sous couvert de biologie. Les pêcheurs naïfs étant encore suffisamment nombreux... ça marche bien en matière de communication!

Je ne reviendrai pas sur l'influence marginale (nulle?) de la réglementation pêche sur la dynamique de population salmo, nous l'avons abordée en long en large et en travers dans ces colonnes. C'est un non sujet. A ce stade, nous considérons que nous avons fait notre part du job dans la vulgarisation de ces aspects, et que ceux qui ne comprennent pas ne veulent simplement pas comprendre. Fin de la parenthèse. 

Mieux vaut mettre en perspective l'absence d'effet biologique avec les dommages collatéraux occasionnés par l'adoption d'une telle mesure : 

Pour contextualiser cet édito, je précise que cette annonce de la FD 48 a coïncidé avec mon retour des Journées Techniques Nationales organisées par la FNPF la semaine dernière. Pour ceux qui l'ignorent, ce colloque organisé tous les 2 ans consiste à réunir des ingénieurs hydrobiologistes et techniciens de FD (ainsi que d'autres acteurs scientifiques) qui y présentent leurs derniers travaux. Participer à un tel rendez-vous est une mine d'informations et dans mon cas, indispensable pour mieux comprendre les rouages de notre système associatif et les menaces qui pèsent sur lui. Cette année, pas de surprise en ce qui concerne le climat général de la pêche en France, les tensions s'accumulent : entre le changement climatique, les prédateurs qui pullulent, l'influence croissante des mouvances animalistes...ect l'avenir apparaît de plus en plus incertain.

Attardons-nous sur les derniers cités puisque leur stratégie fait désormais irruption dans les média conventionnels : elle consiste à mettre en lumière les "pires" déclinaisons de telle ou telle pratique ancestrale, pour émouvoir le commun des mortels comme les élus, provoquer l'indignation et in fine faire interdire la dite pratique. Pour la pêche de loisir, il suffit par exemple de pointer du doigt l'utilisation de poissons vivants comme appât ou les héliportages d'alevins en lac d'altitude. Comment faire accepter cela à l'ère du bilan carbone et de la sixième extinction de masse ?

Et c'est là que le bât blesse : alors que nos adversaires dont le but ultime est de remettre en cause le loisir pêche, rognent nos pratiques les unes après les autres, nous, pêcheurs abondons dans leur sens en nous auto-censurant! Même si la raison semble louable de prime abord, elle n'est pas recevable dans le contexte actuel.

Comment peut-on défendre la pêche au vif (dont la remise en cause n'est qu'une des premières étapes vers l'interdiction totale de notre loisir) en expliquant dans le même temps qu'on bannit l'ardillon pour limiter notre impact sur le poisson ?

Comment créer un lobbying politique robuste et organisé quand des fédérations dissidentes cassent les dynamiques et pipent les dés en pratiquant un marketing suicidaire ?

A l'époque où les FDAAPPMA manquent cruellement de reconnaissance technique (et visiblement la FNPF n'est pas d'un grand secours à cet égard), comment peut-on encore oser faire de la politique en jouant sur l'ingénuité des pêcheurs ? glaner du capital sympathie sur Facebook, nous en sommes rendus là ?...

L'ironie de l'histoire intervient à la lecture de certaines éloges accompagnant ces turpitudes réglementaires : certains pêcheurs pensent encore sincèrement que ces mesures sont progressistes... dans le contexte actuel de plus en plus violent, je les qualifierai plutôt de rétrogrades, voire obscurantistes (définition de l'obscurantisme dans le Larousse : opposition à la diffusion de l'instruction, de la culture).

Nul doute que Truites & Cie sera encore taxé d'agitation et de polémique : je répondrai juste en affirmant que lorsqu'on mène un magazine dédié aux salmo en 2025, dans le contexte climatique, économique et social que l'on connaît, il serait tellement plus facile de suivre le sens du vent et de se contenter de tester des bonnes cannes à pêche pour flatter les annonceurs sans faire de vague. Rassurez-vous, ce n'est pas la direction envisagée (on reste quand même fiers de notre intégrité !) ; nous allons même tenter de participer à notre humble niveau à une meilleure compréhension de ces enjeux politiques dans les prochains mois. En espérant que cela ne se transforme pas en baroud d'honneur !

Simon Scodavolpe

A propos de l'auteur

Simon est né dans le département du Gers et a découvert la pêche à l'âge de 10 ans. Bien qu'initialement éloigné des rivières pyrénéennes qui lui sont chères…