De l'évolution, de la pêche et des extrémistes

Pêche Pierrot Théodore

Si vous fréquentez Facebook ou tout simplement que vous pratiquez certaines lignes du métro parisien, vous savez forcément qu’une campagne est actuellement en cours avec pour objectif d’interdire la pêche à Paris, et par extension dans l’ensemble des départements français dans lesquels le poisson a été déclaré impropre à la consommation. Au nom de la souffrance animale, l’association Paris Animaux Zoopolis a interpellé la Mairie de Paris, et la conseillère du 20ème arrondissement Danielle Simonnet en a fait son cheval de bataille. Loin du flot d’insultes et des réactions enragées que cela a pu susciter, je vous propose une petite réflexion personnelle, sous la forme d’une mise en perspective afin de prendre un peu de recul sur notre loisir préféré.

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D’où venons-nous ?

Vaste question si il en est. Tout est question d’échelle, mais il me plaît de commencer au commencement lorsque cette question me vient à l’esprit.

Création de l’Univers : -13,7 milliards d’années
Création de la Terre : -4,55 milliards d’années
Premières traces de vie : -3,85 milliards d’années
Premiers organismes pluricellulaires : -2,1 milliards d’années
Premiers “poissons” : -420 millions d’années
Premiers mammifères : -225 millions d’années
Premiers hominidés : -7 millions d’années
Homo Sapiens : -200 000 ans

J’aurai aimé vous proposer une frise pour avoir un aperçu visuel de cette Histoire, mais les écarts d’échelles sont tels que c’est impossible.
Nous sommes le fruit de près de 4 milliards d’années d’évolution, et l’Humanité n’est qu’un artefact dans l’épaisseur du trait.

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Qui sommes nous ?

La lignée humaine a vu se succéder de nombreuses espèces, qui parfois ont cohabité, pour finalement disparaître, à l’exception d’une espèce dite “dominante” : Homo Sapiens. Nous.
Si ce terme de “dominant” peut être appliqué à l’échelle de la lignée humaine, il est inexact dans un cadre plus large. En effet, nous ne sommes ni plus nombreux, ni plus grands, ni plus gros, ni plus vieux que nombre d’autres espèces.
Nous nous distinguons par la maîtrise du langage articulé, la conscience de nous-même, l’organisation sociale, la faculté d’adaptation rapide, et la prépondérance de l’intelligence sur l’instinct. C’est cet ensemble - non exhaustif - de facultés réunies qui constitue notre humanité.

Nous sommes donc une espèce animale qui a réussi parmi d’autres. Sommes nous les vainqueurs de la course à l’évolution ? Pas vraiment si l’on considère que notre Histoire a seulement 200 000 ans. Pour comparaison, les dinosaures ont dominé le monde pendant plus de 160 millions d’années. Ils ont malheureusement eu un petit soucis avec une météorite il y a 65 millions d’années… L’accident bête…

Pour comprendre comment nous, Homo Sapiens, sommes devenu l’espèce dominante de la lignée humaine, il nous faut zoomer un peu sur les 7 derniers millions d’années.

De Toumaï (nom donné à un crâne fossile actuellement considéré comme le plus ancien représentant de la lignée humaine connu) à nous, il y a eu plusieurs étapes majeures : la fabrication d’outils en silex, la construction d’abris, la maîtrise du feu, la pêche, la chasse et la cueillette, l’art, l’agriculture. Alors que nos anciens cousins les Australopithèques étaient des omnivores opportunistes, la consommation de viande augmente de façon importante avec Home Erectus (-1,9 million d’années) qui pratique la chasse et la pêche, maîtrise le feu et faisait peut-être cuire ses aliments. Certains scientifiques considèrent que c’est cette étape - un apport important de protéines carnées et la cuissons des aliments - qui a permis le développement du cerveau humain et l’émergence de notre espèce Homo Sapiens. La pêche et les poissons sont peu représentés dans l’art pariétal, mais il est établi que le poisson faisait partie de l’alimentation des hominidés chasseurs-cueilleurs.

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Abris du poisson
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Saumon becquart dans l’Abri du poisson. Eyzies-de-Tayac, Vallée de la Vézère, Dordogne. Paléolithique supérieur (-45 000 à -10 000 ans) - Datation à -25 000 ans. Photo: http://www.culture.gouv.fr/
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Suis-je en train de dire que nous devons nous identifier à Homo Erectus, et tous devenir des prédateurs, faire main basse sur les autres espèces d’animaux sous prétexte que nous sommes une espèce “dominante” ? Certainement pas. Mais il ne faut pas non plus oublier cette partie de notre Histoire.

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l’Humanité n’est qu’un artefact dans l’épaisseur du trait
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Les origines

Tous les enfants sont fascinés par les petites bestioles qui courent dans l’herbe, la flaque d’eau dans laquelle ils sautent irrémédiablement, le lac ou la rivière dans lesquels ils lancent des cailloux, le feu de camp dans lequel ils vont remuer un bâton et, bien entendu, pour la très grande majorité d’entre eux, par la pêche.

Vous rappelez-vous de la joie que vous éprouviez enfant à pêcher des vairons pieds nus dans un ruisseau ? Pourquoi diables les livres pour enfants sont-ils remplis d’animaux ? Pourquoi les enfants aiment-ils aller au zoo ? Prépondérance de l’intelligence sur l’instinct ai-je dit ? Pas si sûr.

Personnellement, j’associe cette fascination pour la pêche et la nature en général à nos origines préhistoriques : l’alimentation opportuniste de nos ancêtres majoritairement insectivores en ce qui concerne l’apport en protéines, la maîtrise du feu ensuite, la pratique de la chasse, de la cueillette et de la pêche. C’est probablement cette même fascination pour le gibier qui poussait nos ancêtres à décorer les parois des grottes. Ce qui est souvent décrit communément comme un “retour aux sources” ou une “communion avec la nature” n’est que l’écho de notre passé préhistorique. Tous ces éléments de notre histoire refont surface malgré nous, ce sont eux qui nous font vibrer lorsque le lien est rétabli. Nous vibrons lorsque nous repérons une truite qui se croyait à l’abris d’une berge. Nous vibrons lorsque, immobiles et aux aguets depuis de longues minutes, un gobage trouble enfin le calme de la surface. Et nous vibrons encore lorsque, les bons jours, une truite veut bien rentrer dans notre épuisette.

Comme l’a dit Henry David Thoreau, “beaucoup vont à la pêche toute leur vie sans savoir que ce ne sont pas des poissons qu'ils recherchent”. Nous ne faisons que reproduire le même schéma de prédation, comportement vital pour la survie de notre espèce depuis 200 000 ans.

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Et le respect des animaux dans tout ça ?

Bien entendu, nous nous devons de respecter les animaux. Mais il n’est pas nécessaire de se livrer à un anthropomorphisme forcené pour cela. Nous avons une histoire commune, nous avons été à la fois proies et prédateurs, nous sommes liés d’une Histoire commune. Mais, comme l’a dit le neurobiologiste Alain Prochiantz lors du forum France Culture "L'animal est-il un homme comme les autres ?" : "Le grand danger (...) c’est l'anthropomorphisme. Si on veut vraiment respecter les animaux, il faut les respecter pour ce qu'ils sont, c’est à dire des animaux".
Introduire de l’humanité dans les animaux revient à porter la consommation de viande au rang de cannibalisme. Il est possible de remettre en question la consommation de viande pour des raisons qualitatives, quantitatives ou encore économiques, mais certainement pas de la condamner par anthropomorphisme. Quoi de plus naturel que la prédation d’une espèce sur une autre ? A l’exception des espèces purement végétariennes, ce qui n’est pas notre cas, toutes s’alimentent au détriment d’autres ; c’est la fameuse chaîne alimentaire, et nous ne faisons pas exception à la règle. Le nier serait en totale contradiction avec notre histoire et nos origines !

De fait, j’exclue volontairement la chasse, que je n’affectionne pas, de ce débat. Non pas par anthropomorphisme évidemment, mais pour plusieurs autres raisons. Premièrement, je considère que le contexte environnemental actuel ne permet pas de pratiquer la chasse dans des conditions satisfaisantes. Notre territoire est fortement anthropisé, urbanisé, et je ne trouve personnellement aucun intérêt à aller faire une battue au sanglier au bord d’une autoroute sous prétexte de réguler l’espèce ou de tirer un faisan débarqué la veille d’un camion et qui se demande où a bien pu passer sa mangeoire.
Les spécialistes me diront sans doute que ce n’est pas le cas partout en France, qu’il reste encore quelques milieux préservés et que certaines espèces représentant un réel intérêt pour le chasseur passionné. Que ceux-là me pardonnent, je ne parle que de ce que j’ai pu constater dans ma campagne natale. Il ne fait aucun doute que si je vivais au fin fond de l’Alaska, je serai chasseur en plus d’être pêcheur. Mon rejet de la chasse est basé sur un contexte plus que sur des convictions.
Deuxièmement, la chasse est associées aux armes à feu avec ce que cela implique de dangers. Les statistiques des accidents de chasse me donnent malheureusement raison sur ce point : 143 accidents dont 18 mortels pour la saison 2016-2017.
Pour terminer, la chasse ne permet pas ce choix de graciation, il se termine irrémédiablement par la mise à mort du gibier recherché. Ce dernier point est incompatible avec mon mode de pensée environnemental .

La pêche, quant à elle, permet quelque chose d’extraordinaire : elle nous offre la possibilité de décider si nous voulons réaliser cet acte de prédation ou simplement nous limiter à sa mise en scène symbolique consistant à attraper un poisson et à le remettre à l’eau.
Certain animaux, y compris Homo Sapiens, peuvent tuer par jeu, mais nous avons également la capacité à gracier par conviction écologique.
Ainsi, je vais à la pêche avec la fascination de l’enfant qui veut observer et comprendre le monde naturel qui l’entoure, pas pour le détruire.

Mais revenons au sujet de départ de cet article : des associations, que je n’hésiterai pas à qualifier d’extrémistes, souhaitent interdire la pêche de loisir au nom de la souffrance animale. Vont-elle également demander l’interdiction de l’équitation, de l’aquariophilie, des animaux de compagnie, du dressage de chiens ? Evidemment non, puisque parmis les associations en question figurent les fondation Brigitte Bardot et 30 Millions d’Amis. Une totale hypocrisie si l’on fait l’effort de pousser la réflexion un peu plus loin.

Mais le débat est biaisé par le fait que ces associations présentent la pêche de loisirs moderne comme une activité ayant pour objectif premier de faire souffrir et de mutiler des poissons par plaisir. Ils s’appuient sur le concept de catch and release pour justifier cette théorie et demander purement et simplement l’interdiction de la pêche de loisir dans les départements dans lesquels le poisson est déclaré impropre à la consommation. Étrangement, le fait de prendre un poisson et de le tuer ne semble pas leur poser de problème particulier.
C’est déjà le cas par exemple en Suisse, où il est interdit de “pêcher des poissons à la ligne dans l’intention de les remettre à l’eau”, mais il n’est pour autant pas interdit de remettre un poisson à l’eau “lorsqu’il y a une raison écologique”. Déstabilisant n’est-ce pas ?
Il y a donc une opposition entre une vision purement anthropomorphique, qui attribue des notions de souffrance et d’émotions aux poissons, et une vision écologique - j’entends ici le sens premier du terme, en aucun cas son usage politique galvaudé.
Le problème est que l’objectif même de la graciation est le strict opposé de ce que nous reprochent ces associations. Nous n’allons pas à la pêche pour pratiquer le catch and release, mais nous pratiquons le catch and release parce que nous allons à la pêche et que, en tant qu’êtres conscients et intelligents, nous souhaitons limiter notre impact sur certaines espèces. Ce que ces associations nous demandent donc de faire, c’est d’augmenter notre impact sur le milieu en exerçant une prédation sur des espèces qui sont déjà victimes de nombreux maux. Sous prétexte de défendre la condition animale, elles condamnent la vie. Un exemple symptomatique de l’incohérence des extrêmes.

Dans ce débat, les notions de biodiversité et de protection des espèces sont tout simplement bannis. Les termes d’écologie, de conservation, de qualité de l’eau et de lutte anti-pollution sont également relégués au second plan.
Leur méconnaissance du milieu aquatique est telle qu’ils sont même incapables de présenter une espèce autochtone dans leur campagne d’affichage “Interdisons la pêche à Paris” : après une première affiche montrant une espèce marine, ils tentent de rattraper le coup avec une… truite ! Cela en dit long sur leur incompétence à traiter d’un sujet environnemental.

Au delà des idées, il y a des faits qui s’imposent. La pêche de loisirs en France représente un poids économique de plus de 2 milliards d’euros, mais je ne saurai opposer un intérêt financier, ni à la cause animale, ni à la protection du milieu et des espèces. Par contre, les pêcheurs de loisir en eau douce représentent plus de 1,56 millions d’individus, regroupés en plus de 3700 AAPPMA qui sont elles même chapeautées par 94 Fédérations Départementales. La disparition de notre loisir aurait un effet désastreux sur les milieux aquatiques car plus de pêcheurs signifie plus d’AAPPMA et plus de Fédérations. C’est toute une structure associative, qui je le rappelle a pour mission la Protection de Milieux Aquatiques en plus de l’organisation de la pêche de loisir, qui s'effondrerait et qui ne remplirait plus son rôle de surveillance, de réhabilitation et de protection. Les associations de pêche sont majoritairement financées par leurs propres cotisations et investissent massivement dans des grands travaux environnementaux.

Même si cette organisation associative est très critiquée actuellement, jugée vieillissante et inefficace par certains, on ne peut nier leur présence sur le terrain sur l’ensemble du territoire. Nous, pêcheurs de loisirs, par notre organisation et le financement de nos cartes de pêche, sommes les sentinelles des eaux intérieures françaises.
Pour cette raison, et d’un point de vue strictement environnemental, nous ne pouvons tolérer que la pêche de loisir soit interdite dans un seul département français.

Je terminerai avec un petit proverbe applicable dans bien des situations : Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient.

Bonne saison de pêche à tous.

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Truite dans son élément
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Note de l’auteur :

Les éléments historiques qui figurent dans cet article sont basés sur l’état des connaissances actuelles. Ils sont pour la plupart soumis à débat et peuvent être remis en question au grès des nouvelles découvertes. Les références ci-dessous sont des sources reconnues qui permettent d’approfondir les différents points et il est tout à fait possible de trouver d’autres références proposant d’autres hypothèses. La science avance !

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Références :

A propos de l'auteur

Pour Pierre, la pêche est un héritage familial. Il est initié par son père et son grand père dès qu'il a l'âge de tenir debout avec une canne à pêche. Il…