Enjeux économiques VS santé des rivières

Rivière Ardèche

Discussion vieille comme le monde sur un sujet qui divise plus que jamais : les barrages sont pour les pêcheurs des ouvrages qui emmènent un grand nombre de problèmes, plus spécialement sur la faune aquatique. Même si la relation de cause à effet parait évidente, est ce que ce ne sont pas plutôt l'amplitude et la fréquence des éclusés qui sont le véritable problème des barrages hydroélectriques. Tous ne seraient pas forcément problématiques (exemple : un grand barrage de stockage pour l’irrigation = gros impacts sur le milieu mais pas d’éclusés à l’aval). Un barrage est un obstacle à la migration, entre autres, de certaines espèces de poissons, des apports d'alluvions , des galets, et au sens large, une atteinte à la vie de la rivière . Mais je pense qu’un barrage ayant une fréquence de lâchers minime (pas plus d’une fois par jour voire moins), une hauteur de marnage limitée et surtout un temps de retrait et de descente du niveau de l'eau très long limiterait à bien des égards toutes les catastrophes auxquelles on assiste depuis bien trop longtemps .

Texte

Je vais prendre un exemple que je connais bien et qui concerne la rivière Ardèche. J’ai pu pêcher cette rivière avant la construction du barrage de Pont de Veyrières en 1986 et bien sur, après. Cette rivière était un vrai bijou même si j’ai mis longtemps à m'en rendre compte. Et oui, l’herbe est toujours plus verte ailleurs. Rien à dire avant que le barrage ne soit construit même si des égouts sortaient un peu partout comme dans toute la France à cette époque. De gros efforts ont été faits dans ce domaine et beaucoup de communes sont maintenant équipées. Puis pendant les premières années, tout n’était pas aussi noir que j’aurais pu l’imaginer mis à part quelques lâchers qui arrivent souvent quand on veut aller pêcher évidemment. Les lâchers justement n’étaient pas extrêmement fréquents et la faune sauvage a eu durant les premières années le temps de s'adapter à cette nouvelle situation. Mais la pseudo-joie a été de courte durée. Pour faire bref, les années passant, la rivière est devenue d’une tristesse sans nom. Les populations ont chuté de façon dramatique et je ne parle pas que des truites. On ne trouve presque plus de barbeaux et autres gros chevesnes que l’on prenait plaisir à leurrer avant le coup du soir et sur lesquels j’ai fait mes premières armes.  Mais qu’est ce qui a changé ?

Et bien ce qui a changé, ce sont la fréquence et surtout les hauteurs d’eau de ces lâchers d'eau. Ces montées et descentes d'eau subites ne laissent aucune chance à toute la petite faune qui, une fois rassemblée au bord, reste coincée et devient une proie de choix pour divers prédateurs et ça ne concerne encore une fois pas seulement les poissons. Beaucoup de zones se trouvent déconnectées trop rapidement et deviennent mortelles pour un grand nombre de poissons et invertébrés. Heureusement que cette rivière a encore des crues assez fortes et puissantes (malheureusement de moins en moins fréquentes) mais malgré cela, on peut voir de grandes portions de rivière qui passent sur la roche mère. Circulation des matériaux bloquée .

On a besoin d’électricité et les barrages sont encore considérés comme une énergie « propre » par une grande majorité de gens mais je reste persuadé qu’une prise en compte de ces temps de montée et de retrait du niveau d’eau serait un gros pas en avant. C’est d’ailleurs le cas dans certaines rivières notamment sur la Dordogne (cf. Défi éclusés) – le plus gros danger étant avant tout la vitesse de retrait de l’eau après une éclusé. Ces temps rallongés laisseraient à un grand nombre d invertébrés et poissons une fenêtre suffisante pour ressentir les changements de niveaux et ainsi regagner des zones de rivière où ils seraient protégés d'une mort certaine.

Mais les intérêts économiques sont devenus tels que les demandes ne vont que dans un sens et il est très difficile d’être entendu, je devrais même dire impossible. Les producteurs d’hydroélectricité sont désormais « branchés à la bourse ». Ils adaptent donc leur production, heure par heure, pour optimiser la rentabilité. Cela a pour conséquence d’augmenter l’effet « yoyo » sur les rivières aménagées. Par exemple, depuis les années 2005, on assiste à des éclusés dites énergétiques sur le Rhône (qui est pourtant censé produire au fil de l’eau), alors que ça n’était jamais le cas avant, lorsque le prix de rachat de leur électricité était constant… Par ailleurs aucune réflexion n est menée localement avec EDF et c'est pourtant ce qui devrait être fait. C’est par ce biais que dans certains départements, les choses ont évolué .

Je finirai par une nouvelle qui selon moi, ne va pas aller dans le bon sens non plus. En effet, pressée par la Commission Européenne depuis deux mandats, la France est sommée d’ouvrir à la concurrence la gestion de ses barrages. Si des entreprises privées rentrent en possession de certains d'entre eux (c’est déjà le cas dans pas mal d’endroits mais pour l’instant, les gros ouvrages sont gérés très majoritairement par EDF, SHEM et CNR), il ne sera plus la peine de songer préserver l'aval de ces ouvrages... L’intêrét économique va régler la vie de la rivière à un niveau directement proportionnel à celui de la rentabilité. Même avec beaucoup d’optimisme, l’avenir des cours d'eau est arrivé à un point critique et je tiens par le biais de ce papier à féliciter toutes celles et ceux qui oeuvrent encore et toujours pour nos belles rivières....

A propos de l'auteur

Patrick, dit Zarn, est un personnage à part dans le monde de la pêche : un taiseux épris de voyages, de nature, de photographie et adepte de cannes en bambou refendu !…