Le Tavanas de Patrick Sanguin

tabanas Patrick Sanguin

Si le "tabanas" est désormais connu de nombreux pêcheurs à la mouche, son histoire, elle, est beaucoup plus confidentielle... Son inventeur, Patrick Sanguin, nous raconte la genèse de cette mouche dont le nom original "tavanas" sent bon la Provence : 

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"Mon nom est Patrick Sanguin. Il ne dira rien aux jeunes pêcheurs à la mouche, mais quelques anciens se rappelleront de moi. Je suis né à Vichy (03) le 29/10/1946 et j'habite actuellement à Manosque dans les Alpes de Haute-Provence (04). J'ai été champion de France de pêche à la mouche en 1993. Je suis moniteur et guide de pêche, major de la promotion Marc Lavisse (diplôme d'initiateur). J'ai tourné deux films de pêche avec TF1, sortis en VHS Lodge Production et réalisés par Claude Cailloux, et un film avec Télé Monte Carlo. J'ai également participé à de nombreuses émissions radiophoniques, la dernière en date en 2019 sur Radio France Infos, avec la très compétente et non moins charmante Sandrine, avec laquelle nous avons passé quelques heures dans les eaux du Verdon à Gréoux-les-Bains.

Tout a commencé en 1987 : suite à un changement d'orientation professionnelle, je me suis lancé dans la pêche et la chasse, en ouvrant un magasin à Manosque. J'ai été très vite contacté par une poignée de passionnés de pêche à la mouche afin de monter un club. Après l'assemblée constituante, j'ai été nommé président. Ce qui nous paraissait important, c'était la défense des rivières, et profitant de l'agrément du ministère de l'environnement favorable à la fédération à laquelle nous nous sommes rattachés, nous fûmes à l'origine, entre autres, de la condamnation d'EDF jusqu'en cassation pour débits non respectés en Durance en 1994.

L'histoire du Tavan

En 1989, avec le déclin des gobages en rivière, nous avons commencé à pêcher en nymphe. C'était le début de la commercialisation des nymphes à billes par la société "Pêche Passion" de Laurent Prat. Ayant appris à pêcher seul à l'âge de 22 ans, je n'avais jusqu'alors toujours pêché qu'avec 2 mouches sèches... comme c'est déjà compliqué avec une seule mouche lorsqu'on débute, vous imaginez avec deux... merci bien les sacs de noeuds !

Un jour est arrivé un transfuge du club de Marseille Sud, appelé pour son travail à Manosque, un gentleman (je n'ai pas peur des mots) répondant au nom de Bernard Ferraguti, et c'est lui qui m'a donné l'idée du Tavan en 1990.

Je cherchais depuis quelques mois une mouche sèche capable de supporter une nymphe à bille et malgré toute notre bonne volonté, avec quelques amis qui m'accompagnaient régulièrement à la pêche tous les lundis, les grosses tricolores, les sedges même en poils de cervidé ne donnaient pas de résultats vraiment concluant dans nos rivières alpines très puissantes (sauf à l'étiage bien sûr).

Lorsque Bernard est passé au magasin, il me dit "Patrick, tu devrais monter une grosse mouche en poils de cervidé, en ajoutant un montage parachute.." et nous voilà partis... j'ai donc commencé ce montage, si particulier à l'époque (en 1990 je le rappelle) avec des hameçons n°10, ce qui pour une sèche destinée à pêche en journée, est tout de même... énorme !

Les débuts du montage furent assez compliqués et confus, pour tout avouer. Aussi les amis qui passaient, se demandaient ce que je pourrais faire d'un tel engin aussi volumineux... nous l'avons donc baptisé Tavan, déformation argotique provençale du Taon et par dérision, comme cette mouche était tellement grosse et voyante, nous l'avons finalement appelée... Tavanas

C'est vrai que le montage est assez compliqué, mais de plus, encore fallait-il pouvoir s'en servir correctement ! A force de tâtonnement, après une décision collégiale avec mes amis Michel Marc et Christian Richard, nous avons associé au montage du Tavanas une nymphe à bille, en l'accrochant sur la hampe de l'hameçon de ce dernier. Les résultats furent à la hauteur de mes espérances... ce fut fabuleux, la méthode sèche/nymphe était née."

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Patrick Sanguin
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Patrick Sanguin, inventeur du Tavan
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La compétition

"Nous n'avions aucun compétiteur au club, nous étions totalement dévoués, comme je l'ai dit précédemment, à la protection de l'environnement. Aussi lorsque Mr Jean-Pierre Berard, responsable à la FFPS, m'a téléphoné pour me demander d'inscrire quelques gars du club, j'ai posé la question en réunion de bureau et comme personne n'était désireux de se lancer... ce fut moi, et c'est parti de là !

Classé 20ème en 2ème division (NDLR : il n'y avait à l'époque que 2 divisions dans les compétitions mouche), je suis donc monté en 1ère en 1993. La 1ère manche eut lieu sur la Sioule et j'avais comme commissaire, je peux le nommer il ne m'en voudra pas, Bernard Alemany du Club de Valence. Il me demanda en gros avec ironie "qu'est-ce que c'est que cette pêche" que je pratiquais... Sauf qu'il changea d'avis à la fin de la 1ere manche que je remportais (je finis à la troisième place classement final du week-end). Je fus donc le 1er pêcheur à la mouche en France à utiliser la méthode Tavan/nymphe et, même si je n'ai pas vraiment les chevilles gonflées, je m'enorgueillis de cet état de fait, et je le revendique !

Pour la remise des prix, je fus sur le podium avec plusieurs membres de l'équipe de France.

La 2ème manche se déroula sur les Nives, avec des eaux très basses... De nombreux capots furent enregistrés, j'eus la chance de tirer un très beau parcours sur la Nivelle et de finir la première manche avec un poisson, après avoir cassé sur une truite d'une cinquantaine de centimètres et décroché 2 poissons de 30 environ.

Sur le parcours du dimanche, sur la Grande Nive, il ne fallait pas que je fasse une bulle, car les 2 compétiteurs classés devant moi sur la Sioule étaient fanny sur la 1ere manche.

Mon commissaire était le père de Yann Calery, futur membre de l'équipe de France, qui avait alors 17 ans à peine et était déjà un pêcheur très talentueux.

J'ai démarré fort en capturant 3 smolts, qui ne sont pas comptabilisés, mais je ne réussis la capture que d'une seule truite maillée, et pris plus de 10 poissons trop petits sur la manche. J'avais quand même sauvé la mise ! J'étais 3ème sur la Sioule et 6ème sur les Nives, avec 9 points place, je fus sacré champion de France 1993 devant Jacques Boyco, grand pêcheur pour lequel j'ai beaucoup d'estime."

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tabanas truite
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Le Tavan-nymphe

"C'est l'association de 2 mouches pour laquelle le Tavan a été créé. Le Tavan tout seul peut servir au coup du soir, car dans la journée c'est plus aléatoire... D'aucuns insinuent que cette association s'apparente à de la pêche au bouchon, c'est leur droit, mais Monsieur Sawyer, en son temps, avait déjà failli être lynché au Royaume-Uni parce qu'il préconisait la pêche en nymphe... alors...

Cette méthode a été interdite par la FFPS pendant plusieurs années en compétition en France, sous la pression de certains pêcheurs, alors que la FIP l'autorisait à l'international... Mais le bon sens l'a emporté et désormais tout est rentré dans l'ordre. Je pense que de la compétition né la nouveauté. Que n'aurait-on pas dit, lorsque l'américain Fosbury inventa dans sa discipline son fameux saut en hauteur "le Fosbury-flop" si l'on avait interdit cette nouvelle technique."

Guerre des appellations

"Grégoire Juglaret a raison quand il écrit que le taon fait partie, étymologiquement, de la famille des tabanidés. Nous en Provence, par moquerie ou ignorance, nous l'avons appelé tavanas et non pas tabanas ! Sans vouloir relancer la querelle entre anciens et modernes, je tiens quand même à l'appellation tavan, qui est celle de cette mouche. Mais je rendrais hommage à Grégoire, qui est un garçon d'une grande gentillesse et un pêcheur hors pair, à qui je souhaite un jour d'être champion du monde en individuel et lui dire merci pour me citer dans la confection du fameux tabanas.

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Patrick Sanguin
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Et pour finir, parce que je pense avoir été un peu long, je tiens à faire une petite mise au point : un article d'une revue spécialisée dans son numéro de novembre-décembre 2016, parlant des mouches fabriquées en chevreuil, affirmait que "les tabanas (sedge chevreuil parachute) ont été inventés, il y a une dizaine d'années par des savoyards ou pyrénéens"... Merci monsieur pour votre excellente documentation...

D'ailleurs, des bruits courent, selon lesquels j'aurais été contacté par Sergio Leone pour tourner un film dont le titre serait "Le bon, la truite et le tavan", je tiens à apporter ici un démenti formel : j'ai refusé, le cachet était insuffisant...

Je dédie ces quelques lignes à tous les gars de l'ASPM qui ont fourni un travail colossal pour l'organisation sur la Haut Verdon du championnat de France 1994, sans oublier mon ami Olivier Ters.

Merci à Simon Scodavolpe qui m'a permis de m'exprimer !

A mon épouse Elisabeth,

NB (je suis décidément incorrigible) : la Vilaine (Henri Bresson) ou Peute en patois, le voilier red black, la french bug, la jungle killer,...etc etc. Voici quelques noms originaux de mouche que je cite en exemple. Qu'auraient dit leurs concepteurs, ou que diraient-ils, si certains monteurs en changeaient le nom (sans aucun fondement sémantique). Alors laissons au Tavan son nom d'origine que je lui ai donné il y a maintenant 30 ans. Merci à tous ceux qui voudront comprendre ! "

 

Photos et dessins de l'auteur

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FICHE DE MONTAGE

  • hameçon JMC LG 30, ou 30BL
  • fil de montage noir 6/0
  • herls de paon
  • chevreuil
  • dubbing de lièvre ou de lapin
  • polypropylène blanc, jaune, noir ou vert fluo
  • hackle de coq gris dun ou brown
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mouche tabanas
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Tabanas
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Méthode de montage

  • enrouler le fil de montage de l'oeillet à la courbure de l'hameçon
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tabanas
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  • fixer 3 ou 4 herls de paon à l'aide du fil de montage
  • tresser les herls de façon à ne faire qu'un herl épais
  • mettre le fil de montage en attente au 1er tiers de la hampe de l'hameçon
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Tabanas
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  • enrouler le herl jusqu'au fil en attente
  • le fixer à l'aide du fil de montage
  • faire une demie-clé
  • prendre une touffe de poils de chevreuil et l'égaliser
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Tabanas
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  • Maintenir les poils entre le pouce et l'index et les placer au dessus de l'hameçon sans les lâcher (la partie foncée des fibres doit se situer au niveau de l'arrêt du fil et du herl, la partie arrière ne doit pas dépasser de plus de 5 mm)
  • faire un tour de fil de montage sans serrer puis un autre tour en serrant, la partie avant va se relever
  • tout en maintenant fermement le chevreuil entre votre pouce et votre index, sans appuyer sur la hampe, couper en biseau la partie de chevreuil relevée (attention à ne pas couper le fil de montage)
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Tabanas
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  • Ne surtout pas lâcher le chevreuil, sinon il va tourner sur la hampe
  • mettre une goutte de colle sur la partie égalisée
  • effectuer 4 ou 5 tours avec le fil de montage
  • mettre le fil de montage en attente au niveau de la partie qu'il reste entre le chevreuil et l'oeillet
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Tabanas
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  • préformer une mèche de polypropylène de longueur 3 cm et de diamètre 3 mm
  • passer la mèche derrière le fil de montage
  • ramener la mèche jointe vers soi (le fil est emprisonné) et la faire monter à la verticale au dessus de la hampe
  • faire 2 à 3 tours avec le fil de montage de chaque côté de la mèche qui se trouve perpendiculaire à l'hameçon
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Tabanas
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  • poisser le fil de montage
  • poser le dubbing (3 à 4 cm)
  • enrouler le dubbing entre le chevreuil et la mèche de polypropylène
  • passer entre la mèche et l'oeillet et faire un tour de dubbing
  • épaissir la tête avec le fil de montage
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Tabanas
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  • préparer un hackle
  • le fixer entre l'hameçon et le polypropylène, la face concave sur le dessus
  • couper le rachis
  • le hackle est placé à 45° par rapport à la hampe de l'hameçon
  • mettre une goutte de colle sur la tête de la mouche
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Tabanas
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  • prendre le hackle par la pointe avec une pince à hackle
  • le tourner autour au plus bas, il ne faut pas que le hackle monte sur le polypropylène
  • une fois le hackle tourné, l'emprisonner avec le fil de montage et maintenir la pince à hackle sur le dessus de l'hameçon
  • faire plusieurs tours de fil de montage de façon à grossir la tête
  • faire une clé, couper l'excédent du hackle, coller la tête, couper le fil (ne pas mettre de colle sur le hackle, pour cela, un passant de flotteur, que vous enfilerez sur l'oeillet de l'hameçon et qui maintiendra le hackle en arrière pendant l'opération).
  • une fois la tête collée, le passant enlevé, il ne reste plus qu'à couper l'excédent de polypropylène

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