
Dans l'actualité de la pêche à la mouche, 2025 fera assurément date avec l'arrivée sur le marché de cannes pensées, développées et fabriquées en France, en Ariège plus précisément. C'est la que Pierre Lavignotte, gérant de la marque Native, roule ses blanks sur des machines qu'il a lui même développées. Rencontre avec ce pêcheur aux multiples talents.
Salut Pierre! Peux-tu te présenter, ainsi que le reste de la team Native!
L’équipe Native au sens large, ce sont 5 associés et quelques personnes fortement ancrées dans le monde de la pêche de la truite, avec souvent des activités professionnelles liées à cette pratique. Une somme d’expériences hyper diverses chez des pêcheurs pointus, passionnés, guides, voyageurs ou compétiteurs. Uniquement des copains, avec qui on se retrouve sur la philosophie de la pratique et sur la dimension humaine, et uniquement des gens chez qui la pêche prend une grande place au quotidien.
Pour ce qui me concerne, je viens des Pyrénées-Atlantiques, j’ai commencé à pratiquer la pêche à la mouche il y a plus de trente ans, alors que j’avais 10-12 ans, d’abord sur les rives des Gaves béarnais, puis sur tout un tas de rivières, un peu partout à travers le monde au début des années 2000.
En parallèle de la pêche à proprement parler, j’ai toujours été passionné par le matériel, les cannes, mais aussi l’ingénierie et la technicité qui entourent leur conception et leurs procédés de fabrication. De cet intérêt ont fleuri différentes pratiques, autour du rodbuilding d’abord, puis de la conception de cannes avec les séries de cannes Native dédiées aux pêches en nymphe, et maintenant une sorte d’aboutissement avec le volet de fabrication de nos propres blanks.

Comment est né le projet Native Fly Fishing ?
Bien que la marque Native se soit fait connaître pour des pêches très typées nymphes et grandes rivières, les membres de l’équipe sont soit avant tout des pêcheurs à la mouche au départ, soit des pratiquants assidus depuis maintenant des années. C’est quelque chose qui me trottait dans la tête depuis le début de l’aventure : faire des cannes à mouches bien sûr, mais aussi, dans mes rêves les plus fous, fabriquer moi-même nos blanks, avec les spécificités que nous voulons voir dans les cannes que l’on utilise pour nos pêches.
Un peu comme dans le cas des cannes anglaises, nous sommes partis de l’idée que même s’il existe aujourd’hui d’excellentes cannes pour toutes les approches à la mouche sur le marché, il y a toujours quelque chose à revoir ou à optimiser, que ce soit purement du côté du blank ou du côté des partis-pris sur le montage.
Mon approche a donc été de rassembler mes compétences et connaissances dans le domaine de la fabrication de blanks et de finir de me former aux endroits où je considérais avoir des lacunes ou des angles morts, pour pouvoir être libre de A à Z de construire sans le moindre compromis ce que nous voulions, en étant capable d’ajuster les curseurs sur chaque aspect de chaque modèle de canne : puissances, actions, profils, réactivité, poids, finition, anneaux, poignées, porte-moulinets, etc.

Comment as-tu procédé pour te former ?
Une partie de ma formation, même si ce n’est pas académique, découle simplement de mon intérêt depuis toujours pour la technique et les procédés de fabrication de cannes… et de bien d’autres choses.
Il n’y a malheureusement pas de livre qui détaille les procédés et le nombre incalculable de petits détails techniques qu’il faut maîtriser pour fabriquer un blank. J’ai donc passé une vingtaine d’années à engloutir tout ce sur quoi j’ai pu mettre la main et qui touchait de près ou de loin au sujet.
Vidéos, articles, reportages, interviews, etc. Les sources sont très disparates mais nombreuses si l’on se donne la peine d’aller les chercher.
Avant de lancer de manière concrète la réalisation du projet, j’ai procédé à un état des lieux de mes connaissances théoriques, et ai essayé de compléter au maximum les parts d’ombre restantes, avant d’aller finaliser ma formation chez un fabricant aux Etats-unis, chez qui j’ai pu observer, pratiquer, et poser toutes les questions qui restaient en suspens de mon côté, et finalement fabriquer mes premiers propres blanks pour vérifier ma capacité réelle à faire passer tout ça du stade de projet théorique à celui de projet concret et réalisable.
Après ça, il a fallu monter la ligne de production des blanks, ici en Ariège. Pendant plus d’un an, j’ai conçu et fabriqué la plus grande partie des machines et des outils qui servent aujourd’hui à la production de nos blanks, avant de lancer les développements, les tests, la définitions des profils des mandrins, les recherches concrètes pour valider certaines hypothèses et obtenir ce que nous voulions depuis le départ : des mécaniques de cannes parfaitement adaptées aux pratiques de pêche à la mouche, pour chaque technique, chaque approche, sans concessions.
Le résumé est rapide, mais le travail aura été long et fastidieux. Un chemin parsemé d’embûches, de défis, de solutions à trouver à tout un tas de problèmes, de contretemps, etc. Bref, une sacrée aventure, éreintante, mais passionnante.
J’ai également bénéficié de nombreux conseils de la part de quelques personnes ayant une expérience dans le domaine de plusieurs dizaines d’années. Je pense qu’elles n’ont pas nécessairement envie d’être citées ici, mais leur aide a été inestimable.

Peux-tu nous décrire sur quels segments du marché s’insèrent les différentes cannes Native Fly Fishing ?
Difficile de parler de segment de marché. Comme nous l’avons toujours fait dans nos activités de développement, nous cherchons à créer des produits techniquement parfaits. La cible est donc tout simplement le pêcheur désireux de pratiquer avec un outil dans lequel tout est pensé pour le confort, la performance et l’efficacité.
Nous lançons une première gamme, Anthem, qui a pour vocation d'être assez large, mais en prenant le temps de développer chaque modèle jusqu’à ce qu’il corresponde parfaitement au cahier des charges que nous avions dressé au départ. Les modèles vont donc sortir petit à petit, au rythme de nos tests et développements.
Concernant le placement-prix, cette gamme de cannes Anthem est commercialisée au tarif public de 890€. Elle vient donc plutôt s’insérer du côté du haut de gamme, sans pour autant s’envoler vers les tarifs des grandes marques historiques américaines. Il s’agit donc d’un placement somme toute plutôt raisonnable au regard des investissements, de l’aboutissement de nos développements et de la fabrication française de A à Z.

Quels sont les éléments du montage les plus remarquables à tes yeux ?
Tous ! Blague à part, le but est de tout optimiser sur nos cannes. Côté montage, nous faisons le choix de faire en sorte que chaque aspect soit réfléchi pour être remarquable.
Les qualité et force de fer des anneaux sont adaptés aux pratiques pour lesquelles chaque modèle est conçu. Une force de fer différente est par exemple utilisée si la canne est développée pour lancer une soie ou si elle est plus typée pour une utilisation en nymphe au fil. Bien entendu, les répartitions et tailles des anneaux sont réfléchies pour chaque modèle.
Nous avons également conçu nos poignées, disponibles au choix en liège ou en carbone, et leurs formes et diamètres ont été étudiés dans le moindre détail.
Les portes moulinets, également de conception interne, sont pensés pour concilier esthétique, poids optimal, maintien parfait du moulinet en action de pêche et placement parfait de la gâchette vis-à-vis de la poignée pour les utilisateurs de moulinets semi-automatiques dans le cas des modèles downlocking.

Côté montage à proprement parler et esthétique, les finitions sont sobres avec des ligatures, des liserés et des vernis discrets et soignés. Rien de superflu, juste de l’efficacité.
Et pour finir, même si l’on s’écarte de la notion de montage, nous avons fait le choix de tubes en carbone peints, toujours pour une esthétique relativement sobre, et nos housses en coton sont elles aussi fabriquées en Ariège.

Quel public vise ces objets ?
L’idée est de couvrir toutes les principales pêches que nous pratiquons, qui sont les pêches à la mouche les plus classiques sur nos rivières et lacs : les pratiquants en nymphe au fil avec des cannes conçues pour ces approches, et ceux en sèche et nymphe à vue en rivières et lacs de montagne trouveront leur bonheur dans les gammes actuelles ou en cours de développement.
Au delà des techniques de pêche, ce sont des cannes qui s’adressent aux pêcheurs qui souhaitent pratiquer avec des outils pensés par des pêcheurs pointilleux, pour qui chaque détail compte, et qui mettent leur volume de pratique et leurs analyses au service de la conception des cannes. Des couples action/puissance, des poids et des équilibres qui permettent d’optimiser la propulsion et de limiter au maximum les décrochages tout en favorisant la tenue des poissons.
C’est bien là qu’est notre force. Nous pouvons multiplier les prototypes à l’infini, explorer chaque détail dans l’action et le montage. En nous appuyant sur cette compétence technique, cette capacité de production, et les compétences et expériences de pêche cumulées de toute l’équipe, nous avons la capacité de développer et de produire des cannes qui sont tout simplement agréables à utiliser et ultra performantes. Tous les pêcheurs sont donc visés, s’ils souhaitent pêcher avec de supers outils, qui plus est fabriqués intégralement en France... ce qui ne gâche rien.

Dans la pêche à la mouche peut-être plus que dans les autres techniques, on parle beaucoup de carbone, de module etc. Quel est ton point de vue sur ce sujet ?
Mon point de vue est que ce n’est pas vraiment un sujet, dans le sens où une canne à mouche n’est jamais faite d’un seul type de fibres. Toute la science de la conception d’une canne réside justement dans la capacité à utiliser le bon matériau au bon endroit. Nos cannes contiennent par exemple entre 5 et 7 types de fibres différentes.
Nous mélangeons des fibres multi-modules et multi-axes à 0°, 90° et +/-45°. Et bien entendu avec des scrims carbone pour la résistance et la légèreté. Ce sont les technologies les plus avancées qui existent à ce jour.
Nous utilisons actuellement exclusivement des matériaux fabriqués par Toray, et nous projetons même d’utiliser des fibres fabriquées en France, puisque Toray Fibers Europe possède un site de production dans le Béarn.
Quelles sont les garanties dont bénéficie l’heureux propriétaire d'une Anthem ?
Comme pour l’ensemble de nos gammes existantes, nous assurons une garantie “sans condition” pendant la première année. C'est-à-dire que si vous cassez votre canne, quelle qu’en soit la raison, nous remplaçons le ou les brins cassés contre une simple participation aux frais de port.
Au-delà de ce délai, notre qualité de fabricant nous permet de réparer ou de remplacer un élément sur n'importe quel modèle de canne pour un coût qui dépendra de la prestation.
Merci Pierre et à bientôt pour les premiers tests dans ces colonnes! En attendant, voici quelques images en immersion chez Native Fly Fishing :
