Cité à de multiples reprises dans ces colonnes, l'auteur américain John Gierach s'est éteint le 3 octobre dernier. Cet article réunissant ses plus fervents admirateurs de l'équipe rédactionnelle, Eric Bacon, Christian Guimonnet et Simon Scodavolpe, lui rend hommage :
" Bien sûr, John Gierach racontait des histoires de pêche, et qui plus est, des histoires de pêche à la mouche... mais à travers ses récits, il nous interrogeait sans cesse sur notre place dans le monde et sur notre façon d’interagir avec lui.
Il dressait un bilan peu glorieux de l’impact de l’activité humaine sur notre environnement, mais le faisait sans aucun misérabilisme, avec humour, impertinence et beaucoup de talent.
Je trouve notamment la marque de ce talent dans sa capacité à dire en une phrase ce qu’il me faudrait des minutes ou des lignes pour exprimer. Talent qu’il partageait, à mon avis, avec le grand et lui aussi regretté Jim Harrison.
Apprenant son décès, j’ai immédiatement pensé que nous devions lui rendre hommage dans un magazine qui lui doit son nom et dont l’équipe rédactionnelle partage assez bien sa vision du monde.
C’est un collègue qui m’a fait découvrir John Gierach, il y a plus de 15 ans. Il n’était pas pêcheur mais venait d’offrir « Traité du zen et de l’Art de la Pêche à la Mouche » à son père. Il m’a alors confié que c’était probablement un livre pour moi. C’est donc avec ce premier ouvrage que j’ai découvert l’auteur. Je l’ai dévoré puis relu assez rapidement.
J’ai ensuite attendu impatiemment la traduction et l’édition française (chez l’excellent éditeur Gallmeister) de ses autres recueils de nouvelles.
Je me suis hâté de les acquérir dès qu’ils sortaient, mais contrairement au premier, je ne lisais qu’une nouvelle de temps à autre, laissant trainer le livre sur ma table de chevet, pour faire durer le plaisir comme avec une boite de chocolats.
Combien de fois ai-je interrompu ma compagne dans sa lecture afin de partager avec elle un passage qui résonnait particulièrement fort en moi !
J’ai lu tous ses livres plusieurs fois, les emportant régulièrement en voyage ou allant chercher une nouvelle en lien avec mon activité du moment.
Il y a quelques années, j’ai envisagé un voyage de pêche aux USA dont le thème était John Gierach. Je voulais aller visiter les rivières de l’État du Colorado qu’il citait régulièrement dans ses ouvrages et que je ne connaissais pas, étant un fidèle habitué du Montana, de l’Idaho et du Wyoming.
Au programme : la South Platte River, le Cheesman Canyon, la Fryingpan River, la Roaring Fork River... J’avais également demandé à mes amis pêcheurs américains de me mettre en contact avec lui, espérant le rencontrer, lui poser quelques questions et pourquoi pas partager un moment au bord de l’eau. Cela aurait donné un article formidable !
Mais le COVID a contrarié ce projet qui ne s’est jamais réalisé.
C’est donc au « Paradis des truites » que nous nous croiserons peut-être, un jour...
Bien que profondément athée, j’aime bien cette idée."
Eric Bacon
« Nous fûmes d’accord pour dire que la manière dont une culture se confronte à la Nature et interagit avec elle est le seul critère valide pour juger de sa valeur. » John Gierach
"Lourde et tranchante comme un riff de Wolf Hoffmann la mauvaise nouvelle est tombée: John Gierach nous à quitté le 03 octobre dernier, fauché à 78 ans par une crise cardiaque.
En 2010, feuilletant un peu par hasard chez Virgin “Traité du Zen et l’Art de la Pêche à la Mouche” (première édition française parue chez l’excellente maison d’Edition Gallmeister en 2009) je succombais immédiatement sous le charme de l’ouvrage et de la plume du poète, véritable bombe dans la petite niche littéraire peu connue en France du Nature Writing.
Neuf volumes supplémentaires suivront.
Au bout de quelques lignes, je pêchais avec John, je vivais avec lui.
Aucune leçon de pêche ici, sa prose est débarrassée de tout égotisme, fardeau inhérent à la plupart des livres de pêche si souvent boursouflés de cette tare. Ce mec, à l’autre bout de la planète, semblait me connaître, partageait mes ardeurs halieutiques, mes préoccupations de pêcheur à la mouche ainsi que mes tribulations en tout genre.
J’éprouvais un sentiment incroyable ! J’étais de connivence,!
Avec lui, j’étais tour à tour le partenaire de pêche, le sentier qui mène à la rivière, les montagnes du Colorado ou du Montana, j’étais A.K Best son acolyte, ou tantôt le poisson… ou parfois John lui même !!
Bien sur on pêche, mais on voyage aussi beaucoup, énormément...
On chasse aussi un peu… on cuisine, on élève des poules, on a plein de potes marrants qui ont des chiens singuliers, certains fabriquent des cannes en bambou, on monte des mouches...on discute avec les serveuses dans d’improbables bars de campagne… on boit du café, beaucoup de café… on philosophe sans fin.
Et même si au détour de quelques anecdotes on peut y puiser quelques infos utiles en action de pêche, ses nouvelles ne sont pas destinées à nous apprendre à pêcher, or on apprend beaucoup.
Nous apprenons à “être au monde” en tant que pêcheurs, nous apprenons à travers John à ressentir,...à devenir... à nous comprendre.
Prouesse littéraire et stylistique.
S’exhale de l’ensemble de l’oeuvre un regard politique écolo dans le sens noble du terme subtilement distillé au travers du style (et qu’est ce que l’homme sans le style!?) dont les inspirations vont de la “Beat Generation” à Henry Thoreau en passant par Jim Harrison ou encore Norman Mc Lean.
Rajoutez à cela une recul philosophique salvateur, du naturalisme, beaucoup d’humour (John est le roi de la punchline!), une compréhension du monde et un certain détachement envers la société de consommation donc...et du modèle américain en particulier. Je ne pouvais être que séduit.
Le monde est moins bon sans lui, c’est une grosse perte.
Pour toutes ces raisons je considère John Gierach comme plus grand écrivain de pêche de tous les temps, tous horizons confondus.
Je vais relire.
Repose en paix John, ami des truites et de tous les pêcheurs."
Christian Guimonnet
« Une belle mouche qui ne prend pas de poisson n'est pas une belle mouche. » John Gierach
"John Gierach est entré dans ma vie de pêcheur à un moment opportun. Alors âgé d’une vingtaine d’années, j’avais déjà acquis une petite expérience qui me permit d’en saisir la substance. L’écho qu’il trouva me marquera à jamais.
Fréquemment cité par l'équipe rédactionnelle de feu Salmo Magazine, je ne me souviens pas exactement de la manière dont le "Traité du Zen et de l’Art de la Pêche à la Mouche" a atterri entre mes mains d'étudiant. Par contre, je ressens encore distinctement la percussion procurée par la prose de l'auteur, totalement inédite dans le monde de la littérature halieutique que j’explorais alors. Son humour détonant (bien loin des auteurs mornes un tantinet snob qui s'empilaient dans ma bibliothèque !), son autodérision et ses postures iconoclastes ont complètement séduit le moucheur hérétique que j'étais alors (et que je demeure !).
Personnage inclassable, capable de fustiger le chapeau à plume d'une formule acérée puis d'expliquer quelques pages plus loin son amour invétéré pour le bambou refendu, John Gierach est un homme profondément libre et attachant.
Très vite, la lecture de ses livres est devenu virale, la sortie d’une nouvelle traduction française étant vécue comme un petit évènement dans mon cercle d’amis pêcheurs. Dans ses écrits transparait une réelle authenticité et l’on redécouvre grâce à lui un certain visage de l’Amérique de l’ouest : une vie rurale et rustique, presque autarcique, calquée sur les saisons, un idéal pour de nombreux pêcheurs chasseurs qui tend aujourd’hui à disparaître, tant nous sommes happés par le numérique et l’artificialité.
Au final, Gierach est peut-être le parfait lien entre le monde de la pêche et le mouvement de Nature Writing initié par Thoreau et Edward Abbey que vous découvrirez forcément par ce biais-là, si ce n’est déjà fait. Il représente en fait un genre à lui seul, où se mêlent technique de pêche pure (vous apprendrez réellement des combines intéressantes à mettre en œuvre au bord de l’eau !), descriptions naturalistes couplées à une délicieuse propension à parler des Hommes, à travers le prisme des aspects précédents.
A ce propos, je ne peux qu'encourager le commun des mortels, qu’il soit pêcheur ou non, à s'intéresser à l’œuvre du bonhomme, tant le propos est riche de sens. On touche ici à la philosophie, à la sociologie voire à l’anthropologie, plus qu'à la pêche à proprement parler (le format de ses opus constitué d’un recueil de différentes nouvelles sied d'ailleurs parfaitement à celui qui désire sauter les passages trop techniques).
Notre magazine porte le nom de la traduction française de son livre The view from Rat Lake, notre seul regret est de n’avoir pu vous offrir une interview de ce génie.
Merci pour tout John, j’espère que le café est à ton goût au Paradis des truites."
Simon Scodavolpe
« A vrai dire, je suis aussi facilement agacé par les pêcheurs qui sont plus snobs que moi que par ceux qui le sont moins, et il n'est pas impossible, au bout du compte, qu'il n'existe en réalité que deux types de pêcheurs : ceux de votre groupe, et les connards. » John Gierach