Après avoir discuté des attentes de pêcheurs de truite en 2022, reprenons notre entretien avec Laurent Garmendia, directeur de la FDAAPPMA 09, sur la thématique "halieutisme en Pyrénées". Nous nous sommes arrêtés en nous interrogeant sur les causes potentielles des maigres résultats obtenus par les pêcheurs sur les rivières patrimoniales en Ariège : est-ce que les truites ne sont pas capturables ou est-ce qu’il y en a peu en raison d’une réglementation pêche laxiste ?
Explorons d'emblée la deuxième hypothèse Laurent, est-ce que vos réglementations pêche dites laxistes (maille à 20 quota à 10) ne limitent pas le recrutement par le biais d’une raréfaction du nombre de géniteurs trop souvent prélevés par les pêcheurs paniers ?
Il est bon de procéder à un rappel de ce qu’il se passe dans la relation géniteurs/alevins de truite, prenons des cas extrêmes pour bien comprendre :
Retournons en 2003 pendant la sécheresse historique, j’étais alors en plein Massif Central où j’ai vu des choses incroyables. Sur l’affluent principal du Viaur par exemple, on pouvait faire du VTT dans le lit de la rivière, il restait de rares flaques d’eau !… Ainsi, on a pu suivre sans aleviner des endroits totalement dézingués où il ne restait que quelques poches d’eau avec de rares géniteurs... On faisait du suivi de population sur la Muze, un affluent du Tarn en première catégorie, ses affluents les ruisseaux d’Estalane, Fouyrouse…etc. C’était très intéressant de voir qu’avec si peu de géniteurs, les écosystèmes se sont reconstitués à vitesse grand V en raison d’une très faible compétition entre les alevins : à peine ces milieux remis en eau, les rares pontes ont bénéficié de taux de survis maximisés !
Il faut bien insister là-dessus : les truites fario sauvages passent leur temps à se friter pour l’habitat !
J’ai eu la chance de travailler à l’INRA de Saint-Pée sur Nivelle qui bénéficie d’une chambre de vision enterrée sur une déviation d’un ruisseau où l’on pouvait observer le comportement des poissons : on faisait passer des planches de kayak sur les truites pour voir leur réaction. Ça permettrait d’en savoir plus sur les relations entre elles, notamment en matière de compétition spatiale et d’interactions dominants/dominés qui se mettent en place dans un groupe d’individus. C’est un peu comme si on mettait un bout de steak entre nous trois affamés et qu’on se demandait qui allait choper le bout de viande en premier, y’a plus de social qui intervient là.. Bon, dans le cas présent, je dirais que c’est Vieilhescazes qui se jetterait sur le morceau de viande (rires).
… on est tous d’accord !
Retenons donc que nos truites sont en compétition permanente entre elles ce qui leur coûte en terme de survie. Ainsi, quand l’habitat est vaste, quand la compétition entre elles est réduite, chaque alevin issu d’un œuf voit sa chance d’arriver "au bout" amplifiée ! Une truite de 23 peut dans ce cas idéal produire 200 alevins au lieu de 100 parce que la place est libre ! Il existe de multiples exemples de ce phénomène : on peut citer les taux de recolonisation très forts observés dans le 65 et le 31 (dans le Luchonnais en particulier) suite aux crues de 2013… exactement pareil.
Oui, et précisons aussi que la réglementation pêche n’a nullement été modifiée dans tous ces cas que tu cites, donc il est impossible d’attribuer cette recolonisation record à une quelconque baisse du prélèvement…
Oui, toutes ces FD avaient gardé leur quota à 10 et leurs mailles basses… C’est un peu le sens du débat !
Prenons des exemples ariégeois similaires : nous avons connu des crues fortes en 2013, 2014 et 2015 qui ont affaissé les populations de truites de nombreuses rivières et cassé la pyramide des âges par le bas … donc 3 ans après forcément, il n’y a pas beaucoup de géniteurs ! Allan, le responsable technique de la FD a eu beau expliquer ce phénomène, les responsables d’AAPPMA n’étaient pas rassurés et voulaient "faire quelque chose" : selon les courants de pensées, certains voulaient aleviner, d'autres protéger les géniteurs restant parce que c’est toujours la même histoire "et si les préleveurs prenaient les derniers des derniers ?"...etc.
Et, classiquement, aux premières conditions hydrologiques favorables, sans bouger les curseurs, nous avons observé la recolonisation avec explosion du nombre d’alevins… Vous pouvez étudier la truite fario partout dans le monde, vous aurez toujours la même chose : c’est le régime hydrologique qui conditionne l’abondance en alevins, la variable géniteur ne rentre pas sérieusement en compte.
Montre-le nous avec des chiffres si tu veux bien !
Démarrons par ce cas :
Prenons un ruisseau affluent du Salat de 4 ou 5m de large. Ce cours d’eau est en bon état avec un plan de gestion conforme, donc en gestion patrimoniale depuis 2009 avec pêche électrique de suivi tous les ans. Je précise bien que la station de pêche illustre la répartition des faciès (radiers, plats, plats courants, profonds par ex) rencontrés sur le tronçon étudié. Regardez le graphique 2 : en ordonnées le nombre de géniteurs capturés en fin de saison de pêche à l’année N et le nombre d’alevins à N+ 1.
Regardez le nombre de géniteurs en bleu, au niveau des années 2016 et 2019 entourées en rouge, elles correspondent aux nombres de géniteurs les plus faibles et aux meilleures années de reproduction !
On voit aussi pour compléter le propos que les années avec le plus grand nombre de géniteurs correspondent aux plus faibles taux d’alevins à l’année N+1, phénomène sans doute expliqué par l’hydrologie (crues) de ces années-là.
Quel que soit le nombre de géniteurs, c’est l’hydrologie qui détermine le recrutement. Les crues constituent l’alpha et l’omega de la production d’alevins, mais attention, pas n’importe lesquelles on va le voir maintenant ! Une crue sur des œufs enfouis n’a rien à voir avec une crue sur des alevins post émergents…
Venons-en à caractériser statistiquement l’hydrologie durant la période de la ponte des œufs à la fin de l’émergence de l’alevin. 3 variables de débits sont retenues :
- pendant l’incubation des œufs,
- à la post émergence des alevins,
- pendant l’étiage qui porte en lui la notion de l’habitat disponible et, notamment pour le piémont et la plaine, la température.
Regardez le graphique 3 :
Avec ce modèle, on va caractériser sur le plan strictement hydrologique chacune des années étudiées :
2018 par exemple, à l’est sur le graphique, est caractérisée par : beaucoup d’eau pendant l’incubation des œufs et la post-émergence, donc année pourrie pour la reproduction.
Si on va en nord-ouest sur le graphique, on a 2019, année très favorable avec peu d’eau pendant l’incubation et la post émergence et de bons débits d’étiage en été.
2017, encore plus favorables que 2019 pour les débits hivernaux mais sécheresse estivale qui n’est pas très grave en Pyrénées notamment en raison d’une marge disponible sur la thermie (en Massif Central par contre, elle aurait fait mal !).
2016 aussi une excellente année au niveau de l’hydrologie et 2020 année moyenne… ect.
Refaisons le lien avec la biologie : en toute cohérence, vous devriez prédire qu’en 2018, on ne devrait pas voir d’alevins alors qu’en 2019 on devrait exploser les scores…
…et en pratique les résultats de pêche élec’ montrent quoi ?!
Hé bien comme le montre le graphique 4, en 2016 et 2019 sur les stations fonctionnelles, les résultats du nombre d’alevins sont en parfaite conformité avec nos interprétations tirées de l’hydrologie : 2019, la référence absolue pour nous, un recrutement exceptionnel… ça ne rate jamais à l’échelle d’un bassin !
Retournons sur le graphique 2 : par exemple en 2018 sur le ruisseau qu’on évoquait, même s’il y avait eu le quintuple de géniteurs, en raison de l’hydrologie très mauvaise, on n’aurait quand même pas eu d’alevins.
Donc en plus, un nombre de géniteurs important ne sert même pas à « compenser » une hydrologie défavorable, ça n’intervient même pas ?
Exactement… ce qu’on remarque au final sur le graphique 2 :
- les 2 points rouges (2016 et 2019) : très peu de géniteurs et beaucoup d’alevins… (en 12 ans de suivi on n’a plus jamais atteint ces scores de recrutement !)
- on a aussi le cas d'une année avec très peu de géniteurs et très peu d’alevins (2018), c’est systématiquement une crue qui est passée par là…
- et enfin, on a des années avec beaucoup de géniteurs mais des conditions hydro défavorables qui donnent très peu d’alevins (comme en 2014).
Maintenant, puisqu’on a souligné l’importance de l’hydrologie, regardons la relation qu’il existe entre le débit max entre janvier et juin et le nombre d’alevins produit avec le graphique 5.
En abscisse est noté le débit max potentiellement dangereux pour les frayères et les alevins (en rapport au module de la rivière, donc la valeur 20 désigne par exemple 120m3 en hiver pour une rivière dont le module est de 6m3 à l’année) et en ordonnées le nombre d’alevins au 100m². On a étudié 2 rivières : le Vicdessos (en bleu) et l’Arac (en marron).
Par exemple à 90m3 sur la station de l’Arac (15 fois le module), on n’a plus d’alevins, alors pour la station du Vic, il n’en reste plus dès qu’on a atteint 10 fois le module. Et plus tu te rapproches des faibles débits, plus le nombre d’alevins monte.
Du coup, y’a-t-il encore besoin de faire des pêches électriques pour quantifier les alevins avec ces modèles prédictifs ? (rires)
Exact, globalement on a rarement des surprises mais il peut y en avoir (on a quelques exemples sur le graphique), mieux vaut mesurer la biologie quand même et accumuler des résultats.
Donc, pour notre réflexion, ça signifie que pour un département considéré comme l’un des plus laxistes en matière de réglementation pêche, au final on a des productions à faire pâlir de jalousie de nombreux gestionnaires ayant mis en place des mesures restrictives…
OK, on est d’accord pour confirmer les bons recrutements là où le milieu est fonctionnel, là où les truites peuvent pondre, bouffer et grandir. Et là où ça va mal tu as des données ?
Bien sûr, prenons le cas de l’Ariège pour voir sa dynamique, secteur de Varilhes, dans un secteur touché par la PKD. En 2016 et 2019, voyons la production sur le graphique 6 :
Les échelles sont à 60, ça donne le ton du niveau de la production dans un secteur très perturbé mais maintenant si je vous dis que cette zone de pêche électrique est en réserve (c’est le petit bras rive droite en aval du pont), on pourrait vite se convaincre de l’importance de la mesure réglementaire ayant "sauvé" les géniteurs et donc la production d’alevins d’une rivière malade...
Pour vérifier, remontons la vallée dans un tronçon encore plus perturbé par la PKD, secteur de Savignac avec en plus des éclusées très importantes sur une zone ouverte à la pêche. En 2016 et 2019, voyons la production sur le graphique 7 :
En 2016 à gauche (échelle à 90), on a une belle production d’alevins sur des pêches réalisées en septembre/octobre soit 250 alevins et en 2019 (échelle à 250), carrément 700 alevins !
Donc sur cette rivière perturbée avec des populations amoindries, qu’on soit en réserve ou en secteur pêché, le recrutement en alevins est massif en 2019 notamment. Et vous pouvez récupérer des résultats de pêches électriques de tous les autres intervenants qui y font des pêches de sauvetage dans le cadre de travaux, ils vous diront que cette année-là, c’est le grand cru du siècle !
Rajoutons qu’en 2017, on faisait une étude pour EDF des impacts des éclusées en suivant précisément la reproduction sur les 4km d’Ariège en dessous de la confluence avec l’Oriège. Ça voulait dire : 4 techniciens dans la rivière qui recensent toutes les zones de reproduction. Sur la station de Savignac riche en alevins je le rappelle (250 ou 700 pour le record !), on a comptabilisé 0.2% de surface favorable à la reproduction sur le tronçon… et comble de l’histoire : on a recensé des frayères en mauvais état pour 73% d’entre elles, donc la situation était loin d’être optimale ! Ces excellents recrutements en alevins ont été produits par très peu de frayères et de qualités très moyennes, qui plus est avec des géniteurs impactés de la PKD… On est très très loin de montrer la nécessité de protéger les géniteurs et les frayères pour assurer un bon recrutement…
Ces cas extrêmes sont fondateurs pour comprendre les mécanismes qui fabriquent de l’alevin : nous les Hommes, dans cette histoire, ne sommes pas trop invités à la table à moins de maîtriser le robinet (l’hydrologie), aux moments clés.
Ne cherchez pas plus loin : quand les planètes hydrologiques s’alignent, si vous avez quand même quelques frayères et un stock existant (même faible) de géniteurs, les alevins sont là, le reste : de la littérature !
Pour être complet, j'ajouterais que produire de l’alevin en mai n’est pas une finalité : une réduction drastique de l’habitat par une sécheresse ou des prélèvements d’eau, des températures de l’eau élevées, une PKD peuvent vous ratiboiser la production à l'automne (cas de l’Ariège avec la PKD) et "sauver des géniteurs" n’y changera rien.
Là tu fais tomber tout un tas de légendes et on va encore se faire vilipender...
J'explique le réel ! Mais chez nous aussi, ça pose questions. Je ne vous cache pas qu’observer ce que peut donner 0.2% de frayère, ça interroge sur nos méthodes d’analyse : est-ce qu’on met trop de filtres pour définir ce qu’est une frayère ? Est-ce qu’on n’occulte pas trop la capacité des truites à se démerder ? Ne seraient-elles pas capables de frayer sous 1m50 d’eau parce qu’il y a du gravier alors qu’on ne le répertoriera pas en tant que frayère parce que la vitesse dessus est faible ?
Bon visiblement le bilan est sans appel : ça ne sert à rien de protéger les géniteurs par la réglementation pêche !
Oui et le corollaire à tout ça, c’est la question posée par toutes les mesures de bonnes intentions consistant à protéger les frayères (interdiction de pêche en marchant dans l’eau pour préserver les nids, balisage des frayères...etc) versus les contraintes qu’elles posent à l’halieutisme.
Et quand on y regarde de près, malheureusement, l'efficacité de ces mesures est de l'ordre du pouillème dans la problématique générale alors qu’elles pénalisent des techniques de pêche au printemps. Si demain, tu m’enlèves la possibilité de rentrer dans l’eau sur les belles éclosions de Rhodanis ou de March en mars/avril pour une efficacité dérisoire sur la production d’alevins, je vais le vivre bien mal !
On l’a vu dans le 09, on n’interdit rien, on ne protège pas les géniteurs et les alevins sont abondants quand ils doivent l’être.
Le détricotage comme nous le faisons là casse des croyances et l’idée selon laquelle on peut agir réellement sur les choses… mais ne soyons pas radicaux non plus, on peut aussi filer des coups de pouces à nos truites à condition de très bien diagnostiquer le problème au départ.
OK on a bien compris pour le poncif « faut protéger les géniteurs pour améliorer les choses », maintenant quand même, parle-nous des abondances de ces même géniteurs car même s’ils n’interviennent pas dans la dynamique de pop, leur nombre et leur taille conditionnent la qualité de la pêche aux yeux de beaucoup de pratiquants !
Prenons de nouveaux exemples qui vont d’ailleurs nous ramener à la question de la capturabilité :
Voici sur le graphe 8, un premier exemple d’abondance en truites adultes de l’Arac avec maille à 20 cm et quota à 10, rivière considérée comme « curée » par de nombreux pêcheurs :
On retrouve en pêche électrique de fin de saison 30 truites à 20 cm, 30 à 21, 30 à 22, 60 à 23 sur 100m…. Soit une biomasse de 250 kg/ha… 120 poissons maillés sur 100 en fin de saison de pêche… Si ça c’est curé, là je ne réponds plus de rien… vraiment ! Si un pêcheur qui lit ces chiffres les trouve nuls, je ne peux rien pour lui !
Passons sur d’autres exemples : la Bouigane, le Garbet en débit réservé, idem (notez au passage que cette année là il n’y a pas d’alevins malgré les géniteurs, un crue était passé par là…)...etc.
Voilà un inventaire des grands classiques ariégeois : on tourne pour les meilleurs à 100/120 truites maillées sur 100m en fin de saison de pêche.
Je réponds ici à ceux qui prétendent qu’« il n’y a plus rien », ceux qui critiquent le club halieutique parce qu’on y bouffe les géniteurs et qu’il n’y plus d’alevins…
Et la taille de ces poissons alors ?… pour répondre à ceux qui prétendent : « il y en a d’accord mais on n’est pas satisfaits car elles sont trop petites » ?
Tu sais bien que c’est infini ton affaire, si je te dis qu’on en a plein de 26cm, tu me diras vouloir des 30cm, si je te montre des 30cm, tu me diras que les "35cm c’est quand même autre chose"…ect.
Alors prenons l’exemple du Vicdessos, cours d’eau fréquenté s’il en est avec le graphe 11, on va maintenant raisonner par génération :
Par exemple en 2019 en Septembre, on fait une pêche électrique, on prend 417 alevins 0+. Puis en 2020, on refait la pêche élec' et on compte les poissons 1+ issus de ces 417 alevins (ils font alors entre 13 et 19 cm), on en trouve 173... puis on fait une pêche de la même génération en 2021, 86 poissons. Vous l’avez compris, on suit une génération dans le temps.
D’abord, on note que pour un cours d’eau dans la réciprocité d’une FD dite "clientéliste" soit disant curé par le prélèvement, on a en fin de saison 2018, 195 truites sur 104 mètres (166 en 2019, 148 en 2016)… presque 200 truites sauvages à la maille en septembre sur un des cours d’eau le plus pêché du département, ça interroge sur le niveau du prélèvement !
Attends, petite parenthèse : peut-être qu’il y en avait le double de maillées en mars, avant le passage des viandards !
Viandards, tu veux dire des pêcheurs respectables qui prélèvent de plein droit, c’est ça ? (rires)
On peut profiter de cette question pour détricoter une autre idée reçue : "alors si à l’ouverture y’a 200 truites maillées sur le parcours et que chaque pêcheur en prend 4, seulement 50 types vont tout curer et en septembre y’en aura plus pour pondre !"
L’erreur dans ce raisonnement c’est de considérer que le nombre de poissons maillés est figé en mars comme des chocolats dans une boite de Noël et qu'ils disparaissent les uns après les autres au cours de la saison. Le système est au contraire très dynamique : une truite de 18cm en mars, sera maillée dans la saison donc il en rentre dans la pêcherie en cours d’année comme il en sort naturellement.
Pour revenir à ta question, on parle du Vicdessos dont la croissance est limitée par la géologie et la température avec une biomasse à 260 kg/ha. Pour comparaison, la plus belle pêche électrique de ma vie, et ça ne vous étonnera pas, je l’ai faite sur un cours d’eau calcaire à forte croissance qui s’appelle le Cernon sur une station de 8m de large (différence de croissance : quand elles ont 3 étés sur le Vic elles font entre 20 et 25cm, elles en ont 2 sur le Cernon), on a obtenu 500 kg/ha de truites dans une réserve avec une pisciculture au dessus et des rejets organiques partout...
Donc, non, le Vic ne peut pas atteindre ce niveau, faut aussi accepter que tout n’est pas comparable, les biomasses sont contraintes par un environnement, y’a des formules 1 et les autres, on va le voir...
Sur le nombre d’accord on a compris, mais sur la taille alors, pourquoi on a si peu de truites de 25+ qui donneraient du plaisir à beaucoup de monde ?
Les pêches électriques montrent qu’il n’y a pas un gros prélèvement sur le Vicdessos, toujours à cause de la faible capturabilité des truites des rivières en gestion patrimoniale : on le voit les 2+ entre 20 et 25cm sont très abondantes, alors que ce sont ces poissons là qui représentent le plus grand nombre de maillés potentiellement conservables par les pêcheurs panier. Par contre on s’attend du coup à ce qu’il y ait beaucoup de 3+ (> 26cm) et là, pas de bol, les effectifs s’écroulent !
Prenons la génération 2016 pour illustrer : on part avec un record de 723 alevins, ils ont laissé 251 truites 2+… regardez le taux de poissons 3+ perdus (soit qui sortent de la station, soit qui meurent, soit qui sont pris à la ligne), la perte sèche est énorme… A noter que les mortalités fortes sur les stades précédents (par exemple entre 0+ et 1+) sont normales et bien documentées chez la truite, pas de surprise à ce niveau.
On ne peut bien sûr pas croire que les pêcheurs préleveurs auraient volontairement choisi de garder prioritairement les poissons de plus de 26 et remis à l’eau les truites entre 20 et 25cm…
On le voit ici : quelque soit le nombre de 2+, on n’arrive pas à faire décoller les 3+.
Les pertes en lignes sont très fortes (voir ci-dessous) :
On part donc du constat d’une disparition anormalement élevée qui s’opère au-delà de 26 cm, comme si l’habitat nécessaire à des truites de 26cm n’était pas présent alors que les faciès de la stations montrent 13% de profonds.
Des pêcheurs ont l’impression que mettre le Vicdessos en No-Kill ou en réserve produirait des poissons de 35 cm partout mais ce qu’on voit là (et sur d’autres stations où la dynamique est strictement la même) pose littéralement question et n’est pas très encourageant pour en faire un parcours cinq étoiles avec de beaux poissons en gestion patrimoniale si on restreint très durement la réglementation...
Donc selon toi, cet écrêtement des 26+ est conditionné par l’habitat ?
Je n’en sais rien ! On peut poser plusieurs hypothèses. Je ne sais pas pourquoi on ne prend pas plus de truites de 30cm sur le Vicdessos… alors que, dans l’eau, en regardant autour de toi, tu te dis qu’il y a tout ce qu’il faut en matière de caches…
Et la densité dépendance ? Mettez la maille à 12 pour voir ! (rires)
La croissance densité-dépendante est effectivement une piste, on peut raisonnablement se demander ce que produirait un écrémage des 1+ sur les radiers et les plats courants ! Là on rentre dans le subversif : si on tapait dans les poissons de 16/17cm, on produirait peut-être plus de 30cm sur le Vicdessos !
Cette expérimentation n’aura pas lieu mais elle est très tentante. D’ailleurs regardez le devenir de la génération 2018, la production d’alevins est minable mais elle se défend très sérieusement en matière de nombre d'individus de stade 3+ comparativement aux années de productions de dingue 2016 et 2017.
A ce sujet j’ai proposé à l’AAPPMA de Tarascon qui gère le parcours qu’on passe cette station en No-kill pour vérifier tout ça. On a suffisamment de données ici avec une réglementation "laxiste" pour pouvoir comparer avec une restriction dure. Expérimentons et mesurons !
Bon la réponse à la question posée dans le titre de l’article c’est qu’en fait "y’en a trop" des truites dans vos rivières ! (rires)
Ce que je vous expose là sur le Vicdessos, c’est ce qu’on voit à peu près partout sur les cours d’eau fonctionnels de moyenne montagne, qu’ils soient très pêchés, peu pêchés ou carrément en No-Kill : quand on atteint la taille de 25/26 cm, tout se casse la gueule… et surtout, il ne faut pas confondre la taille et l’âge, attention à ne pas dire « c’est quand on passe de 2+ à 3+ que ça diminue », c’est la taille qu’il faut considérer ! Par exemple, si on part sur les ruisseaux de haute montagne, on retrouve fréquemment des 5+/6+ là-haut qu’on n’observe jamais sur le Vicdessos, mais c’est uniquement parce que ces 5+/6+, elles font 24 cm en montagne !
On touche là un vrai problème, on s’est mis en tête qu’on pouvait avoir des poissons de 6 ou 7 ans partout, mais pas du tout ! Dans toutes les pêches électriques que nous faisons, même là où la pression de pêche est faible, le cap des 25/26cm est rarement franchi ! Alors attention, ça ne veut pas dire qu’il n’y pas des gros poissons par-ci par-là, évidemment, mais dans les habitats que nous prospectons en pêche électrique et qui correspondent à la très grande majorité des habitats sur un cours d’eau moyen, ils y sont rarement.
Et sur les milieux présentant cette dynamique là, tu n’arrives pas à corréler cette observation au manque de grosses caches ?
Sur certaines zones du Vicdessos il y a ponctuellement de gros habitats et il doit bien y avoir la dedans quelques 35cm, oui ! Mais globalement, les faciès de nos stations inventoriées représentent ceux du Vic, à savoir des plats courants plus représentés que des portions à gros profonds.
L’habitat seul ne peut pas totalement expliquer le phénomène, n’oubliez pas que dans les années 90, on avait des dizaines de réserves de pêche dans des traversées de villages avec des habitats pas formidables, elles abritaient des truites de 50/55 cm qui se doraient la pilule au soleil ! Je précise aussi cela parce qu’on entend souvent que, lorsqu’un No-kill ne marche pas, c’est qu’il est trop court… sauf que des réserves de 100m de l’époque produisaient de très beaux poissons ! Ce n’est donc pas une question de longueur du No-Kill, l’explication est ailleurs…
En réfléchissant, on peut émettre plusieurs hypothèses sur le changement qui s’est opéré en quelques décennies : d’abord, les villages concentraient la pollution organique qui boostait le milieu ! On rencontre encore de nos jours quelques truites de 40/45 cm en pêche électrique en moyenne montagne, très souvent elles se mettent dans le rejet non épuré d’un village ! Et toutes les autres font 20 cm dès qu’on s’en éloigne ! Les Agences de l’Eau et les collectivités ont fait un travail remarquable d’épuration des eaux mais cela a appauvri les milieux (surtout les granitiques) qui, à l’évidence, ne sont plus en mesure de produire en nombre ces gros poissons.
Au final, l’explication du manque des 26cm+ est multi-factorielle : il y a sans doute un problème d’habitat, une baisse de la productivité et une quantité trop importante de poissons de 1+ en rapport à la ressource trophique, la (re)colonisation des ces milieux par des prédateurs (Vison, Loutre )… mais ce ne sont que des hypothèses, on va le voir dans l’exemple suivant !
Laurent, as-tu des chiffres similaires sur un suivi de parcours No-Kill pour définitivement écarter l’hypothèse « prélèvement des pêcheurs » dans l’écrêtage des truites après 26cm ?
Partons sur le no-kill d’orgeix sur l’Oriège instauré en 2010 (graphique 14) :
Ici, on est montés en altitude, les tailles des 2+ [20-25] cm du Vicdessos sont des 3+, on décale d’un an.
En 2010, on met en place le parcours No-Kill, je vous ai mis le nombre de truites maillées et son évolution pendant 11 ans de suivi. Ce parcours est situé dans un centre de village assez surveillé.
Donc en 2010, ça nous donne un état des lieux de la population produite par une réglementation pêche « laxiste maille à 20 quota à 10 », l’héritage est déjà sympa !. Déjà, on note des grosses fluctuations dans le suivi, comme dans toute population de montagne. Le shoot de 2014 par exemple, c’est une grosse crue qui a bouché les caches principales constituées par un muret : plus de caches, plus de poissons maillés… imparable.
Derrière, la FD a restauré l’habitat, on l’a ramené à des valeurs acceptables : en 2019, on a mesuré 20m² pour les truites adultes et 15m² en 2020 et 2021.
Si on prend les référentiels, 20m² ça correspond à un bon habitat, 15m² en 2020 et 2021 c’est moyen. On va ensuite vérifier si les truites saturent ou pas cet habitat par un diagnostic (paternité Philippe Baran qui a écrit des articles sur l’hydroélectricité dans ces colonnes) tiré des résultats des pêches électriques.
Résultat : dans ce no-kill, tous les habitats sont totalement saturés par les truites qui optimisent au max l’espace donc sur ce point là c’est très satisfaisant.
Première chose à voir : la première année ne se prend pas une claque par rapport à la dernière suite à l'instauration du No-Kill ! 110 vs 130 « maillées » et en 2020 leur nombre était même inférieur à celui de l’année 2010... 2010 était une très bonne année, tout simplement à cause d’une hydrologie hyper-favorable en 2007 !
En 2010, 25% des truites font plus de 23.90 cm et après 12 ans de no-kill, 25 % des truites font plus de… 24.1 cm.
Pour les plus pointilleux, je précise que moyenne et médiane sont proches dans les chiffres obtenus et que l’on peut aborder ‘’paramétriquement’’ ces jeux de données.
Ah bon ? Merde alors, nous on croyait que les populations pouvaient être multipliées par 5 en passant à une réglementation No-Kill, comme expliqué dans un fameux article de presse espagnol sur les rivières du Léon (rires)
Ne me fais pas glisser vers ton histoire du Léon pour décrédibiliser le No kill. Je ne connais pas ce sujet espagnol mais si ton idée c’est de chatouiller les adeptes de cette mesure de gestion, pas la peine de faire des bornes vers l’Espagne il te suffit de prendre le graphique de l’Oriège, tu prends l’année 2014 et tu pourras conclure : "voilà le NK ne marche pas"… mais ce serait d’une rare malhonnêteté !
Blague à part, ce n’est pas simple de tirer une tendance évolutive d’une population de truites, on est sur un sujet dynamique avec des fluctuations importantes donc on peut très facilement faire dire à des résultats ce qui nous arrange : "le No-Kill ça ne marche pas" (tu parles... surtout si les habitats des truites adultes passent de 20 m² à 5m² comme en 2014 à cause d’une crue ) / "le no-kill c’est génial en un an on a multiplié le nombre de truite par 3" ( tu parles… y’a eu une année hydrologique ultra-favorable et la reproduction a été énorme comme dans le secteur à prélèvement)… comme toujours, il faut beaucoup de billes pour discuter de ces sujets !
Revenons à l’Oriège maintenant au niveau des tailles :
Les points rouges représentent les données atypiques c'est-à-dire les plus gros poissons du parcours. En 2010, on compte une truite de 41cm, 1 à 34 et 1 à 30 (moyenne du parcours 22.8 cm). Après 12 ans de no-kill, 1 à 38, 1 à 37 et 2 de 33 (taille moyenne à 23.7 cm).
Voici donc un exemple des effets du no-kill sur la taille en milieu de montagne avec un habitat moyen et une croissance plutôt lente… c’est très décevant !
Et donc au niveau des poissons de 25+ ça donne quoi ?
Repartons sur un graphique des croissances comme celui du Vicdessos présenté avant : nous revoilà avec une approche générationnelle ! Je rappelle qu’ici les 2+ font en centrant les valeurs entre [16 – 20]cm, les 3+ [21-25]cm et les 4+ entre [26-30]cm.
On voit que l’écroulement précédemment évoqué sur le Vicdessos se retrouve ici : la transition 3+/4+ se casse la gueule, y compris sur un parcours no-kill… Donc à 800m d’altitude et avec de faibles croissances, on n’arrive toujours pas à faire sérieusement des 4+ de [26-30]cm.
Mais attention, je dis et répète que mon propos ici n’est pas de dire non au No-Kill, je dis qu’il faut d’abord savoir dans quel objectif on le veut (du nombre de 20-25 cm, de la taille moyenne en hausse, les 2 ?), on doit bien sélectionner les endroits où l'on instaure ce genre de réglementation, autrement dit attention aux croissances, aux habitats surtout si on n’a pas de grosses fosses, à l’estimation du prélèvement des pêcheurs sinon on sera déçu du résultat.…
Bilan de tout ça : dans les Pyrénées 09, dans cette moyenne montagne, on a de l’abondance. Mais en matière de taille, on a une rupture brusque dans la pyramide des tailles au-delà de 26/27 cm sur les cours d’eau en gestion patrimoniale d'un gabarit moyen ou plus gros comme le Vicdessos (largeur = 16m), y compris là où le prélèvement est faible à modéré. Pourquoi ? On n’en sait rien encore mais on creuse.
Donc tu nous as expliqué que tes parcours en bon état en gestion patrimoniale sont très bien peuplés de truites maillées entre 20 et 26 cm, pourquoi donc le pêcheur moyen n’y réussit pas ?
Une fois qu’on a montré qu’on avait par endroit des populations abondantes malgré une réglementation pêche assumée comme laxiste et une pêche libre, on peut donc maintenant s’interroger sur la capturabilité afin d'expliquer l’insatisfaction des pêcheurs !
Déjà d’un point de vue empirique au sens de la satisfaction, tout le monde sait qu’il vaut mieux aller seul sur une rivière perdue oubliée de tous contenant une population de truites peu abondantes plutôt que sur nos emblématiques rivières à l’abondance cinq étoiles.
Jusque là, on ne révèle rien, la pression de pêche rend les truites sauvages maboules et compromet la satisfaction de nos pêcheurs. Je me souviens très bien d’un article de mon ami Marc Delacoste (ingénieur hydrobiologiste à la FD65) qui abordait ces problèmes voilà plus de 15 ans et concluait sur ce sujet de la capturabilité en préférant "l’enfer du sud la France" au sens de la soif de liberté d’accéder et de pêcher un linéaire très important, de barouder pour une somme "modique" de 100 € même si la pêche est très difficile plutôt qu’une organisation de la pêche contingentée restreinte à des bouts de rivières et de fait chère si on veut diversifier les parcours.
Mais voilà qu’aujourd’hui on peut apporter un nouvel éclairage et il provient des plus belles rivières ariégeoises situées dans le Couserans, un haut lieu de la pêche de la truite en France au même titre que le Comminges ou le Pays de Toy :
Un administrateur de la FD, Jean, s’en fait le témoin. Il connaît la vallée de l’Arac, son histoire de la pêche, sur le bout des doigts et il nous confirmerait que la pression de pêche s’est effondrée ces dernières années. Et c’est aussi le cas sur les autres cours d’eau du quartier. Partout on entend qu’il n’y a plus ou très peu de pêcheurs sur ces zones de moyennes montagne comparé au passé.
On peut alors faire le lien avec notre sujet à savoir : si la fréquentation tue la capturabilité, on devrait retrouver des truites au comportement un peu moins farouche... hé bien non, c’est toujours aussi dur, pire, on ne les voit pas. Je peux vous citer moult exemples de témoignages de pêcheurs et de non pêcheurs, qui observent les truites dans les villages et pourtant les pêches électriques infirment leur disparition.
J’en discutais avec Christian Guimonnet que les lecteurs connaissent bien, qui nous a fait le plaisir de venir nous filer un coup de main en pêche électrique : ses analyses de contenus stomacaux sont intéressantes, parfois en été, sur les secteurs du Couserans, il n’y trouve pas grand-chose. S’alimentent-elles comme avant ? Le staff technique de la FD09 n’a pas précisément regardé ce point mais nous n’avons pas vu de différence manifeste de croissance chez les truites. Plutôt même une meilleure croissance en 2021 avec une fin d’hiver et un printemps très doux sans véritable fonte des neiges...
Aujourd’hui, personne ne peut affirmer qu’un pêcheur occasionnel va aller s’éclater sur l’Alet, l’Arac, le Garbet, le haut Salat, ça n’est pas possible tellement c’est difficile… je ne sais pas pourquoi !
A-t-on sur 10 petites générations participé à la sélection d’un patrimoine génétique de truites farouches ? Demandons à un pro de la génétique, Jonathan Filée par exemple ! Faut-il voir dans la recolonisation actuelle massive de ces cours d’eau par la loutre d’un nouveau facteur de stress qui "fait rentrer" les truites ?
Avec tous ces exemples, tu nous démontres une énième fois que la réglementation pêche est un driver ridicule des populations de truite. Pourtant, bon nombre de FDAAPPMA en usent et en abusent même ces derniers temps ! Et les pêcheurs adorent ça…
Oui des pêcheurs adorent ça, vous savez bien que pour une frange d’entre nous, chaque cm à la hausse sur une maille, chaque unité perdue sur un quota se célèbre au champagne parce que la finalité, pour eux, c’est que "l’autre" ne tue plus les poissons ou c’est de le décourager de pêcher par des mesures réglementaires restrictives tout en faisant croire qu’elle jouent un rôle central dans la biologie (par exemple tu mets une maille à 25cm sur un cours d’eau à faible croissance où les truites sont des 4+ à cette taille en disant qu’en les protégeant à ce niveau on préserve la production d’alevins => y’a quasiment plus rien à prendre pour les préleveurs => ils désertent le parcours).
Dans cette affaire, il faut comprendre l’astuce rhétorique : pour pouvoir améliorer la capturabilité, certains pensent qu’il faut réduire la pression de pêche (soit !), pour ça il faut réduire la présence des préleveurs par des mesures réglementaires restrictives les faisant fuir et quoi de mieux pour leur faire avaler la pilule qu’un argument biologique imparable et culpabilisant ? (préserver les géniteurs pour assurer la reproduction par exemple : on y revient toujours !)
Et pourtant on a vu que l’argument biologique se résume à du vent dans la très grande majorité des cas, c’est un beau hors sujet et ce dernier devrait se résumer uniquement à de l’halieutisme et non à de la biologie. On y reviendra.
Après, ça reste difficile, même pour une FD, de résister à ces demandes de restriction surtout quand les milieux se dégradent avec des étiages sévères, du colmatage, des températures de l’eau en hausse...etc que faire quand le climat part en sucette et que les pressions sur la ressource restent constantes ? d’un côté on a des pêcheurs qui voient dans la réglementation de la biologie et qui mettent la pression en demandant "qu’on fasse quelque chose", "qu’on devienne responsables", "que ça ne peut plus durer d’assister à cet effondrement sans rien faire"... etc et de l’autre un contexte environnemental (de sécheresse par exemple) venant soutenir finalement la demande.
Donc on voit apparaître tout un tas de mesures restrictives sans effet sur la biologie mais qui vont laisser croire qu’elles en ont… avec en arrière plan une installation progressive d’une forme de marketing réglementaire par les gestionnaires en quête de capital sympathie tout particulièrement sur les réseaux sociaux.
Mais la conséquence de tout ça, c’est que les autres FD qui n’ont pas décidé de succomber à cette pression pour toutes les raisons de science évoquées, elles passent pour des ringardes arriérées qui n’ont rien compris. Elle est bonne celle-là non ?
Bon on a déjà discuté dans ces colonnes de l’incapacité de la hausse de maille à produire des poissons plus gros (ici pour ceux qui ne l'auraient pas lu), alors comme on sait que les bidouillages réglementaires déchaînent encore les passions, parlons quota tiens, ça changera un peu ! Vous l’avez baissé à 2 sur la rivière Ariège, pourquoi ?
Allez prenons donc l’exemple du quota pour changer un peu si vous voulez ! Regardez les quotas mis en place par toutes les FD de l’Occitanie, il y a une hétérogénéité totale : 10,5, 6 …etc. Je faisais il y a peu de temps la remarque à un président de FD qui m’est cher suite à la baisse de quota de 10 à 6 dans son département. Je lui demande donc pourquoi avec son CA a-t-il validé cette baisse ? La réponse : "parce que les AAPPMA le veulent".
C’est important de s’arrêter là dessus car en première lecture on peut tout à fait comprendre que des pêcheurs considèrent que de nos jours il n’est plus admissible de manger 10 truites, de la même façon qu’on pourrait décider qu’une truite ne mérite pas d’être tuée en dessous de 30cm. Pour le coup, on quitte le domaine de la science pour des positions de principe se voulant vertueuses : dans le cas présent, c’est le chiffre 6 qui sort mais ça pourrait être 7 ou 5 au choix selon les humeurs collectives du moment...
Mais en deuxième lecture, il y a derrière cette baisse évidemment la volonté louable de protéger des truites qui doivent faire face à des conditions environnementales de plus en plus dures.
Mais est-ce que c’est efficace ? Malheureusement non.
Pourquoi donc une baisse de quota de 10 à 6 ne sert à rien ?
Demandez à n’importe quelle FD de vous fournir les enquêtes paniers réalisées depuis 30 ans : on voit que la sortie moyenne d’un pêcheur de truite français est de 4h. Durant cette sortie, sur des contextes conformes, le pêcheur prend en moyenne dans le meilleur des cas 2.5 truites maillées au total (soit 0.6/ heure). D’un côté, on a environ 35% de bredouille et de l’autre on a ce pêcheur moyen qui en prend entre 2 et 3 truites maillées les meilleurs années.
Donc quand on aborde le prélèvement de façon globale, ce qui compte se résume à la somme de ces petits paniers de 1, 2 ou 3 truites gardées ! Les rares pêcheurs qui en gardent plus au cours de leurs sessions ne représentent pas grand-chose dans le total de ce qui est sorti sur un cours d’eau. Donc, en pratique, si tu veux baisser le prélèvement total, après avoir confirmé que c’est bien lui le responsable de la pêche peu qualitative (encore faut-il le prouver), il faut mettre un quota inférieur ou égal à 2. Au dessus, tu sors du champ de la sauvegarde et tu fais du marketing, nous y revoilà !
Avec 7, 8 ou 5 tu ne protèges rien mais bien évidemment fixer un quota dans ces valeurs là est plus facile à assumer qu’un quota dur à 2. Ce n’est pas rien à assumer, il faut un conseil d’administration qui suive les préconisations techniques sur le sujet…c’est notre chance ici, c’est ce qui nous a permis de passer au quota à 2 sur le bas Salat et l’Ariège dans un contexte de milieu dégradé et perturbé.
Je reviens donc sur la communication autour de la baisse d’un quota comme l’exemple à 6 : ce qui est pénible c’est le laisser croire à dessein de son efficacité dans la préservation des truites pour récupérer des louanges. Je le regrette car une nouvelle fois ça nous éduque bien mal sur ces sujets sensibles.
On devrait pouvoir communiquer fidèlement sur le sujet en disant "on a décidé de baisser le quota (à 6 par ex) non pas pour préserver les populations de truites, non pas pour faire de la biologie mais simplement parce qu’on considère qu’en 2022 on ne peut plus manger 10 truites sauvages mais 6."
Tiens puisque tu as évoqué le bas Salat et l'Ariège, au prochain épisode tu nous parleras des grandes rivières à gros poissons si tu veux bien !