Montage de mouche : regards croisés de C. Bailly, C. Guimonnet et JM. Somaré

montage mouche

S'il est bien un domaine de notre passion qui retranscrit la personnalité du pêcheur, son style et ses émotions, c'est bien le montage de mouches ! Les créations sont en quelque sorte le reflet de celui qui les a confectionnées. Afin de creuser ce sujet et de confronter plusieurs personnalités marquantes du paysage halieutique français, une idée d'article originale est née à l'automne dernier : une interview de deux monteurs de haute voltige par un troisième artiste de la même trempe ! C'est à Jean-Marc Somaré qu'est revenu le rôle d'investigateur, Christian Guimonnet et Cyril Bailly ont été les préposés pour répondre à ses questions. A la demande de la rédaction, Jean-Marc ne s'est toutefois pas contenté d'interroger ses deux compères, il a également ponctué l'interview de quelques digressions personnelles relatives aux sujets clé abordés. Par soucis de lisibilité, les propos de Jean-Marc apparaîtront en italique, dans des encadrés pour ses précisions techniques. Laissons lui la parole :

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Quand Simon me proposa de réaliser l’interview croisée de Christian Guimonnet et de Cyril Bailly, je n’ai pas hésité une seule seconde. La seule question qui germa dans mon esprit était de trouver un angle de questionnement qui ne mette pas nos deux pêcheurs/monteurs en concurrence mais plutôt un angle qui montre aux lecteurs deux personnalités attachantes, compétentes bien que très différentes, ceci à travers leurs mêmes passions : la pêche à la mouche et la fabrication des mouches artificielles. C’est surtout sur ce dernier chapitre que j’ai axé mes questions sans pour autant négliger le contexte général de la pêche à la mouche.

Certaines questions sont volontairement provocatrices, les réponses sont toujours à la hauteur de mes espérances. Je me suis permis de m’immiscer « dans ce dialogue à distance » pour donner un avis triangulé sur quelques sujets épineux. Bonne lecture.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais vous connaitre un peu mieux. Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ?

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Christian
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Christian  "Bonjour Jean-Marc, je suis né en 1970 à Montauban et je suis moitié ariégeois par ma mère, du Couserans pour être exact. Je suis commercial dans le domaine de l’édition et je vis depuis une quinzaine d’années dans le Tarn, non loin de Toulouse. C’est une situation géographique idéale pour la pêche car si je n’ai aucune rivière à truite tout près de chez moi, j’ai les bonnes rivières de l’Ariège, de l’Aveyron, de l’Aude et toute la Montagne Noire à moins de 2h de mon domicile (la Lozère à peine plus loin), ce qui me permet sur une journée d’avoir toujours au moins une rivière où m’exprimer quel que soit le moment de la saison.

Du plus loin que je me souvienne, je me suis toujours senti attiré par les oiseaux, les poissons et la Nature en général. J’ai commencé à pêcher tout jeune, je n’avais pas tout à fait 6 ans, au toc tout d’abord puis je me suis mis « au fouet » vers l’âge de 13 ans et de façon exclusive et définitive vers 16 ans."

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Cyril Bailly
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Cyril "Je m’appelle Cyril Bailly, j’ai 46 ans et je suis natif des Vosges. J’habite actuellement en Alsace, je suis marié, père de trois enfants et je travaille dans la qualité.

J’ai commencé à pêcher à la mouche et à monter des mouches dès ma plus tendre enfance, je crois que je devais avoir 9 ans quand j’ai débuté. Issu d’une fratrie de pêcheurs à la mouche, c’était une évidence pour moi que ma passion serait la pêche à la mouche.

J’ai depuis ce temps là gardé ce territoire de pêche constitué essentiellement de la Moselle et la Vologne des Vosges, la Doller en Alsace, le Doubs à Goumois et la Loue vers Ornans. Toutefois, je pêche moins certaines rivières qui se sont vraiment dégradées en 20 ans, nous y reviendrons."

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Cyril Bailly
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Cyril en action sur le Dessoubre
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Maintenant que l’on vous connait mieux,  tous ou presque avons été influencé par quelqu’un ou du moins par un événement qui a orienté notre passion, quelles sont pour vous les influences de votre parcours halieutique ?

Christian " La vie n’est faite que de rencontres n’est-ce pas… J’ai pour ma part fait 3 rencontres déterminantes :

En premier lieu Pierre Miramont en 1984 lorsque je commençais à monter mes premières mouches. C’est surtout pour le montage des mouches et pour une certaine philosophie de la pêche que je lui suis le plus reconnaissant car je n’ai jamais pêché avec lui. Ce que j’ai acquis à travers lui, c’est la compréhension des concepts (ce que lui nomme « un montage raisonné »), c’est très, très important ça.

Le rencontrer fut une intronisation dans un monde nouveau pour moi, un monde fait d’insectes, de plumes, de naturalisme à l’ancienne... le tout saupoudré d’un délicieux parfum d’ésotérisme ! J’ai adhéré illico ! Ses théories sur les couleurs, les lumières, les mœurs de certains insectes, tout était fascinant pour moi. Le genre de truc qui te marque quoi ! Surtout à l’adolescence où ce type d’expérience s’imprime plus profondément encore dans ton cortex."

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Miramont
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Christian en compagnie de Pierre Miramont, lors d'une interview accordée à Truites & Cie
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Albert Lahana
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Albert Lahana
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L’année suivante, je croisais la route du discret Albert Lahana. C’est vraiment lui qui m’a appris à pêcher à la mouche, et je pense que ce fût le plus bel été de ma vie. C’est lui qui m’a appris à « voir » les truites, à lancer, poser et arracher une soie... entre bien d’autres choses. Albert est un pêcheur à la mouche comme on n’en fait plus. Aujourd’hui encore, je ne saurais vraiment expliquer quel genre de pêcheur il est… Il ne pêche qu’en sèche, il est malin, plein d’intuition, de roublardise et il est terriblement précis. C’est sans doute le pêcheur le plus précis que j’aie jamais rencontré… et tout en délicatesse bien sûr ! Canne courte, beaucoup de pêche en revers. Dans l’esprit, il me fait un peu penser à Jean-Louis Poirot.  

Du temps de mon apprentissage, Albert était un gros preneur de poissons, son imposant panier était le plus souvent bien rempli ! Il est devenu au fil du temps complètement détaché du résultat, sans que personne, aucune tendance, ne lui impose quelque pression ; la modernité et les réseaux sociaux n’ayant aucune prise sur lui. Je suis en admiration devant ce cheminement tout à fait personnel et intérieur qui illustre parfaitement le chapitre fameux et final du chef d’œuvre de Léonce de Boisset « Tentative d’explication d’un phénomène inexplicable » (Les Mouches du Pêcheur de Truites – 1939). Albert, c’est mon Maître ! D’ailleurs, quand je le revois, je l’appelle « Maître », je ne peux pas m’en empêcher !

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Jacques Dauty
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Jacques Dauty
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En 1994, je rencontrais Jacques Dauty qui était à ce moment là responsable du rayon mouche du grand magasin toulousain de l’époque « Midi-Pyrénées Pêche ».  Plus jeune, j’avais lu ses articles dans certains périodiques et surtout dans T.O.S, je l’admirais beaucoup. Nous sommes devenus rapidement assez proches et puis carrément amis jusqu’à son décès en décembre 2009. Durant ces années nous avons pêché ensemble très régulièrement et surtout échangé (presque au quotidien !) à propos du montage des mouches… C’était un passionné, et un sacré monteur !

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Christian
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Christian et son père
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Je lui dois beaucoup, autant pour son ouverture d’esprit à propos de la pêche, mais aussi pour sa culture et son humanité. Sa connaissance du matériel était très grande, un peu dans ton genre Jean-Marc ! S’il était encore des nôtres, nul doute qu’il serait un collaborateur de choix pour Truites & Cie ! Ma page Facebook « Des Insectes Et Des Plumes » lui est d’ailleurs dédiée... Jacques me manque énormément. 

Je crois qu’il n’existe pas une journée de pêche où je n’ai pas une pensée pour ces trois hommes, je leur dois en très grande partie le pêcheur que je suis. Je n’oublie pas non plus mon père bien sûr (fin pêcheur au toc), sans qui je n’aurais sans doute pas développé très jeune ce goût tout particulier pour les rivières à truites."

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rivière truite pyrénées
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Les eaux du Couserans dans les Pyrénées sont les rivières de cœur de Christian
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Bailly Somaré
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Cyril et Jean-Marc
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Cyril "J’ai personnellement été influencé par mon père, mes frères et par la suite par deux rencontres majeures : Henri Bresson et toi mon Jean-Marc ! 

A l’âge de 10 ans à peine, je pêchais la Moselle, rivière très régulièrement fréquentée par Henri Bresson et toi. On pêchait souvent en fait les mêmes secteurs, en cherchant les ombres et les truites en sèche. Malgré mon jeune âge, j'avais déjà une approche peu conventionnelle car je cherchais des secteurs délaissés avec beaucoup de branches, alors que tous les moucheurs pratiquaient sur des endroits dégagés... mais Henri et toi Jean-Marc, vous connaissiez bien le potentiel de ces endroits là ! Henri me voyait souvent pêcher et m’a pris sous son aile en quelque sorte, je ne sais pas pourquoi ce grand pêcheur m’a pris « à la bonne », à partir de là nous avons beaucoup échangé, sur la pêche en elle-même, mais aussi sur le montage. Je garde de ces moments passé à ses cotés un incroyable souvenir. J’adorais sa technique, le personnage était particulier et ne laissait pas indifférent.

Jean-Marc toi, tu avais un côté plus moderne dans la technique et l’équipement. Ce n’est que vers l’âge de 15 ans que j’ai découvert que vous écriviez dans les revues de pêche ! C'était une époque où beaucoup de choses étaient encore secrètes, donc observer puis fréquenter ce genre de personne m'a permis d’évoluer."

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la Loue
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La Loue à Ornans, lieu mythique de pêche à vue, souvent fréquenté par Cyril et Jean-Marc
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Pratiquant sur des rivières très différentes car n’habitant pas la même région, quelles sont vos techniques de pêche de prédilection ? Et pourquoi ?

Christian "Tout d’abord, laisse-moi te préciser une chose : je ne pêche uniquement qu’en rivière ! La pêche en lac ou en réservoir ne m’attire absolument pas ! Et je ne pêche pas au streamer non plus !

Je pense être un pêcheur assez complet mais je pêche en sèche dès que je le peux ...et pas seulement si je vois des gobages ! J’aime beaucoup la nymphe à vue, surtout l’été pendant l’étiage. Je crois que ce sont les deux pêches que je maîtrise le mieux. Je pêche aussi en nymphe au fil à l’espagnole et en sèche-nymphe... sur certaines rivières j’aime bien. Mais ce sont des pêches dont je me lasse vite, surtout ces dernières saisons. Il s’agit de techniques vraiment très efficaces pour prendre beaucoup de truites je dois bien le reconnaître mais elles ne me passionnent pas suffisamment pour m’y investir davantage. J’arrive donc à un seuil qui limite ma progression et je sais bien que je ne rivaliserai jamais dans ce registre avec mes copains compétiteurs de 1ère division.

Quitte à pêcher sous l’eau, je préfère tenter ma chance en noyée (amont !), ça c’est une pêche qui me plait vraiment... avec des mouches fabuleuses et non des bouts de plastique plus ou moins polymérisés (rires). Mais pêcher en noyée c’est difficile je trouve, il me faudrait 3 vies pour en maîtriser vraiment certains détails, c’est parfois frustrant… mais quand ça marche c’est un plaisir sans équivalent... l’impression de tutoyer les anges ! "

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pêche Lozère
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Cyril "Je pêche essentiellement à vue, en sèche et en nymphe car les rivières que je fréquente s'y prêtent à merveille... à moins que je ne recherche que les rivières où je peux pêcher à vue ! (rires). C’est toujours un incroyable spectacle de voir un poisson venir se saisir de son imitation, et cela me permet aussi de sélectionner mon poisson, mes coups de ligne...etc.

Mais je n’ai pas vraiment de règles prédéfinies au niveau du choix du parcours, j’aime changer de rivière pour continuer à évoluer : petites, moyennes, grandes, lentes ou rapides, je pêche tout ! Evidemment sur certaines rivières rapides où la pêche à vue est difficile, il m’arrive de pêcher l'eau en sèche et je cherche alors des approches plus techniques, au niveau des postes choisis, ou des lancers par exemple. C’est aussi intéressant de pratiquer en petites rivières car ce sont parfois les parcours les plus techniques à aborder. J’utilise pour cette approche des bas de ligne longs et des cannes plutôt courtes de 8’6. D’ailleurs 8’6 est ma longueur de canne favorite ! "

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Cyril Bailly
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Que pensez-vous de l’évolution de la pêche à la mouche prise ces 20 dernières années en particulier de cette pêche sous la canne, issue de la pêche de compétition ? Quelle est votre position sur les compétitions en Première Catégorie ?

Christian "Nous vivons dans un monde où tout s’accélère, ce n’est pas nouveau… les conditions de pêche, l’information, l’avènement des guides de pêche, tout va très vite.

La pêche à la mouche n’échappe pas à cela. La transmission qui se faisait jadis sous le sceau de la confidentialité au cours d’un très long apprentissage auprès d’anciens, de « vieilles mains », est devenue au fil du temps un bien de consommation comme un autre que l’on veut posséder de façon très rapide. Le modernisme et les réseaux sociaux sont un facteur dynamisant en ce sens, c’est l’air du temps… nous devons nous y conformer, pour le pire souvent, tout comme pour le meilleur parfois.

Quant à la compétition, je n’ai rien contre. J’ai quelques amis en 1ère division et je considère que les côtoyer m’a énormément apporté sur le plan technique et m’a permis d’élargir mon champ de vision quant aux rivières et à l’approche de la pêche à la truite en général.

Alors c’est vrai qu’en compétition, on ne pêche essentiellement qu’à la nymphe dite « moderne », mais je trouve que tu caricatures un peu lorsque tu parles de « pêche sous la canne ». Pour pêcher assez souvent avec certains parmi les meilleurs, je peux t’assurer que c’est loin d’être le cas. C’est souvent une pêche à distance, très subtile qui est pratiquée, fréquemment à l’aide de petites nymphes… même si on est loin de la pêche à la mouche telle que toi et moi nous la concevons, on est bien d’accord... Mais cela m’oblige à penser contre moi-même et je trouve ça plutôt sain et bénéfique.

Ce qui me chagrine en revanche, c’est la normalisation de ces techniques auprès des débutants. La pêche à la nymphe au fil est une méthode qui devrait arriver en dernier afin de parachever l’arsenal du pêcheur accompli, une fois seulement que l’on maîtrise toutes les autres techniques. C’est malheureusement l’inverse qui se produit désormais. La plupart des débutants que je rencontre ne sont pour moi que des pêcheurs au toc déguisés en moucheurs… ils croient pêcher à la mouche, alors qu’ils sont selon moi sur la voie d’un chemin aporétique. Après, ce n’est pas illégal bien sur… (sourire)"

Cyril "Je n’ai pas d’avis tranché sur le sujet. Pour moi, toutes les techniques sont belles quand elles sont pratiquées dans les règles de l’art. Après, il est vrai que la pêche en nymphe sous la canne s’éloigne des fondamentaux de la pêche à la mouche et on se rapproche d'avantage de la pêche au toc... mais c'est aussi une belle technique !

Je n’ai rien contre les compétiteurs actuels car j'ai conscience qu’ils maîtrisent toutes les techniques de la mouche, la pêche à vue et autres, par contre, c'est l'appellation "Championnat de pêche à la mouche" qui me gêne un peu plus. En ce qui concerne les compétitions en première catégorie, cela ne me dérange pas tant que la rivière pêchée est en bonne santé générale."

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fario
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Le marché du matériel spécialisé dans la pêche à la mouche est en constante évolution, l’offre est très large techniquement mais aussi très étendue en terme de coût, quel regard portez-vous sur cette course en avant ?

Christian "Pour tout dire, c’est une course à laquelle je ne participe pas, ou alors très peu. Mon matériel de base est très simple, « milieu de gamme »… je n’aime pas changer trop fréquemment de canne par exemple. J’ai une Marryat qui a 9 ans maintenant et qui reste ma canne de base. Je suis toujours stupéfait de voir certains de mes amis (soucieux d’être à la pointe du progrès), acheter et revendre des cannes, gilets, ou moulinets à tout va. Je n’ai pas le culte des objets transitionnels et j’aime bien l’idée que mon matériel accompagne un minimum mon histoire."

Cyril "Je pense que la pêche à la mouche est devenue de plus en plus technique et le matériel également, c’est une évolution naturelle avec ses qualités et ses travers. Chacun cherche toujours à évoluer et à avoir l’équipement qui lui correspond le mieux, car toutes les cannes ne correspondent pas à tous les pêcheurs… Je n’achète pas une GLX car un jour un Ayatollah de la pêche à la mouche a décrété que c’était la meilleure canne du monde... non, moi, j’aime bien me faire mes propres  opinions sur le matériel. C’est une démarche très personnelle. D'ailleurs, je cherche toujours quelque chose que je n’ai pas encore trouvé ! (rires) "

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fario
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Etes-vous collectionneurs de matériel cannes, moulinets etc….. Si oui ou si non pour quelle raison ?

Christian " Absolument pas collectionneur pour ma part… ou alors par défaut en ce qui concerne les plumes et le fly-tying en général. Mais il s’agit là plus d’accumulation à proprement parler et de boulimie que de véritable esprit de collection. Une pathologie peut-être!"

Cyril "Je suis quelqu’un de passionné, j’aime tout ce qui touche à la pêche à la mouche et le matériel en fait partie. Un beau moulinet, une belle canne, je trouve cela beau et ça me fait toujours rêver. Je fonctionne aussi beaucoup à l’affect : par exemple, il y avait à l’époque des pub dans les revues pour les cannes Sage RPL+ et les moulinets ATH qui me faisaient rêver… Et bien j’ai récemment acheté un moulinet ATH, cette marque des années 80 qui proposait du matériel avant gardiste ! Je n’avais pas les moyens à l’époque et j’ai donc mis presque 40 ans pour m’acheter cet ensemble. En fait, je suis vraiment sensible à la beauté des matériaux et des beaux produits. Pour le fly tying, j’aime également le beau et la qualité !"

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pêche mouche
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Vous avez un même « violon d’Ingres », le montage des mouches artificielles, d’où vous vient cette passion particulièrement prenante ?

Christian  "D’emblée, j’ai considéré qu’un pêcheur à la mouche devait monter lui-même ses artificielles, que ça faisait partie intégrante du job. J’ai donc commencé le montage par nécessité comme la plupart des moucheurs et ça m’a tout de suite plu… Il m’est difficile de dire pourquoi cela m’a particulièrement passionné. L’aspect artistique m’a séduit je pense. Le montage des mouches devient un art si tu décides que c’est un art ; à partir de là tu ne réagis plus tout à fait comme un pêcheur mais aussi comme un artiste, c’est juste un angle d’attaque, un point de vue.

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sedge
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Bien évidemment, on peut juste monter des mouches par nécessité (et des prenantes !) sans se soucier de tout cela, c’est juste une option que l’on se donne, si on a la sensibilité qui va avec. En ce qui me concerne, c’est devenu assez obsessionnel et le montage compte autant que la pêche en elle-même. J’ai dans l’idée que je peux toujours aller plus loin dans la justesse de mes imitations, cette quête me garde éveillé dans ma passion je crois, me stimule. Je me suis même parfois demandé si la pêche n’était pas pour moi un prétexte pour y recueillir de nouvelles inspirations pour de nouveaux modèles, de nouvelles idées… va savoir ?!

S’investir dans le montage, c’est aussi ouvrir des portes sur des univers connexes : le monde des insectes bien sûr, mais aussi celui de l’élevage des coqs de pêche, de toute une littérature, des autres cultures de la pêche et du montage et leurs influences (je pense en particulier aux Américains, aux Britanniques et aux Espagnols…). Tout cela me passionne."

Cyril "Ce sont mes frangins qui m’ont initié au montage de mouche ainsi qu’un ouvrage en particulier « Je monte mes mouches en 15 leçons », de Jean-Louis Pelletier et Bernard Audouys.

Je suis né dans une famille de pêcheurs : mon père ne montait pas car il comptait sur ses fils pour le fournir en mouches (rires). Mes frangins ont débuté avec cet ouvrage, l'un m’a montré comment monter une araignée, et l’autre comment twister le dubbing… à partir de là, chacun a évolué de son côté ! à l’époque, il y avait beaucoup moins d’informations et de matériel accessibles, j’avais seulement à proximité de chez moi une armurerie qui vendait un peu de matériel de montage. Je n’ai découvert les ouvrages que beaucoup plus tard. L’évolution s’est faite au fil des rencontres et des échanges au bord de l’eau ! en fin de compte, j’ai appris beaucoup tout seul... j'ai constaté ça lorsque je me suis aperçu que plusieurs modèles que je pensais avoir créé existaient déjà en réalité !"

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Christian
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Le montage des mouches artificielles demande un investissement certain, en temps mais aussi et surtout en matériaux, comment faites-vous pour vous procurer les matériaux de qualité dont vous avez besoin ?

Christian "Je me procure le fly-tying de manière tout à fait classique : en magasin si je trouve ce que je cherche à un prix convenable et sur le web pour les produits que souvent les magasins n’ont pas en stock. J’aime bien fouiner dans les salons et dans les brocantes aussi… C’est très convivial et on y trouve parfois de belles surprises (mon ami David Seguin ne me démentira pas !). 

Si difficulté il y a c’est de se procurer des basiques naturels de qualité : du poil de lièvre parfait, de la bonne perdrix grise, du CDC haut de gamme...et plus que tout : des cous de coq (que ce soit du génétique ou de l’indien), c’est un vrai problème pour moi, presque un cauchemar !

Pour les plumes de coq de pêche, comme depuis toujours, il faut se rapprocher des éleveurs et acheter en direct. Jean-François Laval est mon principal fournisseur et ses coqs sont meilleurs d’une année sur l’autre, je le conseille à tous (NDLR : voir le site Du Coq à la Rivière ici).

Mon problème du moment c’est de me réapprovisionner en pelles de coqs du Léon. De nombreux magasins en ligne en proposent, mais la vraie qualité est rarissime et sans vouloir vexer personne, j’ai l’intuition que 90% de l’excellence ne dépasse jamais la frontière espagnole. Il est encore plus compliqué de se procurer du bon Indio que du bon Pardo. En France, celui qui propose le plus beau « Pardo » reste Florian Stephan il me semble."

Cyril "C’est une quête perpétuelle et je n’ai pas de règles particulières. Je peux très bien trouver mon matériel chez mon petit artisan en bas de chez moi, comme je peux le rencontrer aux quatre coins de l’hexagone.

Je pense qu’on peut trouver du bon matos dans toutes les marques, mais tout n’est pas bon dans chaque marque... alors je pioche, je n’ai pas de règle si ce n’est que j’aime les beaux matériaux naturels. Oui, globalement, je reste assez fidèle aux matériaux naturels. Je suis toujours fan des belles plumes et de belles fourrures.

J’ai beaucoup fait d’essais avec divers matériaux et je n’ai jamais vu de différences énormes au niveau des résultats obtenus. En fait, je sélectionne mes matériaux pour le coloris et l’effet produit sur la silhouette. Il faut aussi qu’ils soient faciles d’utilisation et solides pour le montage."

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fario
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Pendant ces 25 ou 30 dernières années nous avons connu la suprématie du CDC sur les hackles de coq, puis depuis quelques années il y a un regain d’intérêt, je dirais même un engouement, pour les belles plumes provenant d’élevage de coq de pêche, comment analysez-vous le retour en grâce de ces magnifiques plumes ? Une histoire de mode ? D’efficacité ? Ou simplement de disponibilité ?

Christian "Il est vrai que lors de mes premières années, je ne connaissais pas le CDC. Je me souviens que les premières fois que j’ai utilisé des mouches en CDC ce devait être en 1990...1989 peut-être? ... C’était une vraie révolution : tout à coup on faisait monter des truites que l’on ne prenait pas jusqu’à lors, c’était génial !

Le CDC demeure un matériau de premier ordre lorsqu’il est de qualité bien sûr. Il est aisé de s’en procurer pour un prix modique et son usage est facile. C’est cette disponibilité et son efficacité non usurpée qui ont fait son succès au détriment du hackle de coq je pense. Ce sont des matériaux complémentaires, je ne les oppose pas.

« Les duns en CDC pour les pêches en grandes rivières et les spinners en coq pour les pêches en rivières rapides » serait un axiome certes caricatural mais qui résume un peu les choses (sourire).

Le bon hackle de coq, lui, est rare, de plus en plus rare hélas...et il faut une bonne technique et quelques connaissances pour ne pas le gâcher au dressage.

On ne fera jamais mieux qu’un hackle de coq de pêche pour monter des imagos, surtout les grandes mouches de courant ! C’est un parti-pris esthétique que j’assume et si il y a un engouement pour ces plumes (et je sais que Cyril partage ton avis) je dis tant mieux ! Je ne l’ai pas vraiment constaté mais peut-être n’ai-je pas été suffisamment attentif. Si cela peut se traduire par une offre plus dynamique, j’en serai le premier ravi !"

Cyril "Je ne pense pas que ce soit une histoire de mode mais plutôt d’efficacité. C’est assez significatif sur des parcours fréquemment pêchés, où les poissons sont pris et repris toujours avec les mêmes mouches... une petite sèche avec un hackle aéré de belle qualité fera régulièrement la différence. Comme disait Bresson : « il faut que ta mouche laisse passer la lumière », surtout pour les imagos.

J’utilise beaucoup le CDC en début d’éclosion pour les émergentes et les subimago, notamment pour donner le côté opaque des ailes.

Au-delà du matériau, je remets plutôt en cause le côté « flottaison basse » des mouches en CDC, notamment les voiliers très à la mode il fut un temps. Sur certains parcours très pêchés de la sorte, les poissons en viennent à délaisser les mouches en CDC pour des modèles qui flottent plus haut sur l'eau !"

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pêche mouche
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Parlons maintenant de deux  sujets complexes, le choix des hameçons et la définition des couleurs. Oui je sais, pas simple à traiter. Devant le vaste choix actuel de marques et de références d’hameçons, comment faites-vous pour vous y retrouver ? Et quels sont vos choix respectifs ?

Christian "Comme disait Coluche: « J’ai plus le choix, j’ai juste l’embarras!» (rires).

Le choix du modèle d’hameçon est primordial lorsque l’on veut monter une mouche, c’est le premier élément que l’on met au bout de l’étau et donc le premier point sur lequel nous devons nous pencher. Aujourd’hui l’offre est pléthorique, on ne va pas s’en plaindre, mais il est vrai que c’est parfois difficile de s’y retrouver car beaucoup de types d’hameçons se retrouvent, identiques, d’un distributeur à l’autre sous une référence différente...en gros, il n’y a que l’emballage et le prix qui changent ! Dans le temps, le choix était beaucoup plus restreint et du coup on se posait beaucoup moins de questions, on se fiait à l’échelle de Redditch et le tour était joué ! Jean-Marc, explique à nos lecteurs ce qu’est l’échelle de Redditch s’il te plaît.

Bien que je me félicite du choix qui s’offre à nous, j’ai évidemment mes préférences et en dehors de références pour des modèles très particuliers, j’utilise très majoritairement des hameçons « standard ». Mais attention ! Très souvent, c’est un numéro d’hameçon dans une référence donnée que je privilégie… je peux trouver le 16 parfait et le 14 moyen par exemple, tu vois ? Tiens, voici quelques références que j’aime le plus :

  • Daiichi 1310 en 14, 16 et 18 (pour tous les montages standards)
  • Tiemco 900bl en 14 (pour les sedges, super hameçon !)
  • Tiemco 2487 en 14 et 16 (hameçon caddis)
  • Mustad 94840 et 12, 14, 16, 18 et 20
  • VMC 7060bn en 12, 14 et 16
  • VMC 9288bz en 12, 14 et 16
  • Caleri C123bl+ en 12, 14, 16, 18 et 20
  • Caleri C 124bl en 16, 18 et 20
  • Caleri C 405bl en 16 et 18

Ne jamais oublier que c’est l’hameçon qui fait le style de la mouche. Par exemple, les Mustad et les VMC que j’ai cités donnent la touche indéniablement vintage que je recherche pour certains modèles."

Cyril "Pour les hameçons, je fais confiance à deux marques : Daiichi et Tiemco. Ce sont des hameçons de qualité, certes pas les moins chers, mais derrière ces deux marques il y a un véritable savoir-faire.

L'hameçon est le composant primordial d’une mouche, sur lequel il ne faut jamais rien concéder (à méditer). Je privilégie la fiabilité et la solidité avant tout. J’aime bien les hameçons droits et je change peu de forme. Je ne suis pas fan des hameçons noirs qui sont très élastiques et entraînent des décrochages en s’ouvrant pendant le combat alors qu’ils sont intacts lorsqu’on les vérifie... je préfère de vrais hameçons bronzés qui ne s’ouvrent pas !

Pour la longueur, je prends des longueurs standard pour les sedges, et des plus courts pour les chiro par exemple, jamais des très longs. Pour le montage des nymphes, il m'arrivent de choisir des hameçons très fort de fer qui m’évitent de rajouter du plombage. Parfois, la nymphe doit descendre très doucement pour avoir un aspect naturel,et atteindre le poissons après une très longue dérive, jusqu’à 10m voire plus !".

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Les hameçons, par Jean-Marc Somaré

"Merci Christian de me laisser l’opportunité de donner un avis sur la question épineuse des hameçons. Pourquoi épineuse me direz-vous ? Simplement à cause du fait qu’il n’y a pas de bonnes mouches sans de bons hameçons, les plus belles, les meilleures mouches montées sur des hameçons de piètre qualité resteront des mouches de piètre qualité. Faire l’impasse sur la qualité des hameçons ouvre la porte à des déboires en série, des frustrations à répétition et à des pertes de temps. C’est une erreur fondamentale.

Cette question me tient à cœur depuis que je monte des mouches, ma toute première mouche date de 1976. Un sujet qui me chagrine au point d’avoir dans les années 90 consacré un article entier sur le sujet dans le magazine « Pêche Mouche ».

Quand j’ai commencé la fabrication de mes mouches, « l’offre hameçons » était faible, nous trouvions des Mustad (le suédois), des VMC (le français) et des Partridge (l’anglais). Les références étaient relativement fixées car beaucoup se référaient (à peu près) à la fameuse échelle de « Reddtich » qui donnait les dimensions d’un hameçon dit standard, ouverture et longueur de la hampe. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui les dimensions des hameçons se référent plus ou moins à la N.A.C.C. (National Association of Angling and Casting Club) cette norme ne donnant pas la dimension de l’ouverture, c’est un peu comme vouloir pêcher sans canne.

En une vingtaine d’années sont arrivés sur le marché dans un premier temps des hameçons inclassables car ayant des longueurs de hampe non rectilignes mais aussi une pléiade de marques alors que l’on sait qu’il n’existe que quelques fabricants dans le monde (on peut les compter sur les doigts d’une seule main), tous les autres ne sont que des revendeurs. Avec ces nouvelles marques et certainement liées aux nouvelles techniques de pêche à la mouche, sont apparues, des dizaines de références ne respectant plus les « standards » si bien qu’aujourd’hui je mets au défit quiconque de donner des équivalents d’une référence à l’autre, à ceci prés que certains modèles sont vendues par plusieurs marques sous des références différentes. Chaque revendeur faisant croire aux acheteurs potentiels à une fabrication spécifique... (Sic).

Je ne vais pas écrire un article complet sur le sujet, ce n’est pas le lieu. Seulement  je constate que le problème s’obscurcit d’année en année et qu’être capable de s’y reconnaître demande du temps, de la persévérance et un investissement financier certain, vu le prix actuel des hameçons.

Je suis de ceux qui pensent que seule l’ouverture définit la taille de l’hameçon, tous les hameçons de 16 (par exemple) devraient avoir la même ouverture, seuls le diamètre de fer et la longueur de hampe seraient variables, cela permettrait de classer les références en 2XC*, 1XC*, standard, 1XL**, 2XL*, 3XL* etc….. De la même façon pour le diamètre nous aurions pour les fins de fer 1XF*, 2XF*, 3XF* etc….et pour les forts de fer 1XH*, 2XH* etc… Et je n’ose même pas parler des formes de courbure ou des œillets…….ni de la correspondance avec les anciennes échelles d’hameçon.

Avec cette classification, nous aurions la possibilité de trier les références avec des équivalences et de parler tous le même langage. Je me mets à la place de celui qui veut monter un modèle d’après un patron trouvé sur internet ou dans un bouquin, nous arrivons très vite à des horreurs comme nous en voyons tous sur la toile. Monter une mouche sur un TMC 921 N°18 n’est pas la même mouche que sur Daiichi 1310 N°18 ou que sur un Mustad 94940 N°18.

Il y a longtemps que je monte uniquement avec deux marques Tiemco et Daiichi, gages de qualité dans la durée.

*1XC veut dire que la hampe d’un hameçon n°16 correspond à la hampe d’un hameçon d’un numéro inférieur, c’est-à-dire à un hameçon n°17 (et non à un 18) de la même référence, 1 fois plus court (XC).

**2XL veut dire que la hampe d’un hameçon n°16 correspond à la hampe d’un hameçon de 2 numéros supérieur c’est-à-dire à un hameçon n°14 de la même référence 2 fois plus long (XL).

C’est la même chose pour le diamètre du fer : 2 fois plus fin (XF) ou 2 fois plus lourd (Heavy) (XH)."

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Concernant les couleurs, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais la définition des couleurs me pose un réel problème, définir un gris, un olive laisse une très grande part à l’interprétation, comment là aussi faites-vous pour vous y retrouver ? Je n’ose même pas penser à un débutant face à ces deux questions, pourtant essentielles, qui restent souvent sans réponse satisfaisante. 

Christian " Désolé Jean-Marc, mais l’appréciation de la couleur ne peut être QUE subjective et sujette à interprétation. Expliquer la façon dont on doit aborder la couleur dans le cadre du montage des mouches est un exercice compliqué. S’il s’agit juste de se comprendre entre pêcheurs on peut se référer au livre d’Henri Pethe (« Montage Des Mouches Artificielles » ... LA BIBLE !!!). On y retrouve une sorte de référentiel sous forme de planches de couleurs en tenant compte de ce que Halford avait lui-même défini bien avant. Mais les planches proposées sont destinées à la teinture des hackles et ce n’est donc pas assez complet pour l’ériger en tant que charte qui pourrait servir à tout un chacun. Il y manque en particulier toute la déclinaison des « rouges », gamme de couleurs essentielle pour moi.

Au-delà de sa « couleur », tout matériau (plumes, poils, fils, synthétiques, etc.) possède une texture et un taux plus ou moins élevé de translucidité et de réfraction. Il faut prendre tous ces éléments en compte car in fine c’est la convergence de ces paramètres qui nous donnera l’impression juste ou non de la « couleur » désirée (NDLR : Christian avait écrit pour Truites & Cie un article complet concernant le choix de la plume de coq, vous pouvez le consulter ici).

A l’attention des débutants, je dirai : essayez d’adapter vos choix en fonction de ce que vous observez au bord de la rivière, la lumière du jour est toujours plus « objective » et méfiez-vous des couleurs trop franches, la nature est plus subtile que ça..."

Cyril "J’essaye de me rapprocher au mieux de ce que je vois sans tomber dans l'extrême... si je suis un ou deux tons en dessus ou en dessous, ça me va ! Cette démarche m'a amené à teinter mes matériaux dès le plus jeune âge : au tout début je tentais des plumes de coq en lie de vin avec mes frangins, nous achetions de la teinture en droguerie, c’est un peu inné chez nous... on a toujours cherché à obtenir de bonnes couleurs, pareil pour les billes en tungstène que nous utilisions déjà à l'époque !

Aujourd'hui, je réalise toujours mes propres teintures (de plumes, hackle poils et dubbing), donc j’ai énormément travaillé mes couleurs et effectué d’innombrables essais, de comparaisons en tout genre au bord de l’eau. Je maîtrise cet exercice délicat qu’est la teinture des plumes et qui fait appel au cercle chromatique avec les couleurs primaires et secondaires... obtenir un gris pêchant n’est pas chose aisée d’autant que la couleur du matériau de base n’est pas du blanc pur, cela influence beaucoup sur le résultat final."

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Les couleurs, par Jean-Marc Somaré

"La définition des couleurs est le second écueil de taille auquel les débutants mais aussi les monteurs confirmés voire experts vont être confrontés tôt ou tard. Pourquoi cette affirmation de ma part ? Pour la bonne et simple raison qu’il n’y a rien de plus compliqué à définir qu’une couleur, mais alors dés que l’on touche aux couleurs des hackles, là cela devient quasiment impossible a déterminer. Pour les plumes de coq gris surtout, je suis en parfait accord avec Christian, c’est une question très personnelle et surtout de sensibilité. A titre d’exemple voici la définition du Bleu Andalou (le fameux Blue Dun des anglais) cette définition est issue du remarquable ouvrage d’Henri Pethe « Traité Pratique du Montage des Mouches Artificielles » :

« C.F. Walker prétend que ce qui est vendu comme blue dun n’est pas réellement bleu mais un gris-brun à reflets métalliques Il est impossible à reproduire avec la teinture, ce qui permet de distinguer les cous naturels des cous teints, mais de nos jours le blue dun est le gris-bleu dont nous rêvons tous, il peut aller du gris bleu clair, au gris bleu ardoise, légèrement violet, le Blae dont parle M. Constantin». A la lecture de cette définition, je reste sans plume. Comment un débutant peut-il s’y retrouver ? C’est vraiment une question de fond fondamentale.

Un américain Gary Borger a, il y a une trentaine d’années, tenté de codifier les couleurs de manière à harmoniser le langage des monteurs de mouches avec son BCS « Borger Color System ». Mais qu’est donc ce fameux système ? Bien que je ne sois pas dans la confidence, je suis persuadé que Gary a pris comme référence un des systèmes de référence connu comme le RVB (Rouge – Vert – Bleu) pour les francophones et RGB (Red – Green – Blue) pour les anglophones ou le RAL d’origine allemande (Reichsausschuß für Lieferbedingungen) ou le Code Couleur HTML. En annexe vous trouverez divers liens pour vous familiariser avec ces systèmes.
Le RAL ayant pour avantage définir les couleurs par des noms, c’est plus « pêche » que de simple N° couchés sur une feuille de papier.

A l’intérieur d’un de ces systèmes, Gary a choisit un certain nombre de couleurs qu’il a référencé par un N° de code du style BCS 46, BCS 47 etc………Je me rappelle avoir eu en main ce système lors d’un voyage chez l’Oncle Sam dans les années 90, c’est pratique pour définir les couleurs des soies de montage, des herls, des quills, des dubbings, des corps ou des pattes voire des ailes des subimagos mais cela reste inutile pour les ailes des spinners aux couleurs si indéfinissables. Tout au plus, il peut servir pour définir la couleur globale d’un cou de coq mais surement pas la couleur d’une plume qui en plus de sa couleur est vue par la transparence et le brillant des fibres qui sont des éléments non quantifiables.

Néanmoins je suis convaincu, à l’heure d’internet, qu’utiliser le RAL et/ou le RVB est simple et devrait à minima permettre à chacun de parler un langage commun et cela éviterait des grossières erreurs de couleurs et simplifierait grandement la vie des jeunes monteurs et des autres.

https://www.toutes-les-couleurs.com/code-couleur-rvb.php

http://www.pats.ch/formulaire/unites/unites11.aspx

https://htmlcolorcodes.com/fr/selecteur-de-couleur/

Prenons comme exemple ce dubbing qui provient de chez Fly-Rite et est issu de la collection complète sous forme de portefeuille. Que voyons-nous ? Deux désignations, la première donne la référence du dubbing Fly-Rite 21 Light Gray, la seconde, entre parenthèses, nous donne la référence de Gary Borger soit BCS 110. Nous voyons tout de suite l’utilité d’un tel système."

dubbing

 

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Vous êtes capables de reproduire n’importe quel modèle connu. Pourtant vous avez aussi un esprit de recherche, de développement de nouveaux modèles très aiguisé, quels sont les critères fondamentaux à retenir pour créer une nouvelle mouche artificielle ? En d’autres termes, comment procédez-vous pour concrétiser vos idées ?

Christian "Étant très attaché par goût à toujours être (plus ou moins !) en lien avec ce que j’observe dans la nature, je ne fais que tenter de perfectionner les mêmes modèles. Les truites de chaque rivière se nourrissent saison après saison des mêmes insectes par cycle d’éclosion ou de présence. Ayant eu le goût de les connaître un minimum, cela me sert de base. Je monte donc toujours peu ou prou les mêmes mouches… Avec le temps j’essaye de les monter mieux et avec des matériaux toujours plus justes, rien de plus. On ne réinvente pas la roue !

Il faut se méfier de la créativité, pour moi c’est l’écueil du genre. La plupart des monteurs passionnés qui débutent veulent vite devenir créatifs, plus ou moins consciemment… Plus leur mouche est alambiquée avec de nombreuses étapes de montage et tout autant de matériaux, plus ils sont fiers d’eux on dirait !!! C’est sans doute un passage obligé, j’ai dû y passer aussi ! (rires).

Techniquement, je crois que je suis un monteur minutieux, mais pas plus doué que ça, je ne fais rien de très compliqué, le concept m’intéresse infiniment plus. La technique ne devrait jamais prendre le pas sur le concept, jamais, jamais, jamais...Je pense qu’il faut faire simple et bien, c’est tout con dit comme ça, mais à y réfléchir... pas si évident !

Je trouve qu’il y a énormément de similitudes avec la cuisine : savoir où l’on va, quel goût veut-on obtenir, les bons produits, les bons accords… Normalement cela devrait suffire pour que le plat soit bon, n’est-ce pas ? Et je vois beaucoup de cuisine expérimentale dans les boîtes à mouches et sur les réseaux sociaux moi !! (sourire).

Les meilleures idées me viennent à la pêche. Se fige alors dans mon esprit l’image que je me fais de la mouche que j’aurais dû posséder pour faire face à une situation donnée. L’inspiration vient souvent d’un insecte, mais aussi de caractéristiques techniques qui auraient été nécessaires au modèle (taille, flottabilité, visibilité, etc.), très souvent un mélange des deux.

Une fois chez moi, j’essaye de mettre cette idée à l’œuvre ! Ensuite il faut tester en situation et je dois bien t’avouer qu’il y a plus d’échecs que de réussites. Prendre une poignée de truites avec un nouveau modèle ne prouve rien, c’est un succès qui se répète sur plusieurs saisons qui doit valider son statut."

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ORL
Légende
Les ORL de Cyril
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Cyril "Y a-t-il encore quelque chose à créer ? Personnellement je ne crée rien. Je fais simplement de l’assemblage d’idées que d’autres monteurs ont eu avant moi, avec des matériaux que j’affectionne...

Je cherche toujours la vie, la mobilité, et à obtenir des mouches légères ! Le but est toujours d'améliorer mes modèles pour me rapprocher de la silhouette perçue par le poisson, surtout pour les sèches où c’est le plus difficile !

Mes mouches ne sont jamais surchargées en matériaux, j’essaie de trouver un équilibre, j’aime les mouches qui attrapent du poisson, pas des pêcheurs... Je ne fais pas des détails pour flatter l’œil du pêcheurs alors que le poisson ne les verra jamais. Sur les sèches, je travaille surtout sur la hauteur de flottaison et la silhouette. A la rigueur sur une nymphe, on peut travailler un peu plus les détails.

Par exemple, je rajoute parfois quelques poils, très peu, juste pour modifier légèrement la position de la mouche et lui donner un peu plus de vie. La moindre petite brise l'animera légèrement !

Tous ces essais, je les fais en présence d’une éclosion massive lorsque j’ai bien déterminé l’insecte concerné. Je teste alors des matériaux raides, souples, des hauteurs de flottaison différentes, des différents tons d’olive par exemple..etc. La pêche à la mouche est une recherche permanente ! Mes modèles ont évolué et évolueront dans les années à venir !"

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L’évolution des matériaux, par Jean-Marc Somaré

"Durant les années 80 à 2000, le « Fly Tying » a explosé en France de façon spectaculaire, sous l’impulsion de quelques passionnés, nous avons vu les rayons de nos magasins de pêche se remplir de produits (généralement américains ou anglais) jusque là introuvables dans l’Hexagone, c’était la fête du monteur amateur. Depuis le début des années 2000, la « fièvre » est largement retombée, l’arrivée d’Internet sur le bureau du monteur et la multiplication des écoles ou des clubs de pêche à la mouche en sont deux des causes, le marché à changé radicalement. Il est possible de commander n’importe quoi, n’importe où, les clubs font des achats groupés comme si il s’agissait de grandes Société avec des « acheteurs professionnels »…

Mais une des  causes principales de ce changement tient aussi au fait que il n’y a pas beaucoup de vraies nouveautés, très peu même, quand on se penche sérieusement sur la question, bons nombres de pseudo nouveautés ne sont en réalité que les mêmes produits qui changent de nom et d’emballage. Il serait intéressant d’établir une liste de ces produits avec leurs différentes dénominations, je pense que nous serions assez surpris. J’en veux, par exemple, un produit comme l’antron qui est commercialisé sous le nom d’antron bobine, antron yarn, antron dubbing, tri-lobal et autre sparkle yarn etc… C’est toujours le même produit, certes sous des formes différentes, ça reste de l’antron… avec un seul produit nous pouvons faire tous les autres.

L’une des dernières vraies innovations est sans conteste l’arrivée des billes en laiton dans un premier temps  puis en tungstène plus tard. Qui aujourd’hui ne possède pas au moins quelques nymphes montées avec ces produits ? Personne, tous les « nympheurs » ont ça dans leur boite. Puis plus proche de nous, une autre vraie nouveauté est l’adaptation des résines UV au montage des mouches.

Aujourd’hui, je suis agréablement surpris de voir des entrepreneurs (de plus en plus nombreux) se pencher sur la qualité des produits plus que sur la recherche de nouveaux matériaux à tout prix, un Cyril Bailly fournissait des articles de qualité hors norme (plume de CDC triées une par une à la main, s’il-vous-plait) à un prix plus que raisonnable, un Jean-François Laval (Ducoq A la Rivière) produit des hackles de coq comme on n'en trouvait plus depuis bien longtemps et c’est très bien, j’espère vraiment que le marché prenne cette direction de qualité pour le plus grand plaisir de tous les monteurs amateurs que nous sommes."

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Christian
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Le milieu naturel où évolue nos partenaires de jeu, truites et ombres, en en perpétuelle diminution suite aux agressions diverses de tout poils, c’est particulièrement vrai dans le Grand Est. Comment voyez-vous l’avenir des rivières dites à salmonidés dominants dans vos deux régions ?

Christian  "Tout d’abord, laisse moi te dire que je réfute l’expression « partenaire de jeu »… ce terme me fait bondir ! Un partenariat implique le consentement, je ne pense pas que le poisson soit d’accord pour participer à quoi que ce soit, on lui impose une pratique. Je n’aime pas la dérive idéologique qui s’opère actuellement dans la pêche en général. La socio-psychologie des acteurs de la pêche va hélas dans ce sens car très majoritairement composée de néo-ruraux trop en rupture avec la nature et les traditions. Ici aussi, c’est l’air du temps...

Je conserve environ 3 à 4% de mes prises et je sais bien que cette affirmation peut me valoir un procès en terrorisme halieutique dans le milieu dans lequel on évolue, mais il est capital de garder ce lien : le poisson, n’est ni partenaire, ni adversaire... il reste une proie ! Et la pêche un acte de prédation avant d’être un sport ! En ce qui concerne les rivières, les choses changent c’est vrai mais je considère que la pêche est encore ici de bonne qualité. Comme tout le monde, c’est le climat qui m’inquiète. Le réchauffement certes, mais c’est surtout le manque de précipitation qui me préoccupe le plus. Beaucoup moins de neige l’hiver, moins de pluie et d’orages l’été… j’aime à penser que tant que nous aurons suffisamment d’eau tout se passera bien… C’est hélas un critère sur lequel aucune réglementation piscicole ne peut agir.

Ma très grande inquiétude, c’est la raréfaction des insectes, mais c’est lié avec ce que je viens d’évoquer. Il ne faut pas oublier que la biomasse en poisson est directement dépendante de la biomasse benthique mise à sa disposition. Bien sûr ce n’est pas le seul facteur influent, il y a la capacité d’accueil qui peut être modifiée, des pollutions… La surpêche (les viandards !) n’intervenant que très peu dans ce déclin...si déclin il y a…(sourire).

Après moi, je ne fantasme pas du tout sur l’étranger, le peu que j’y ai vu et tout ce qui m’en a été ramené me laisse plutôt perplexe... c’est une question de point de vue, mais la libéralisation de la pêche et les alevinages (entre autres) systématiques, très peu pour moi... je crois que je préférerais arrêter la pêche."

Cyril "C’est simple : si rien n’est fait par nos instances pour les rivières de l’Est de la France, dans 5 ans la pêche des salmonidés sauvages sera terminée pour nous !

On a connu les rivières du « triangle d’or », les plus belles rivières de France lorsqu'elles attiraient des gens du monde entier, des anglais, des américains...etc. Pêcher à Goumois, c'était... se retrouver à la Mecque ! On les voyait rempli de poissons ces rivières, ce qui d'ailleurs remettait les idées en place lorsqu'on comparait ça aux résultats des pêcheurs... Aujourd’hui, c’est chaque année l’hécatombe, mais ce n’est pas la prédation des pêcheurs qui a causé tout ça. Je fais du no-kill et le revendique depuis 30 ans, mais à l’époque, on pêchait tous avec le panier en osier, on prélevait tous nos 6 truites et les populations étaient stables. Aujourd’hui le prélèvement est devenu insignifiant… Le problème est lié à la pollution et au réchauffement qui accentue ses effets… pollution engendrée par l’agriculture majoritairement.

Les rivières se dégradent encore et toujours ! à une époque, les paysans étaient impliqués, ils entretenaient des canaux qui étaient des lieux de frayère pour les poissons. Aujourd’hui, la rivière est à l’abandon, les pompes se multiplient, lisiers et pesticides font qu’il manque une paire de trichoptères et d’éphémères (rires)."

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Christian
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Christian, tu es un entomologiste connu et reconnu, ton orientation dans le montage va à la représentation la plus fidèle possible de la mouche naturelle, pourquoi ce choix ? Penses-tu qu’une mouche exacte soit plus prenante qu’une mouche d’ensemble ?

"La vraie entomologie est une science vraiment complexe et mes compétences dans ce domaine sont très sommaires. En fait, je ne me considère pas comme un entomologiste, mais plutôt comme un pêcheur soucieux d’avoir quelques bases sur le sujet. Dès le départ mon approche de la pêche et du montage des mouches nécessitait l’étude des insectes... aucune cohérence sinon.

Savoir identifier un insecte c’est bien, mais comprendre dans quelle mesure sa présence intéragit avec le poisson c’est beaucoup mieux et... beaucoup plus utile !!! C’est surtout ça qui m’intéresse. Après « mouche exacte », « mouche d’ensemble »… ce sont des vocables dont je ne me soucie guère car j’ai l’impression que chaque pêcheur à sa propre définition de ces termes là. Tu vois par exemple, moi l’été j’utilise beaucoup la Red Spinner… pour certains c’est peut-être une mouche exacte alors que pour moi elle est une mouche d’ensemble car elle couvre bon nombre d’imagos estivaux. Je crois donc que ce problème vient surtout d’une question de sémantique. Je sais bien que ce n’est pas l’image que je renvoie, mais moi je me vois comme un moucheur qui utilise surtout des mouches d’ensemble (sourire).

Sur l’ensemble d’une saison, le nombre de truites pour lesquelles j’ai recours à une imitation très précise est en réalité très faible. Mais dans certains cas, sur des poissons installés et éduqués, c’est la seule solution qui vaille. Ken Iwamasa (grand monteur et pêcheur américain) aurait dit : « Si tu peux reconnaître ton artificielle parmi les autres mouches à 15 yards, alors imagine la truite ! ». Cette phrase me va bien, elle résume assez ce que je pense.

La plupart de mes mouches représentent un groupe d’insectes, d’autres sont plus précises et j’aime bien oui, prendre ma truite avec une mouche qui ressemble plus ou moins à ce dont elle se nourrit. C’est une satisfaction d’ordre intellectuel avant tout, mais aussi de logique. Je ne parle là qu’en mon nom, mais je réussis quand même mieux avec des mouches qui ressemblent (au moins un minimum) en taille, forme, volume et teinte aux insectes présents qu’avec des modèles trop fantaisistes ou simplement « hors sujet »…Et comme pour chacun d’entre nous c’est aussi une question de confiance : j’ai confiance dans ma démarche, DONC je pêche mieux, c’est psychologique ! Je n’impose rien à personne.

Je dis ça car j’entends déjà les pénibles proclamer qu’ils ont pris un jour une truite avec un « tabanas » en pleine retombée de fourmis ou une autre prise avec un gros sedge alors qu’elle aspirait de petits imagos morts, etc, etc… Tout arrive à la pêche bien sûr, mais l’exception ne peut en aucun cas s’ériger en tendance lourde et encore moins en stratégie, voilà ce que j’en pense.

En montage, représenter un insecte dans ses moindres détails, n’a aucun intérêt pour moi, aucun sens. Ce ne sont pas la somme de ces détails qui font l’« exactitude » ou la justesse du modèle, ça ne fonctionne jamais ça. Ce vers quoi moi je tends, c’est donner l’impression exacte (ce qui n’est pas du tout la même chose !), une forme de rendu émotif à l’aide de plumes, de poils et de fils… en ce sens je me vois plus comme un impressionniste, un styliste. Appelez ça comme vous voulez !!! (rires)"

Christian, non seulement tu es un monteur/pêcheur d’une rare compétence, mais tu as aussi à ton arc l’immense talent d’être un auteur halieutique très lu. Parle-nous de ce qui t’as amené dans ce monde de l’écriture.

"Je prends des notes depuis que je pêche, certaines saisons j’ai même un peu romancé certaines sorties… c’était au temps où le numérique n’existait pas et je t’avoue que c’était un peu fastidieux. Ceci dit, j’ai toujours pensé que j’écrirais un truc un jour ou l’autre et que cela me servirait. La littérature a toujours été un centre d’intérêt chez moi, donc lier l’écriture et la pêche devait se faire...au fond de moi c’était évident. 

La providence veut qu’à 2 jours d’intervalle début 2018, Simon Scodavolpe et Leon Janssen me proposèrent tous les deux d’écrire !  Le premier afin d’intégrer l’équipe rédactionnelle de Truites & Cie qui venait de voir le jour, le second pour un article ponctuel (sur la March Brown) pour le magazine papier Flamand « De Vlaamse Vliegvisser ». Ayant de très grandes connivences intellectuelles avec ces deux personnages il n’en fallait pas plus pour franchir le pas, la machine était lancée ! 

Au travers de mes écrits, j’essaye de me comporter en passeur, pour ne pas oublier d’ou la passion nous vient et surtout pour éviter que l’héritage de nos anciens ne se dilue à jamais...si mission il y a, c’est la seule que je me fixe. Je n’en suis pas encore à l’âge où l’on écrit ses mémoires, mais la cinquantaine arrivant, je n’ai plus à me justifier à moi-même le fait d’écrire."

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Christian
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Christian, dans tes montages, tu utilises beaucoup les fils pour la représentation des abdomens, quelles sont les raisons qui motivent ce choix ? Et quels fils utilises-tu le plus ?Il me semble que tu es un peu à contre courant des techniques actuelles qui privilégient les techniques du dubbing.

"Dubbings, quills, herls, fils… je les utilise tous car ces matériaux sont excellents pour faire le corps des mouches avec chacun ses avantages et ses inconvénients. Cependant tu as sans doute raison, j’ai peut-être une préférence marquée pour le fil… mais plutôt pour un style de mouche en fait : les modèles précis, rustiques et pas trop petits.

La raison principale de ce choix est que je suis très imprégné par la culture espagnole du montage qui, comme chacun sait, tient compte avec la plus grande des précisions de la structure des abdomens. Le choix de la couleur et de la texture du fil de montage aussi bien que celui du fil de cerclage (brinca) y est choisi avec la plus grande des rigueurs. Les espagnols sont « fous » de fils (Gütermann et autres) et je crains bien que cette folie a un petit peu déteinte sur moi. Je suis très, très passionné par le montage des mouches noyées espagnoles (ahogadas) et j’ai beaucoup travaillé dessus.

La plupart du temps, une mouche noyée espagnole ne comprend que 4 éléments (en plus de l’hameçon évidemment) : un fil pour le corps, un fil de cerclage, un autre fil pour la tête et des fibres de pelle d’un coq particulièrement sélectionné, Pardo ou Indio… ce sont des mouches sublimes, esthétiquement! Ce qui est très intéressant de constater (et de comprendre), c’est qu’il suffit de changer, même légèrement, un seul de ces éléments (comme la couleur du fil pour la tête par exemple ou le fil de cerclage), pour que la mouche change complètement d’aspect dans «l’impression» qu’elle nous donne...cela nous en apprend beaucoup ! Si on change juste la plume ou son dosage en volume (ou angle de dressage!), l’effet est encore plus probant… un nouveau monde s’est ouvert à moi lorsque j’ai commencé à jouer avec ces paramètres. C‘est Pierre Miramont qui m’a lancé sur cette voie il y a déjà plus de 30 ans et je l’en remercie car cette « culture » m’influence au quotidien pour tous types de montage ; pour les mouches noyées bien sûr mais aussi pour les sèches et les nymphes… ça a changé mon regard en somme, c’est ça qu’il faut retenir.

En ce qui concerne le choix des fils, j’en ai beaucoup dans mon atelier mais je ne peux pas prétendre avoir essayé tous ceux qui existent sur le marché. En cuisine il faut du gros sel et du sel fin, pour les fils de montage c’est pareil. Il me faut donc du fil de toutes tailles, textures et structures.

Pour les montages courants, les références issues du commerce du fly-tying sont toutes assez bonnes et solides. J’utilise principalement les marques Veevus, Danville, UTC et Uni-Thread. Souvent les couleurs proposées ne sont pas justes (les jaunes ?... les rouges...?), c’est un des rares défauts, mais je suis un peu pénible avec les détails, je l’admets ! Lorsque je cherche des accords particuliers pour les corps en fil, les marques DMC et Gütermann proposent une très large gamme de coloris ainsi que l’irremplaçable fil à gant (Thiriez, Le Chinois) pour les cerclages notamment. Lorsque je souhaite monter un corps en fil, j’accorde une place prédominante à la qualité du cerclage, cela va énormément influer sur le côté impressionniste de la mouche. A cet effet, le fil à gant apporte un style mat et tranché que j’apprécie tout particulièrement.

J’aime beaucoup aussi les soies anglaises «Gossamer Pearsall’s Silk», très fine et aux couleurs subtiles, j’ai commencé avec ça et elles ont donc une saveur particulière pour moi. Elles possèdent une patine très caractéristique mais sont hélas un peu fragiles."

Christian, tu poursuis une sorte de Graal « L’imitation parfaite » d’où te viens cette sempiternelle obsession ? Est-ce une satisfaction personnelle ou une nécessité liée à la pratique de ta passion ? Et en fin, penses-tu qu’un jour tu trouveras LA mouche universelle ?

"Quel malheur si on parvenait à créer un modèle unique, définitif et performant en toute circonstance !!! La pêche à la mouche y perdrait alors tout son sens…

Il m’est arrivé de croiser des gens prétendre posséder cette fameuse mouche magique...mais dans les salons ou des magasins de pêche seulement ... jamais au bord de l’eau ! Ce sont souvent de vieux cons qui se croient plus malins que la moyenne. Ce sont les mêmes qui te claironnent dans les oreilles qu’il n’y a plus rien dans nos rivières !...et pour cause ! (rires)… Le tout est dans le tout mon cher Jean-Marc ! Alors « la mouche universelle »??? Quel étrange concept !!!

Vois-tu, mes ambitions sont beaucoup plus triviales : Personnaliser la boîte à mouches idéale sans nul doute oui…une composition qui ne peut pas être universelle d’ailleurs, ce serait bien impossible. Et pour revenir plus en détail à ta question, le Graal auquel tu fais allusion serait de parvenir à une simplicité ultime. Sais-tu comment tailler un aigle dans une montagne ?? ...Non ? ...Et bien il te faut pour cela retirer de la montagne « tout ce qui n’est pas un aigle » !... Épurer au maximum, chercher l’essentiel, voilà ma seule obsession, c’est la seule, l’unique.

Voilà pourquoi les modèles chargés et compliqués ne me touchent pas et ne m’impressionneront vraiment jamais. J’estime que lors de la réalisation d’une mouche, tout matériau non nécessaire, non pensé, est juste superflu.

On n’inventera jamais plus rien, tous les concepts sont à la portée de celui qui s’y penche, il suffit de faire l’effort. La quête de ce Graal consiste alors pour moi de trouver toujours un meilleur équilibre, une meilleure harmonie, de meilleures couleurs, le tout à l’aide des meilleurs matériaux possible. Mais au final, tout ceci n’est-il pas plus un chemin qu’une quête ? La vérité est de l’autre côté du miroir..."

Voici présentées en détails 5 mouches tirées de la boîte de Christian :

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Red spinner
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Red Spinner

  • Hameçon : Caleri 123bl  n°14.
  • Fil de montage : Veevus 14/0 rouge.
  • Cerclage : Tinsel HENDS couleur « wire ».
  • Cerques : Quelques fibres de pelle de coq corrézien gris rouillé foncé.
  • Ailes : Deux pointes de pelles de coq Indio Acerado montées en V.
  • Collerette : Un hackle corrézien gris moyen et un hackle roux moyen enroulés mélangés à part égales.
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Blue Spinner
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Blue Spinner

  • Hameçon : Caleri B405bl n°16.
  • Fil de montage : Veevus 14/0 noire.
  • Cerques : Quelques fibres d’un grand hackle gris.
  • Corps : Quill naturel Polish Quill.
  • Ailes : Quatre pointes de hackle couleur Blae (2 pointes montées à plat/2 pointes montées au dessus de deux premières avec un angle de 30°).
  • Collerette : Hackle de coq couleur Blae.
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fourmi noire
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Fourmi noire

  • Hameçon : Caleri 123bl n°18.
  • Fil de montage : Veevus 14/0 noire.
  • Abdomen : Renflé en soie de montage à la courbure.
  • Cerclage : tinsel HENDS couleur or.
  • Ailes : Deux pointes de hackle de coq de pêche gris acier clair, dépassant de moitié la longueur de l’abdomen.
  • Collerette : Un petit hackle de coq noir naturel ponctué de mordoré.
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Sedge Roux
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Sedge Roux

  • Hameçon : Tiemco 900bl n°14.
  • Fil de montage : Veevus 14/0 couleur orange.
  • Abdomen : Herl de substitut de vautour teint couleur orange.
  • Ailes : Deux  plumes, de cul de bécasse, fixées en forme de toit (demande un coup de main difficile à expliquer).
  • Collerette : Hackle de coq roux clair de bonne qualité.
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Danica
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Danica

  • Hameçon : Tiemco 109bl  n°9.
  • Fil de montage : Veevus 14/0 noire.
  • Cerques : Trois poils d’élan (moose), montés à plat et distinctement écartés.
  • Abdomen : Soie floche jaune crème très pâle, pas trop fin.
  • Cerclage en deux parties : à l’extrémité 3 ou 4 tours de quill brun Polish Quill/sur le reste de l’abdomen avec la soie de montage.
  • Thorax : en dubbing mélange de poils de lièvre assez dru (1/3 couleur jaune olive clair et 2/3 couleur noire)
  • Ailes : en fibres de pelles Pardo Medio teint en jaune à l’acide picrique (Stéphan Florian),divisées en deux parties, montées à plat dans le style Gallica.
  • Collerette : Hackle de coq Metz couleur grizzly.
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Cyril
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Cyril, tes modèles sont plutôt des mouches d’ensemble, suggérant plutôt qu’imitant, pourquoi ce choix ? Tu aurais pu aussi imiter les mouches naturelles au plus près et visiblement ce n’est pas ton choix. Penses-tu qu’une mouche d’ensemble soit plus efficace qu’une mouche exacte ?

"Ce n’est pas l’exactitude qui m’intéresse. Je l’ai recherchée lorsque je débutais mais les mouches parfaites ne vivent pas beaucoup en général. Il faut trouver un compromis en prenant en compte le coloris dominant (si j’observe des ailes grises, je tente de reproduire des ailes... de cette couleur !) et la taille qui est très importante, là par contre, il faut être très juste. Après il faut lui donner de la vie et là c’est plus difficile ! Peu importe que la mouche soit d'ensemble ou pas !

Comme mouche d’ensemble, j’utilise des grises à corps jaunes un peu travaillée ou des oreilles de lièvre par exemple. Je donne beaucoup de vie à l'ORL en utilisant des poils assez longs, la mouche est bourrue mais pas surchargée !

Sans aucun doute, je pense que l’on a tous fait la même erreur à nos débuts de vouloir imiter avec exactitude ce que l’on voit et non ce que le poisson perçoit. C’est quand même plus sympa d’avoir des mouches qui attrapent des poissons plutôt que des pêcheurs… A méditer."

Cyril, tu es connu dans le monde entier pour ta maîtrise des techniques mettant en œuvre des dubbing, d’où te vient cette orientation ? Et quelles sont les raisons de ce choix ?

"J’avais à peine dix ans quand j’ai rencontré un vieux pêcheur de mon village, M. Bontemp. J’étais subjugué par son aisance, sa faciliter à lancer et à prendre du poisson. Je suis resté toute une après-midi à le harceler de questions et il a fini par m’ouvrir sa boîte de mouches. "C’est étrange", me dis-je, je n’avais jamais rien vu de semblable jusqu’à présent. Moi, je ne connaissais que les mouches à base de cul de canard et de hackle. Ses mouches étaient très abstraites mais elles dégageaient de la vie. Il m’expliqua qu’elles étaient toutes réalisées avec du poil d’oreille de lièvre. Je lui demandai aussitôt où je pouvais m’en procurer et il me répondit qu’il en mettrait une paire dans son gilet et qu’il m’en ferait cadeau lors de notre prochaine rencontre. Il tint parole et, sans le savoir, j’avais entre les mains la matière qui orientera mes montages pendant les trois décennies suivantes...

Le poil de lièvre est excellent pour donner de la vie, à la fois au niveau du masque (nez et joue avec le poil raide pour les eaux rapides) ou du dos que j'utilise pour faire des collerettes plus molles. Ce que je regrette dans le lièvre, c’est de ne pas avoir de gris moyen ! un lièvre gris naturel moyen serait le graal !

Pour parler plus généralement des dubbing, il y a tellement de textures différentes, souples, raides, de poils creux ou pas, que le nombre de dubbing est infini ! D'un point de vue pratique, je trouve que le dubbing est facile à mettre en œuvre et solide ! "

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Cyril Bailly
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Cyril, tu as été professionnel dans la fabrication des mouches artificielles et la commercialisation de produits pour le « Fly Tying », que retiens-tu de cette aventure ? (pour la petite histoire, les produits de Cyril se sont vendus comme des petits pains et l’arrêt de son activité professionnelle a laissé un vide immense chez ses anciens clients)

"J’ai commencé à vendre mes premières mouches en 1990 uniquement dans deux ou trois magasins de ma région. Pour des raisons professionnelles, j’ai dû changer de région et j’ai donc arrêté cette activité pendant une vingtaine d’années. Puis, j’ai eu à nouveau envie de me remettre au montage mais cette fois-ci en rajoutant ma propre gamme de fly tying.

Ma boutique, je l’ai faite par challenge, je voulais montrer que le montage de mouche est quelque chose d’accessible et qu’on pouvait proposer des matériaux de bonne qualité, triés et sélectionnés à prix correct, pour que tout le monde puisse en profiter. Je ne voulais ni m’enrichir, ni me faire un nom. Mes dubbing étaient dosés pour être faciles d’utilisation, les coloris étaient bien choisis, pour tous niveaux de monteurs. Bref, c’était un nouveau challenge et honnêtement je ne pensais pas avoir un tel succès.

Pendant 5 ans j’ai travaillé 18 heures par jour, 7 jours sur 7, et avec le temps une lassitude s’est installée, car c’est du travail à la chaîne. L’envie n’y était plus. Ce que j’aime, c’est de partager ma passion, et là, je n’y arrivais plus. Je n’avais même plus le temps d’aller à la pêche... un comble !!! Depuis, j’ai à nouveau du temps et j’ai repris goût au montage. Alors ce que je retiens de cette aventure, c’est de ne pas travailler dans le domaine de sa passion."

Cyril, sans vouloir te cirer les pompes, je dois reconnaître l’extraordinaire qualité de tes montages et plus particulièrement la qualité extrême de la finition des modèles, tu tires vers le haut le montage de mouches artificielles, as-tu conscience de l’incroyable exemple que tu donnes à tous les monteurs ? Et comment arrives-tu à une telle régularité dans tes créations ?

"Franchement, je n’en ai aucune conscience. Je partage mes montages depuis une quinzaine d’années par passion, sans rien attendre en retour, pas même la notoriété. Alors si j’ai fait avancer le Schmilblick, tant mieux.

Comment j’arrive à une telle régularité ? Je suis un éternel insatisfait, ce qui me pousse à toujours faire mieux à chaque montage et 36 années de pratique derrière moi, ça aide un peu.. (rires) La régularité m’a intéressé au départ, j’ai appris avec un bouquin où les mouches étaient toutes dessinées donc parfaites. On m’a dit : « il faut que ça ressemble à ça »… c’est ce que j’ai essayé de faire ! Je respecte les règles, quand je fais une mouche, je vise quelque chose de bien précis que j’en fasse 10 ou 20, elles seront toutes pareilles, je suis quelqu’un de pointilleux, toujours à la recherche de qualité. Ça ne me demande aucun effort, c’est une démarche naturelle !

Tu sais, au final, ce qui m’intéresse c’est avant tout le regard des poissons, qui sont les seuls juges. En fait, j’attache assez peu d’importance à ce qu’on peut dire des mes mouches. Evidemment, je suis content lorsqu’on dit qu’elles sont belles... mais je veux surtout que mes mouches prennent du poisson ! une ORL je ne trouve pas ça très beau mais les poissons l’apprécient alors... si j’avais voulu faire des concours, j’aurais tenté le coup mais ça ne m’intéresse pas du tout !"

Voici présentées en détails 5 mouches tirées de la boîte de Cyril :

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Sedge Leon
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Sedge Leon

  • Hameçon : Daiichi 1180 N°14.
  • Fil de montage : 14/0 noire.
  • Collerette : Poils de dos de lièvre.
  • Corps : Dubbing de lièvre jaune olive.
  • Ailes : Plume de saddle de poule Pardo vernie.
  • Antennes : (facultative) : Fibres de plume de sarcelle.
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Bubble Sedge
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Bubble Sedge

  • Hameçon : Daiichi 1180 N°14.
  • Fil de montage : 14/0 camel.
  • Collerette : Poils long de dos de lièvre.
  • Corps : Dubbing de lièvre et d'écureuil olive.
  • Ailes : CDC marron naturel.
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Emergente bubble
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Emergente bubble

  • Hameçon : Daiichi 1100 N°18.
  • Fil de montage : 14/0 jaune olive.
  • Corps : Dubbing de lièvre et d'écureuil jaune olive.
  • Sac alaire : CDC gris moyen naturel.
  • Exuvie : Antron yarn marron moyen.
  • Pattes : Poils long de dos de lièvre.
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Danica
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Mouche de mai

  • Hameçon : Daiichi 1180 N°8.
  • Fil de montage : 14/0 noire.
  • Abdomen : Dubbing super fin crème cerclé, avec un fil marron de fort Ø, sur la première moitié de l’abdomen environ.
  • Cerques : Poils de crinière d'élan.
  • Collerette : Masque de lièvre et plume de perdrix Hongroise.
  • Ailes : Fibres de CDC jaune.
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nymphe Bailly
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Nymphe double bille

  • Hameçon : Daiichi 1310 N°18.
  • Fil de montage : 14/0 camel.
  • Corps : Plume de substitut de condor ocre.
  • Cerques : En fibre de pelle Pardo.
  • Lestage : Deux billes tungstène Ø 1,5 mm ocre.
  • Sac alaire : Faisan marron + dinde olive

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