C’est samedi, il est 14h, j’ai fini mon boulot. J’ai encore 4h devant moi, je vais en profiter pour prospecter un nouveau terrain de jeu ! Encore un peu de route et je me gare. Il fait chaud. C’est l’été, en plein milieu du mois d’août. 1km en pente me sépare d’un petit torrent, je le devine tout en bas, je descends… 45min de marche sur une piste rouge ça calme mes ardeurs… les genoux souffrent… ça y est, j’y suis, j’ai les pieds dans l’eau…12°C, impeccable. Je pêcherai au micro-leurre souple avec des micro-têtes plombées… une technique que je maîtrise. Bientôt 2 ans de pratique assidue.
Premier poste, je fais quelques lancers et une truite vient voir, cool "y’en a"… Du coup j’me concentre. Que le bal commence !
Ce p'tit torrent est très chaotique, des sapins tombés en travers, l’eau y coule en escalier, et puissant par endroit… il y a de l’ardoise partout, ça coupe, c’est tranchant, je fais attention, je suis seul… pas de place pour les erreurs.
Je les vois, rapides, furtives... Elles viennent voir à fond les ballons, tapent du bout de la gueule et repartent aussi vite. Je n'en pique aucune…
Descendre en taille, en poids, affiner la pointe, changer pour du naturel… et là, leurs réactions changent, j’en pique quelques-unes, elles sont petites effectivement. Les infos prises il y a déjà quelques mois sont bonnes.
Je n'ai pas beaucoup de temps, je me concentre sur l’essentiel. J’arrive sur une grosse gouille, sous une grosse cascade, je me cache et j’observe, tout… les branches, les rochers, le fond, le sens des veines, les grottes, les fentes, tout… je vais balayer de gauche à droite toutes les caches possible de cette gouille. Lentement.
Elles est profonde de 2m, j’ai vu des truites maillées plus bas. C’est possible qu’ici, il y en ait une bien plus grosse. La cascade est haute de 15m, et donc infranchissable. Les truites s’arrêtent ici…Le dernier rempart…Le dernier trou. Trop haut, trop de pente, et pas assez d’eau, même pour une mémère, même pendant les fortes pluies… rien ne remonte.
Premier lancer, je prends une tape, je relance, et pique ma première truite. Elle fait 25cm, une taille correcte pour ce genre de torrent.
Quelques secondes plus tard, après un changement de couleur de leurre pour du flashy, j’en pique une autre, 30cm cette fois-ci... plus que correcte, j’en espérais pas tant… je la relâche, elle repart aussitôt vers le fond. Je le prends comme un signe.
Puis comme par gratitude, le vent se lève et bouscule tous les sapins autour de moi… Je reconnais tout de suite ce petit signe de Dame Nature.
Réfléchir, augmenter en taille, grossir ma pointe, repasser sur du naturel. Je reste discret dans mes gestes, la truite doit me percevoir comme un arbre, ni plus ni moins…
Je lance cette fois-ci en plein bouillon, laisse descendre, garde le contact avec le leurre. Si mes choix sont bon, mon leurre pêchera tout seul, pas besoin d’animation. Les secondes me paraissent minutes, patience…
JACKPOT, une touche discrète, suivi d’un lourd coup de tête me font ferrer sec. C’est pendu, c’est encore plus gros que les autres. Elle bataille pour sa vie, bien dodue, en plein bouillon. Elle cherche le fond, son trou, sa grotte. Je prends deux rush ultra-agressifs, digne d’une authentique fario sauvage. Elle monte à la surface, et j’arrive à voir sa robe. Elle est sublime. Elle rentre dans l’épuisette et ressort d’un coup de queue, je la bride, j’avais grossi ma pointe. Elle bataille pour de vrai. Après 5 min interminables et musclées, je la sens qui peine. Elle est dedans… la deuxième tentative est la bonne.
Une superbe mémère sauvage à souhait dans un torrent de montagne, à quasi 1500m d’altitude… Le bonheur. Mon graal.
Je la contemple, encore surpris de ma scène de pêche, de mes bons choix... Les petites du début, le vent, plein de trucs qui tombent dans l’eau, et le réveil de la grosse. Une sauvageonne taillée comme un obus... une robe à rhabiller les vilaines d’en bas... une robe bien caractéristique de cette vallée... 39 cm de muscle, adaptée à ce petit torrent de régime pluvio-nival.
J’en garderai un super souvenir.
La remontée vers la voiture aura fini de le graver en moi. Une piste rouge, sur 1km. Je m’en rappellerai toute ma vie.