L'Absolut No Refuse de Jean-Marc Somaré

Absolut No Refuse

Jean-Marc Somaré est originaire du département des Vosges et fréquente assidûment les rivières de Franche-Comté, où il recherche les truites zébrées avec sa technique fétiche : la pêche en nymphe à vue. Jean-Marc a partagé sa passion au travers de nombreux articles dans la presse halieutique et il est également considéré comme l'un des meilleurs monteurs de mouches français. Sa finesse dans le dressage, sa régularité et la qualité de ses finitions font partie de ses marques de fabrique. Il nous raconte aujourd'hui la genèse de sa fameuse nymphe A.N.R : 

Texte

Une naissance outre-Atlantique :

Cette nymphe fait parler d’elle et fait couler beaucoup d’encre. L’Absolut No Refuse (ANR) est une nymphe dont je ne revendique pas la paternité, mais dont je revendique l’adaptation au style de pêche à la nymphe légère made in France, le fameux ultra-light nymphing.

L’histoire de ce modèle remonte à 2004. Accompagné d’Eric Montaclair et de Bastien Marqués, nous partons pour un périple de deux semaines sur les rivières du Middle West américain.

Notre premier point de chute est Idaho Falls dans l’Idaho pour pêcher la très célèbre Henry’s Fork river, malheureusement la rivière n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était, bon nombre de poissons ont disparu et la pêche est médiocre. Rapidement nous changeons de programme, le temps de refaire les bagages et nous mettons le cap sur Flaming Gorge Lodge, dans l’Utah. Objectif : tremper nos mouches dans la réputée Green River. Après quelques jours passés à taquiner arcs, farios et Cutthroat, nous prenons la direction du Montana pour atteindre la Missouri River à Craig. C’est à partir de là que commence véritablement l’histoire de la No Refuse.

A votre arrivée à Craig, votre première visite est pour le Fly Fishing Shop local, il est immense. Chacun cherche, dans son domaine de prédilection, des nouveautés à acquérir. C'est le coin montage de mouche qui m’attire, des centaines et des centaines d’articles sont sur les présentoirs, de quoi en perdre la tête. Je tombe sur un produit ressemblant à du vinyl rib, celui-ci étant plus petit que celui commercialisé en Europe, j’en prends deux pochettes. A coté de ce produit et de la même marque je trouve un autre produit qui ressemble au zing mais teinté, je ne connais pas, deux ou trois pochettes viennent grossir mon panier et j’achète du dubbing d’opossum que je ne connais pas non plus."

Image
Green River
Texte

"Apres le Fly tying, c’est autour de la littérature halieutique américaine d’être passée en revue, c’est le cas de le dire. Ayant fait quelques séjours aux USA, je possède déjà beaucoup de livres traitant du montage, mais je ne peux résister au plaisir de tourner les pages de ces ouvrages remarquablement bien faits. Au bout de quelques ouvrages, je tombe en arrêt devant un livre, comme un Setter peu tomber à l’arrêt devant une bécasse. Ce livre est celui de Shane Stalcup, au titre évocateur de « Mayflies Top to Bottom », tout en couleur, avec des photographies de grande qualité, Shane traite les éphémères et leurs représentations avec une approche réellement moderne et innovante.

Image
Missouri River
Légende
La Missouri river Craig
Texte

De retour au lodge, je parcours avec voracité le livre, bien qu’ayant un anglais approximatif, je comprends quand même de quoi il est question, ce bouquin est vraiment bien fait. A la lecture des patrons de montage un matériau revient souvent, le D-Rid, pour réaliser les abdomens des mouches sèches, nymphes ou émergentes, ce produit est celui que j’ai acheté en même temps que le livre. Par curiosité j’ouvre une pochette et tout de suite je me rends compte que s'il ressemble au Vinyl Rib, ce n’est pas du tout le même produit. Le D-Rib a cette particularité d’être très souple et d'une élasticité extraordinaire sans perdre sa forme initiale qui est un D, d’où son nom. Mais surtout, quand il s’allonge il garde cette forme en demi-cercle. Intéressant.

Un autre produit revient régulièrement dans le montage des nymphes et mouches sèches, le Médaillon, vous vous rappelez le produit qui ressemble au zing mais teinté, Shane s’en sert pour faire le sac alaire des nymphes. Je n’avais jamais vu ce produit utilisé de cette façon, généralement employé pour faire des ailes. C’est une découverte, une révélation. Sans le savoir, je venais d’acquérir l’ensemble des ingrédients nécessaires au montage de la future redoutable Absout No Refuse."

Image
Jean Marc Somaré
Légende
Jean-Marc avec une belle truite de Franche Comté
Texte

Un peaufinage sur les zébrées de l'Est :

"De retour en France fin septembre, la pêche fermant sur le territoire, ces matériaux tombèrent un peu dans l’oubli, pas le livre de Stalcup, qui est resté de longs mois sur ma table de chevet.

Au printemps suivant, je prends quelques vacances dans le sud, avec dans mes bagages tout mon nécessaire de montage, bien décidé à remplir mes boites assez mal en point. Et dans mon attirail, bien sur, les produits achetés l’été dernier. Je me mets à l’étau pendant toute une semaine, je refais une beauté à mes boites et monte quelques prototypes de nymphes en D-Rib et Médaillon. Ces derniers étant à mes yeux une variante très lointaine de la célèbre Phaisant Tail de Sawyer, c’est donc la formule de montage suivante que je retiens dans un premier temps :

  • Hameçon : TMC 100 SP BL N° 16, 18 et 20.
  • Soie de montage : Brune.
  • Cerques : en fibres en faisan.
  • Abdomen : en D-Rib Brown.
  • Thorax : en opossum Brown.
  • Sac alaire : en Médaillon Brown.

Fort de ces quelques modèles et de mes boites bien remplies, c’est avec une confiance à toute épreuve que je me retrouve les rives du Doubs à Goumois. Là m’attend Didier Perrachon et c’est naturellement que quelques unes de mes nouvelles nymphes changent de boite. Perrachon est sans conteste possible le meilleur pêcheur pour évaluer les qualités et défauts de n’importe quel modèle. La sentence ne tarde pas à tomber, le lendemain soir, je reçois un coup de fil de l’intéressé, son verdict est flatteur pour l’artificielle, c’est une nymphe qui prend du poisson et beaucoup de poissons y compris les truites particulièrement éduquées du Pré Bourassin, où elles font plusieurs dizaines de centimètres pour venir la prendre. Toutefois, elle a un défaut, elle coule trop vite, ce comportement n’est pas compatible avec la pêche à la nymphe légère. Pourtant il me semble qu’elle est peu lestée, 3 tours de 0.3 mm de plomb. Dans la semaine, je suis de nouveau à l’étau et monte plusieurs exemplaires pas plombés pour l’artiste. Mais il me reste à savoir si les qualités de cette artificielle sont réelles ou si elles sont dues au talent de Chonchon. Remonté comme une pendule, je suis sur les rives du Doubs de très bonne heure le samedi matin suivant, prêt à en découdre avec les truites du pont de Goumois, poissons sur-éduqués. C’est à mon niveau de pêche un test significatif. Le premier poisson, attaqué aval, ne fait pas loin de cinquante centimètres pour saisir ma nymphe gueule grande ouverte. Pendu au premier posé. Je suis sur le cul. Deuxième poisson attaqué, cette fois trois quart amont à l’animation, légère, il monte de trente centimètres sans aucune hésitation. Je suis médusé, je viens en deux lancers de faire des progrès extraordinaires. A moins que ce ne soit cette maudite nymphe. C’est véritablement une nymphe bien née. C’est ce jour qu’elle reçut son premier nom de baptême, la No Refuse."

Image
Doubs à Goumois
Légende
Le Doubs à Goumois
Texte

"Au cours de l’hiver suivant, je perfectionne le modèle en lui adjoignant des pattes en plumes de perdrix mais pas n’importe quelles plumes, je prends celles qui proviennent du dos de la perdrix grise, l’idéal étant de posséder une peau entière, garantie de pouvoir choisir la bonne plume à chaque fois. Pour la pose des pattes, j’utilise une méthode bien connue mais délicate à mettre en œuvre, vous trouverez plus de détails dans le procédé de montage. En même temps, je me suis mis à faire des nymphes plus petites, sur Tiemco TMC 100 SP BL N° 20. La saison suivante fut certainement celle où la No Refuse, avec pattes, connut le plus de succès. En quelques semaines, vue sa régularité et sa solidité (28 poissons pris avec la même nymphe), Didier Perrachon la rebaptise en Absolut No Refuse, l’A.N.R, nom encore plus évocateur et flatteur. Depuis ses débuts de carrière, ce modèle ne dément pas son efficacité aussi bien sur les ombres que sur les truites. Elle possède toutes les qualités des nymphes modernes : légèreté, robustesse, proche du modèle naturel et surtout elle donne confiance à celui qui s’en sert.

Pourtant, malgré la toute confiance que j’ai en ce modèle, il ne faut jamais perdre à l’esprit que la meilleure des mouches aux mains d’un piètre pêcheur restera une piètre mouche. Cette nymphe ne fait pas tout, elle n’est qu’un élément d’un ensemble qui doit être, en tout temps, parfait."

Image
Jean Marc Somaré
Légende
Jean-Marc avec une truite du Doubs au "Rocher du singe"
Image
Absolut No Refuse
Texte

Formule de montage :

  • Hameçon : Tiemco TMC 100 SP BL n° 16, 18 et 20.
  • Soie de montage : Fil 8/0 Brown foncé.
  • Cerques : De 6 à 3 fibres de pelles Pardo Flor de Escoba.
  • Abdomen : Micro D-Rib Brown.
  • Lestage : De 0 à 5 tours de plombs en 0.30 maxi suivant besoin.
  • Sac alaire : Médaillon Sheeting Brown.
  • Thorax : Dubbing d'opossum Brown pour les gros modèles, dubbing ultra fin Brown pour les petits modèles.
  • Pattes : 5 à 10 fibres de plume de dos de perdrix de chaque coté du thorax.
  • Tête : Marquée, en fil de montage et vernie.
Image
Absolut No Refuse
Texte

Une démarche raisonnée pour la "conception" de cette nymphe.

"La « Baetis Nymph » et la « Biot Nymph », créées par le regretté Shane Stalcup, sont la base montage de l’A.N.R. La première mouture de cette nymphe était sans patte, je ne voyais pas la nécessité d'en mettre, à l'époque j'étais orienté sur les nymphes dépouillées, sans "chichi", je souhaitais un modèle se présentant dans l'esprit de la célèbre Pheasant Tail de Franck Sawyer. Mon choix s'est porté sur la simplification de la Baetis Nymph en lui apportant les modifications suivantes :

  • Changement d'hameçon qui était un Targus équivalant du TMC200R sur l'original. Je n'ai jamais aimé cette référence, jugeant, à tort peut-être, l'ouverture trop petite et la hampe trop longue. Toutes ces raisons m'ont amené à employer un TMC100. L'objectif étant de pouvoir faire des nymphes très petites, à l'époque, je faisais déjà des modèles sur des TMC100 N°22.

  • Remplacement des cerques en fibres molles de perdrix (que je juge très, trop fragiles) par des fibres de pelle de coq Pardo.

  • Suppression des pattes en perdrix.

  • Imitation du style du sac alaire de la Biot Nymph, celui de la Baetis Nymph me semblant un peu compliqué.

  • Modification de l'enroulement du D-Rib, j'ai supprimé le sous corps en dubbing, je suis passé d'un enroulement espacé sur le modèle original à un enroulement serré sur l'A.N.R. avec un sous corps légèrement conique en soie de montage.

La Non Refuse était née.

Une précision concernant le D-Rib, confondu très souvent avec le Vinyl Rib ou Vinyl D-Rib. Ces deux produits sont d'aspects et de formes identiques au D-Rib, ils ont une palette de couleurs presque similaires mais, et c'est là toute la différence, ils ne sont pas du tout faits dans la même matière. En effet, le gros point fort du D-Rib est son élasticité incroyable puisqu'il revient à sa longueur initiale sans garder de mémoire alors que le Vinyl Rib s'allonge difficilement, demandant d'être passé entre les doigts pour le chauffer un peu et il garde en mémoire de la longueur, comme si on avait dépassé la limite élastique du produit. En un mot, le D-Rib est beaucoup plus mou et plus dense, autorisant une fixation très serrée, sure, sans aucune sur-épaisseur.  Cette faculté à revenir à sa longueur initiale permet de réaliser des enroulements serrés et coniques en "lâchant" tour après tour la tension sur le produit, ce qui donne cet aspect magnifique et très réaliste. Comme lors de sa première fixation à la courbure, la fixation au thorax se fait sans sur-épaisseur.

Au cours d'une discussion avec le "testeur" de la nymphe, le très célèbre et compétent Didier Perrachon, l'idée de mettre des pattes est envisagée. J'ai ajouté des pattes en utilisant cette fois la méthode développée pour la Biot Nymph. La plume de Perdrix, préparée, est fixée fibres vers l'arrière, le réglage de la longueur des pattes se fait en tirant sur la plume.

Si l’A.N.R. reste une parente éloignée des modèles de Stalcup, j'en revendique la construction réfléchie, parfaitement adaptée aux exigences du "nympheur moderne" français. Je revendique d'avoir fait connaitre cet extraordinaire monteur qu’était Shane Stalcup (décédé trop jeune en mai 2011), le D-Rib et le Médaillon aux monteurs de mouches français.

Depuis 15 ans maintenant, le succès de cette nymphe ne s'est jamais démenti et est même très plébiscité par bon nombre de pêcheurs à vue compétents."

Image
Absolut No Refuse

A propos de l'auteur