Histoire d'une victoire : la leçon du torrent de Chasse ?

Chasse Verdon

Changement climatique, tourisme de masse, hydroélectricité, mésusage de la ressource... les pressions s'accumulent sur nos milieux aquatiques. Alors que la nécessité de s'unir pour leur protection n'a jamais été aussi criante, nous inaugurons ce jour un série d'articles visant à relater quelques succès obtenus en la matière, dont les pêcheurs ont été partie prenante. Au-delà de la satisfaction qui émane de ces lignes, elles permettront d'expliquer les rouages des victoires et pourquoi pas, d'inspirer d'autres acteurs de la PMA en proie aux mêmes écueils ! Partons vers les Alpes du Sud pour notre première étape :

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 " « Le projet de micro-centrale sur le torrent de la Chasse vient d’être retoqué, qu’en pensez-vous ? » C’est par ces mots d’une journaliste de La Provence, au téléphone, un soir de Novembre 2018, que notre combat pour la sauvegarde du torrent de Chasse a pris fin. Et quelle fin ! Celle que nous espérions ardemment depuis plus de quatre ans.

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Benjamin
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Je suis président de l’AAPPMA La Truite du Haut-Verdon depuis 2011. A l’été 2014, via une note de pré-cadrage environnemental, mes camarades et moi avons pris connaissance d’un projet de micro-centrale hydroélectrique sur le torrent de la Chasse, un des principaux affluents du Haut-Verdon, et certainement le plus populaire auprès des pêcheurs. Nous étions consternés. Nous ne pouvions accepter, et nous n’aurions accepté aucun projet de ce type sur n’importe quel cours d’eau de notre AAPPMA. Mais que ce torrent soit visé nous y obligeait encore plus, tant il était aimé par les pêcheurs, et même les non-pêcheurs, la vallée dans laquelle il s’écoule étant une véritable carte postale.

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Dès que j’ai pris connaissance de cette note, je me suis dit : « comment nous, pêcheurs, allons faire échouer ce projet ? ».

La tâche me semblait particulièrement ardue, voire presque perdue d’avance. A tel point que je me suis dit que nous allions devoir nous battre plus par principe que par réel espoir de l’emporter et ainsi sauver ce magnifique torrent dans son écrin. Malgré cet état d’esprit de départ nous, pêcheurs, décidâmes de nous battre sur trois volets : le volet réglementaire, le volet communication et le volet foncier.

Au niveau de l’AAPPMA, de la fédération de pêche 04, ainsi que de la FNPF nous pouvions agir seuls pour les deux premiers volets car nous avions des moyens et étions légitimes. Par contre, pour le troisième volet, le foncier, il a fallu se coupler à une association locale de défense de l’environnement, la Vallée Heureuse de Chasse, qui était plus légitime sur cet aspect et qui pouvait fédérer les propriétaires de parcelles sur lesquelles devait passer la conduite forcée.

La lutte au niveau du volet réglementaire fut la bataille qui opposa pendant 4 ans les hydrobiologistes de la fédération de pêche 04, du 05 (car nos voisins du Nord nous ont donné quelques coups de pouces) et la FNPF à la société SEHRY, porteuse du projet. L’arbitre de la bataille étant la Préfecture des Alpes de Haute-Provence via sa Direction Départementale des Territoires (DDT 04).

Un peu de technique :

Lorsqu’un tel projet est envisagé, le pétitionnaire, ici la société SEHRY, doit déposer un dossier de pré-cadrage environnemental qui ouvre la voie, ou pas, à la construction. Lors de cette étape, la DDT consulte différentes structures pour avis. Pour le projet de Chasse, il y avait le Parc Régional du Verdon (entité porteuse du contrat rivière Verdon), l’ONEMA, la FDAAPPMA 04 et l’AAPPMA La Truite du Haut-Verdon (NDLR : pour en savoir plus sur les rôles respectifs de ces différents acteurs, voir l'article sur les gestionnaires de l'eau en France).

L’objectif pour nous était double : d’une part, attaquer tous les points qui, en plus de la nature du projet lui-même, faisaient obstacle à la continuité écologique et, d’autre part, s’efforcer, autant que possible d’homogénéiser toutes les structures autour d’un même avis tout en sachant qu’ailleurs en France des avis négatifs n’avaient pas toujours suffit à stopper des projets similaires.

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Dans l’élaboration de nos avis relatifs aux dossiers de pré-cadrage environnemental, une personne a été particulièrement engagée et efficace ; elle a porté des coups qui ont fait très mal au projet, il s’agit de Vincent Duru, délégué général de la fédération de pêche 04 et hydrobiologiste. Au cours du conflit il nous arrivait de nous appeler en pleine nuit parce qu’on avait mis à jour une donnée que l’autre devait connaître et ajouter à son argumentaire, la FD 04 et l’AAPPMA présentant non pas un mais deux avis. Ces appels pouvant porter sur des points très divers tels que les débits, forcément surestimés par le pétitionnaire, l’architecture du barrage ou de la restitution, l’écartement des grilles de la prise d’eau, la passe à poissons, ou la mesure d’un soi disant « infranchissable », lui aussi volontairement surestimé par la SEHRY afin de dégrader l’importance des échanges entre la Chasse et le Verdon. Pour ce dernier point : mention spéciale à Adrien Brunetti, trésorier de l’AAPPMA, qui est allé mesurer le dit « infranchissable » à la dernière minute et qui s’est révélé avoir une hauteur de 1,45 m au lieu des 2 m avancés par la SEHRY... Autant vous dire que pour un obstacle qui se trouve à 150 m du Verdon, sur un cours d’eau qui mesure 11 km, et où l’argumentaire du pétitionnaire sous-entend que cet infranchissable stoppe quasiment à 100 % la montaison des truites, passer de 2 m à 1,45 m change complètement la donne... A 2 m seules les truites avec des gènes d’Avenger passent. À 1,45 m le contingent est bien plus conséquent. Sans parler du fait qu’avancer une mesure fausse à la DDT, ce n’est pas très bon pour l’image… Pourtant la société SEHRY a pris son temps avant de déposer le dossier final de pré-cadrage environnemental...

En 2014, il y a eu une « note » de pré-cadrage, puis en 2016 un premier dossier de pré-cadrage et en 2017/2018 un avenant au dossier de pré-cadrage puisque le précédent avait été retoqué. A chaque fois, les avis de toutes les structures consultées par la DDT ont été négatifs. Mais, en 2016, lors du dépôt du premier dossier de pré-cadrage environnemental l’homogénéité des avis aurait pu être rompue, notamment par la structure la plus influente : le Parc Naturel Régional du Verdon (PNRV) qui, pour rappel, porte le Contrat Rivière Verdon.

Dans ce type de structure le pouvoir est aux élus siégeant au conseil d’administration du parc et dans les multiples commissions spécifiques, dont, pour le Contrat Rivière Verdon, la Commission Locale de l’Eau (abrégée en CLE Verdon). Sauf que, sur de nombreux sujets, les élus, puisque n’étant pas des spécialistes du domaine, suivent souvent l’avis des cadres et salariés du parc. Or, lors d’une des nombreuses réunions relatives à la gestion du Verdon, l’un des techniciens rivière du parc a fait savoir, en marge de celle-ci qu’il était favorable au projet de micro-centrale sur la Chasse. Heureusement pour nous, un ami de l’AAPPMA participant à cette réunion laissa traîner ses oreilles et nous prévint de la menace. Ce qui permit à la FD 04 et à l’AAPPMA de mettre au point une contre-mesure efficace, la fédération de pêche 04 ayant un élu à la CLE Verdon : le président de l’AAPPMA Verdon-Colostre et administrateur de la fédération, Jean-Christian Michel. Ce dernier, par sa force de persuasion, a réussi à faire émettre un avis défavorable au projet de micro-centrale par la CLE Verdon, garantissant l’avis du PNRV et donc l’homogénéité nécessaire afin que la Préfecture retoque le projet.

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C’est donc ainsi que nous, pêcheurs, avons gagné la bataille sur le volet réglementaire afin de dénoncer le projet au stade du dossier de pré-cadrage environnemental. Mais, comme dit plus haut, ce ne fut pas le seul volet où nous avons agi, il y avait aussi le volet communication. Et, même si à mon sens, c’est le volet réglementaire qui a mis fin au projet, pour les observateurs extérieurs c’est la lutte au niveau « com' » qui a été la plus marquante.

Bien que nous ne connaissions pas la nature des échanges ainsi que les accords qui en découlaient, entre la mairie de Villars-Colmars, commune où s’écoule le torrent de la Chasse, et la société SEHRY, porteuse du projet, pour nous, pêcheurs, le seul basculement de la commune aurait suffit à mettre fin au projet. C’était très improbable mais nous devions quand même tenter la chose. On ne sait jamais dans la vie...

Aussi, dès que l’AAPPMA a eu connaissance du projet, à l’été 2014, j’ai pris rendez-vous avec le maire de Villars-Colmars de l’époque, M. André Guirand, pour lui faire part de notre opposition de la manière la plus constructive possible. J’avais amené avec moi un exemplaire du rapport sur la génétique des truites dans le Haut-Verdon, vu qu’une des stations de l’étude était située sur le torrent de Chasse, et qu’elle avait révélé le caractère patrimonial des truites de ce cours d’eau. L’entretien fut poli. J’ai fait part à M.Guirand de notre opposition au projet ainsi que les arguments sur lesquels cette opposition reposait : perte nette d’habitat pour tous les compartiments de vie aquatique, amoindrissement de la capacité de la Chasse à ensemencer le Verdon, création d’au moins deux discontinuités écologiques (à la prise d’eau et à la restitution), mais aussi, vu qui était mon interlocuteur, atteintes paysagères et retombées économiques très limitées, si ce n’est inexistantes, voire contre-productives, tant pour la commune que pour le reste de la vallée ; le rendement projeté étant surestimé par le pétitionnaire afin de convaincre l’équipe municipale et l’attrait touristique, vital en ce lieu, étant impacté par toutes les dégradations paysagères envisagées (création d’une ligne électrique sur 2 km, construction du bâtiment abritant la turbine, une conduite forcée courant sur 3 km, qu’elle soit enterrée ou aérienne, construction d’une prise d’eau avec son bâtiment technique, son barrage et sa passe à poissons).

M. le Maire me répondit avec déférence : « Je n’en attendais pas moins de vous mais... »  Et là il m’exposa son argumentaire basé sur le fait que la région PACA importait de l’électricité et que, malgré mes arguments, sa commune avait besoin d'entrées d’argent… Preuves que le lobbying de la SEHRY et les anciennes représentations économiques avaient toujours la côte… Nous nous quittâmes sur ces mots, chacun campant sur ses positions ! Tant que M.Guirand et son équipe seraient aux affaires la commune défendrait le projet. Désormais, vu que nous n’avions pas réussi à infléchir la position de la mairie par la raison, il ne nous restait plus que la voie de la contrainte...

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Au printemps 2015, nous décidâmes donc d’informer le public du projet via notre page Facebook Pêche Haut-Verdon (https://www.facebook.com/Verdonpeche/) et le moins que l’on puisse dire c’est que ce fut une réussite. En une journée, le post fut vu par 35 000 personnes avec 1000 réactions ! Le journal La Provence nous contacta quelques jours plus tard. Nous nous retrouvâmes en Une de l’édition des Alpes dans la foulée, déclenchant ainsi la colère du maire de Villars-Colmars et de la majorité de son équipe municipale.

Avant cela nous pensions que du fait que l’hydroélectricité n’est pas émettrice de CO2 celle-ci avait une bonne image auprès du grand public. Il n’en était rien. Une fois toutes les répercutions exposées, nous fûmes vraiment surpris de voir que les gens rejetaient n’importe quel projet qui portait atteinte à la Nature. A tel point que des courriers furent envoyés à la mairie de Villars-Colmars qui n’arriva plus à présenter la micro-centrale comme un progrès. Du coup, histoire d’enfoncer le clou, nous avons mis en ligne une pétition qui fut signée par 2000 personnes et envoyée à la DDT 04, comme nous avons également envoyé un courrier à tous les habitants de Villars-Colmars afin de leur exposer notre point de vue et de leur demander de faire pression sur leur conseil municipal pour qu’il abandonne le projet. Régulièrement nous faisions des publications sur notre page Facebook afin d’informer les pêcheurs et le public. Elles attiraient encore l’attention du journal La Provence qui faisait office de caisse de résonance. Sans compter les banderoles « Stop Micro-centrale » que l’AAPPMA, la FD04 et l’association la Vallée Heureuse de Chasse avaient disposé à Villars-Colmars et sur la route de Chasse chez des amis de la cause. C’était une mise sous pression tous azimuts. Le Maire et son équipe tinrent bon, par principe, mais ils étaient de plus en plus isolés. Ce qui n’a pas dû échapper à la Préfecture des Alpes de Haute Provence.

Nous avons donc fait le maximum tant au niveau réglementaire qu’au niveau de la communication. Cependant deux précautions valant mieux qu’une, nous avons également suivi l’aspect foncier du projet : 

En effet, que ce soit pour la ligne électrique comme pour la conduite forcée, des parcelles privées devaient être traversées. Un seul propriétaire face à une entreprise et une commune pouvait flancher. Mais pas plusieurs dizaines face à ces même adversaires. Ce travail de fédération des propriétaires fut principalement porté par l’association La Vallée Heureuse de Chasse, et notamment son président, Gilbert Daumas qui s’est jeté corps et âme dans la bataille ; l’AAPPMA et la FD04 soutenant techniquement cet effort par leur connaissance de l’administration française, par un soutient matériel de l’AAPPMA quand c’était nécessaire et tout simplement par leur présence lors des réunions de l’association. Vu le travail effectué en amont par Gilbert Daumas, lors de ces assemblées, il était plus question de savoir où en était la lutte au niveau réglementaire qu’autre chose. Mais c’était nécessaire car les membres de La Vallée Heureuse de Chasse voulaient surtout savoir si oui ou non, ils allaient se retrouver en première ligne pour affronter la SEHRY et la commune en cas d’échec de l’AAPPMA et de la FD04 dans le cadre du dossier de pré-cadrage environnemental. Heureusement nous n’en sommes jamais arrivés à ce stade, la DDT ayant tranché fin 2018.

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Pour finir je dirais que nous, pêcheurs, avons réussi à faire échouer ce projet car nous nous sommes avant tout comportés comme des militants engagés et non comme des consommateurs de loisir. La loi prévoit pour nous nombre de missions et de responsabilités mais, par facilité, par légèreté et par manque de motivation, nombre d’entre nous, y compris des élus d’AAPPMA et de FD, les refusent de fait. Mais nous n’avons pas réussi que grâce à cela, nous avons également réussi car nous sommes sortis du ghetto des pêcheurs pour coupler nos efforts avec des non-pêcheurs. En fait, nous avons fait l’inverse de la majorité des disciples de Saint-Pierre, parce que « pêcheurs » nous avons voulu occuper tout l’espace prévu par la loi, et parce que « pêcheurs » nous nous sommes dressés comme les premiers défenseurs de la Nature. Puisse être là la leçon du sauvetage du torrent de Chasse...

Ce qui me fait dire que le principal enseignement du sauvetage de la Chasse est - peut-être - l’idée que les pêcheurs se font d’eux même... il vient aussi de ce qui suit : 

A l’hiver 2020/2021, j’ai reçu l’appel de Madame Magali Surle, Maire de Colmars-les-Alpes, un village voisin de Villars-Colmars (donc une autre des communes constitutives de La Truite du Haut-Verdon). Par cet appel, Mme le Maire voulait m’informer que la commune avait été contactée par une entreprise de micro-hydroélectricité afin de construire une micro-centrale sur le torrent du Clignon, qu’elle souhaitait connaître notre avis et que la commune se rangerait à cet avis. Nous discutâmes plus d’une demi-heure de la question de manière très constructive ; elle me demanda de lui envoyer par écrit un avis à présenter à son conseil municipal. Certes, Mme Surle a été témoin pendant 4 ans de la lutte que les pêcheurs ont menée à Chasse, mais pas que… L’AAPPMA et la FD04 via les Ateliers Pêche Nature, via l’organisation d’une compétition de pêche à la mouche en 2019 (Promotion Nationale), via une communication la plus étendue possible (réseaux sociaux, presse écrite, panneautage des abords des cours d’eau) sont aussi des acteurs de la vie sociale et économique du territoire. Mme Surle a donc compris toute la potentielle étendue de notre champs d’action. A mon sens, il serait donc souhaitable qu’il en soit de même pour les pêcheurs partout en France... Certes, il est évident que c’est encore mieux quand on a affaire à des édiles aussi éclairés que Mme Surle."

Benjamin Isouard

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