Stratégies aux leurres pour truites éduquées ou l’éloge du contraire

pêche truite leurres

Essayer de répondre à une telle gageure me semble un exercice pour le moins scabreux tant l’empirisme et l’humilité doivent prévaloir dès qu’il s’agit d’échafauder une stratégie visant à déclencher l’attaque de poissons prétendument éduqués. En effet, l’exercice de la pêche aux leurres devient de plus en plus compliqué au fur et à mesure que cette discipline est pratiquée par un nombre croissant de praticiens.  A ce constat, il convient d’ajouter l’état de peuplement souvent médiocre de nos rivières qui ne favorise pas la compétition entre les individus et voit les pêcheurs se concentrer sur des zones restreintes. Enfin, le passage répété d’un leurre sur les parcours les plus fréquentés de notre hexagone permet d’observer des comportements atypiques, que l’on pourrait presque qualifier de « paranoïaques », chez les truites quand la fréquentation de la rivière devient excessive. Voici quelques pistes pour s'adapter :

Texte

Quand on est confronté à ce type de situation, il peut quelquefois être intéressant de modifier son approche de la pêche, voire de changer totalement de stratégie quand plus rien de semble fonctionner sur un parcours que l’on pensait pourtant bien connaître. Plusieurs cas de figure peuvent ainsi s’offrir à nous, sachant que les propositions qui suivent sont tout à la fois interchangeables, étroitement imbriquées entre elles et totalement opposables dès lors qu’il s’agit de mettre en oeuvre un nouveau « pattern » s’adossant à une approche nécessairement empirique.

Les effets des signaux vibratoires puissants

Si nous savons que les truites sont particulièrement sensibles et réactives aux signaux vibratoires, un excès de stimuli peut provoquer l’effet inverse et rendre les poissons méfiants et craintifs dès que le rythme des sollicitations devient effréné comme nous pouvons l’observer sur certains parcours urbains ou proches des agglomérations. Les parcours no-kill et les Area illustrent bien les effets d’une trop grande fréquentation sur l’activité et les réactions des poissons, notamment quand une seule technique est pratiquée. A ce titre, la pêche aux leurres accentue les effets induits par le phénomène d’accoutumance. En rivière, il est également permis d’observer l’adaptabilité des truites qui se « calent » ou prennent la fuite dès qu’un leurre traverse la zone où elles se tiennent pour s’alimenter ou le suivent sur de longues distances sans l’attaquer. On constate d’autant plus facilement ce type de comportement quand des leurres émettant de fortes vibrations (grosses cuillers tournantes et autres gros leurres durs animés sèchement en jerking) sont régulièrement employés.

A la fin des années 70, les pêcheurs de l’époque qui n’étaient pas adeptes de l’ultra-léger, ont commencé à éprouver les pires difficultés pour capturer quelques truites alors que la décennie précédente les avaient confortés dans leur choix de présenter des cuillers tournantes de taille respectable (supérieures à la n°2) avec des chances avérées et des succès réguliers. Par conséquent, le pêcheur s’est trouvé dans l’obligation de s’adapter et d’affiner sa technique à l’extrême en employant notamment de minuscules cuillers tournantes (n°0 à 00). Il semblerait que « l’histoire » semble se répéter et que nous nous trouvions confrontés aux mêmes maux contre lesquels il faudrait utiliser les mêmes remèdes.

Image
pêche truite
Légende
Même les poissons de pisciculture deviennent méfiants en cas de sollicitation extrême
Texte

La remise en question, votre meilleure arme

Malheureusement, des contre-exemples viennent régulièrement s’opposer à la théorie selon laquelle il suffirait d’affiner simplement notre technique pour garantir un succès annoncé...

Sur une rivière auvergnate que je fréquentais assidûment, la trop grande sollicitation des truites qui y vivaient m’avait logiquement conduit à employer des leurres ultra-légers en dehors des périodes de crue. Aussi, j’avais pris l’habitude de limiter mes animations à leur plus simple expression, tandis que mes leurres étaient systématiquement sélectionnés parmi les plus légers et dans les plus petites tailles de mes boîtes. Je prenais ainsi régulièrement du poisson jusqu’au jour où la rivière ne « s’ouvrit pas » malgré mes présentations discrètes et l’emploi de fines pointes en fluorocarbone. J’en étais là de mes ruminations, interrogations et autres supputations quand un pêcheur aux leurres, surgi au détour d’un bois et exalté par un sentiment de satisfaction encore perceptible, me narra dans le menu la session miraculeuse qu’il venait de faire sous un soleil de plomb qui avait envahi la totalité du lit du cours d’eau et sous une chaleur suffocante. Et, chose curieuse, il avait déclenché de nombreuses attaques en animant très sèchement un minnow de taille assez respectable. Dans un premier temps, je pris ce disciple de Saint-Pierre pour un affabulateur, mais comment résister à l’envie de vérifier ses dires ? Je pris par conséquent la décision de peigner une nouvelle fois le secteur que je venais de prospecter sans succès quelques minutes auparavant. Appliquant à la lettre les recommandations de cet illustre inconnu, j’allais très rapidement me rendre compte que les truites réagissaient extrêmement violemment aux animations sèches, voire brutales, qui m’avaient été décrites alors que, quelques minutes auparavant, elles avaient totalement méprisé mes leurres animés de façon minimaliste. Et les poissons se tenaient bel et bien dans les zones qui m’avaient été indiquées par ce bon samaritain…

Cet exemple illustre bien le risque de pêcher avec trop de certitudes dans sa zone de confort, et démontre qu’il ne faut pas hésiter à prendre le contre-pied des théories les plus solidement ancrées au risque de passer à côté de l’essentiel.

Image
pêche truite leurre
Légende
Quand rien ne va, défier la logique peut conduire au succès !
Texte

Des vibrations au stimuli olfactif...

L’engouement suscité autour des poissons nageurs est en partie à l’origine du regain de la pêche de la truite aux leurres au cours de la dernière décennie. L’usage régulier qui en a été fait participe malheureusement à l’éducation des poissons qui croisent fréquemment « le chemin » de ces petites merveilles de technologie aux qualités vibratoires et sonores indéniables et reconnues. Sur certaines rivières françaises, les truites finissent par se méfier de ces leurres aux forts signaux - sachant que l’exemple mentionné supra pourrait démontrer le contraire ! - quand leur emploi est trop systématique et fréquent.

Afin de contrer cet effet d’accoutumance, il peut être intéressant de proposer une alternative : celle des leurres souples (LS). Ils proposent des signaux vibratoires souvent « plus doux » conjugués à un stimulus olfactif qui permet souvent de forcer la décision. Je suis personnellement convaincu de l’intérêt apporté par les attractants quand il s’agit de tromper la vigilance de poissons éduqués.

Plusieurs techniques sont au service du pêcheur de truite aux leurres, que ce dernier emploi des LS en forme de teigne ou d’insecte aquatique sur des montages minimalistes (cas de la pêche alimentaire), un worm (ver) ou des imitations de petits minnows. Il existe nécessairement une formule permettant d’adapter notre pêche aux conditions hydriques rencontrées et à l’humeur des poissons.

Sur les secteurs les plus fréquentés, les poissons finissent quand même par se méfier de ces subterfuges. J’ai encore en mémoire le comportement de truites qui prenaient mes micro-leurres souples du bout des lèvres sans jamais se piquer à l’hameçon simple. Une belle truite avait même dévalé au rythme du courant, la veine d’eau dans laquelle elle se tenait, sans que je me rende compte assez tôt qu’elle se laissait emporter en tenant mon leurre entre ses mâchoires. C’est dans cette rivière que j’ai par ailleurs observé les comportements les plus atypiques en raison de la sur-fréquentation des lieux. Les truites se décrochaient avec une facilité déconcertante puis continuaient à sauter en dehors de l’eau alors qu’elles étaient déjà libérées de l’hameçon simple sans ardillon que j’utilisais. J’ai également pu observer un banc d’une dizaine de belles truites, comparable à un regroupement de chevesnes, postées sous les frondaisons sans la moindre réaction à la présentation d’un leurre (ou d’une mouche artificielle) ni fuir devant la présence d’un pêcheur...

Bandeau
Image
pêche truite leurres
Légende
Le leurre souple : une bonne alternative au poisson nageur !
Image
pêche truite leurre
Texte

Alternance des parcours et de l'approche

Si la variation des techniques et des animations est susceptible de nous « ouvrir » une fenêtre de réaction utilement exploitable, l’attitude et le comportement du pêcheur peuvent également être à l’origine de petites déconvenues. En effet, nous développons tous, plus ou moins, un tropisme nous conduisant irrésistiblement vers les mêmes rivières et à fréquenter les mêmes parcours pour des raisons qui ne s’expliquent pas. Face à des truites très éduquées, il peut être intéressant de délaisser certains secteurs afin de permettre aux poissons de retrouver un peu de sérénité car une sur-fréquentation peut rapidement devenir contre-productive.

Il en va de même de la façon d’aborder un coup. L’habitude faisant, nous aurions tendance à nous approcher des différents secteurs en empruntant les mêmes itinéraires et chemins d’accès le long de la berge, mais aussi à prospecter à partir des mêmes points « d’attaque ». Un changement de berge ou d’angle d’attaque peut influer sur le résultat de notre pêche quand notre « pattern » devient trop répétitif et prévisible. Il peut par conséquent être intéressant de sortir de sa zone de confort. Nous avons tous en mémoire l’histoire d’un pêcheur néophyte qui, par méconnaissance et/ou par instinct, va aborder un coup de façon inhabituelle et déclencher l’attaque d’un beau poisson.

Les méfaits de la prospection en wadding doit également nous interroger sur la pertinence d’un emploi généralisé, indépendamment des dégâts que peut générer son usage. D’une manière générale, quand la progression en marchant dans l’eau n’est pas indispensable, il serait plutôt conseillé de pêcher depuis la berge afin de ne pas provoquer d’ondes ni de chocs contre les obstacles immergés (pierres notamment). Bien entendu, nous trouverons toujours un contre-exemple…

Image
pêche truite leurres
Légende
Face à des truites matraquées, innovez dans l'approche et le placement !
Texte

Les effets du cisaillement ?

Enfin, nous pourrions aborder les effets indésirables du cisaillement provoqué par la ligne lors des différentes animations, mais également induits par la pression irrégulière exercée par le courant. Si vous le souhaitez, nous pourrions parler de cet aspect à l’occasion d’un article spécifique !

Les quelques remarques qui ont été livrées à votre sagacité n’engage que son auteur, et si vous vous trouvez confrontés à une situation telle qu’aucune truite ne réagit à l’animation appliquée de vos leurres, alors n’hésitez pas une seule seconde... faites tout le contraire de ce que je vous ai dit !

Au plaisir de vous rencontrer au bord de l’eau !

Image
pêche truite leurre

A propos de l'auteur

Alain Foulon a collaboré à plusieurs revues halieutiques, plus particulièrement dans le domaine de la pêche de la truite aux leurres dont il est un spécialiste. Il s’est…