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De l'importance de la gestuelle du lancer en nymphe au fil

lancer euronymphing

J'adore pêcher en sèche pour partie parce que cette pratique met en œuvre des gestuelles de lancer qui flirtent avec l'artistique. C'est probablement l'une des clés d'entrée dans cette discipline pour beaucoup de pêcheurs. Ainsi, avant même d'attraper notre premier poisson, on se prend à rêver de boucles virevoltantes et improbables qui, à coup sûr, porteront notre mouche avec une précision ultime devant le nez d'une truite. C'est seulement lorsque l'on commence à se confronter à la réalité que l'on s'aperçoit qu'il faudra probablement cheminer longuement avant de réussir à dompter notre soie !

Contrairement aux apparences, la pêche en nymphe au fil recèle également quelques subtilités dans la gestuelle. Il ne s'agit pas ici de faire une comparaison entre deux disciplines différentes, mais seulement d'insister sur le fait que si la nymphe au fil me semblait dénuée de toute élégance possible dans la manière de lancer, cette pratique trouverait probablement moins d'attraits à mes yeux. Si le lancer en nymphe au fil n'est pas aussi démonstratif qu'en sèche, il n'en n'est pas moins technique pour obtenir de la précision et de l'efficacité. Ce n'est pas parce que le geste est rapide qu'il n'est pas technique. Un pongiste est ultra rapide là où un joueur de tennis développe globalement plus d'amplitude dans la gestuelle. Mais les deux demandent une incroyable précision et un véritable entraînement pour progresser.

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Le présent article a pour objet de poser un regard sur cette question du lancer dans la pratique de la nymphe au fil. Mais il élargit un peu le spectre pour tenter de faire comprendre qu'on n'est plus à l'époque de ce qu'on appelait la pêche à la roulette, terme qui me semble hautement réducteur aujourd'hui. Je rattrape souvent au vol des pêcheurs qui sont restés plus ou moins ancrés dans ce type de définition, qui viennent pour comprendre comment gagner en efficacité, et qui, au final, découvrent une pratique beaucoup plus subtile que ce qu'ils avaient pu imaginer, et cela jusque dans la mise en œuvre d'un lancer plus technique qu'il n'y paraît.

Je m'appuie ici sur mon expérience de terrain. L'exigence pédagogique impose de développer des outils qui correspondent aux véritables besoins des stagiaires, des outils en corrélation avec leur niveau d'expérience. Ceci aboutit, de fait, au fil des ans, à une sorte de méthode qui s'affine progressivement. Et, dans cette méthode, il se trouve que la question du lancer est prépondérante. Ce fut là le point de départ de l'écriture de cet article : mettre en évidence l'importance de la qualité des gestuelles du lancer en nymphe au fil.

Je viens d'une culture de la pêche éloignée de celle de la truite, où la question de la dérive sous l'eau est fondamentale. Aussi, en découvrant la pêche à la mouche sur le tard, au fil d'une pratique d'environ 20 ans, j'ai toujours accordé autant d'importance à ce qui se passe à la surface de l'eau que sous l'eau, en m'intéressant d'emblée à ces deux approches. La véritable question fondamentale et intéressante dans la nymphe au fil, c'est finalement celle de la dérive! La dérive sous l'eau, celle qu'on ne voit pas, celle qui implique une sorte de plongeon intellectuel. Et cette dérive ne pourra être bonne que si l'efficacité du lancer le permet!

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lancer nymphe au fil
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Lancer avec linéarité ©Hugo Brun
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Ainsi, la qualité de la dérive est intimement liée à la qualité du lancer. Mais il n'est pas si simple de lancer avec justesse et précision. Évidemment, avec une nymphe dotée d'une bille en tungstène de 3,8 mm pour un poids d'environ 0,5 g, la tâche ne sera pas particulièrement compliquée. Mais, pour un pêcheur débutant qui doit envoyer une seule nymphe légère, la chose peut parfois prendre des tournures de sketch! Certes, l'effort à fournir en termes d'apprentissage est bien moins grand que pour la sèche. Cela me semble indiscutable. N'importe quel pêcheur peut rapidement devenir autonome pour réaliser un lancer de base. Là où cela se complique, c'est lorsqu'il faut y mettre de la fluidité et du rythme, pour réussir non pas un lancer de base, mais une succession de lancers, qui plus est, avec deux nymphes, dans des veines d'eau diverses et variées, en coup droit, en revers, en faisant face à tous les obstacles naturels d'une rivière pyrénéenne (entre autres), avec, dans la foulée, une tenue de ligne optimisée pour une qualité de dérive irréprochable. Là, ça demande tout de même un peu de boulot !

Le point de départ de toute initiation en nymphe, sur le plan purement technique, c'est, pour mon approche personnelle, toujours, le lancer. Cet apprentissage peut clairement passer par une phase sur l'herbe qui permet de travailler quelques fondamentaux. Dans le cadre d'un stage de groupe, il est toujours intéressant de faire passer les pêcheurs chacun leur tour pour réaliser un lancer simple, en leur demandant de simuler un début de dérive. En un instant, cela permet d'identifier une sorte de premier niveau d'expérience individuelle. À partir des erreurs évidentes, on peut d'emblée mettre en évidence l'importance fondamentale du lancer et de ses répercussions immédiates sur la qualité de la dérive.

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lancer nymphe au fil
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Lancer avec boucle ©Hugo Brun
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On peut ensuite travailler à optimiser les gestuelles. On se penche alors sur les problématiques de direction, de force et de vitesse. On simule des lancers selon 3 axes distincts :

  • d'abord pour des dérives en milieu de rivière (en imaginant un cours d'eau d'environ 10 mètres de largeur),
  • ensuite 3/4 amont en rive opposée,
  • enfin sur notre propre rive...

On voit alors comment améliorer sensiblement la précision, notamment avec l'idée de la croix sur l'eau qui donne immanquablement la position de la nymphe qui sera obtenue à l'amont en fonction de sa position de départ à l'aval.

Une fois que l'on a intégré cette logique de direction, on peut commencer à apporter les corrections nécessaires pour ajuster la précision. Outre la précision, les lancers selon les 3 axes précités nous permettent d'analyser les logiques de tenues de canne et de ligne en fonction des points d'impacts de la nymphe pour optimiser une dérive naturelle dès son démarrage. Ils nous permettent également de voir comment on peut faire d'une pierre deux coups en travaillant en permanence à la fois le coup droit et le revers. Ce qui, par ricochet, nous amène à identifier les différents mouvements possibles avec le bras, l'avant-bras et le poignet, ceci pour corriger les défauts de mouvements contre-productifs, décelables facilement via par exemple cette canne qui brasse de l'air avec un vilain sifflement, généralement signe d'inefficacité. Par ailleurs, on identifie le piège lié à l'observation de quelqu'un d'expérimenté si on n'a pas le recul nécessaire pour comprendre quelles sont les étapes dont il peut s'affranchir grâce à son expérience! Dans la pédagogie de l'enseignement d'une méthode, l'une des clés est, pour moi, la capacité de l'instructeur à décomposer les gestuelles pour qu'elles deviennent assimilables par une personne qui débute. Aussi, il faut montrer et démontrer que le processus d'apprentissage correspond à un parcours étape par étape. Ainsi, mettre en perspective les bases qu'on est en train d'enseigner avec des savoir-faire plus élaborés permet au stagiaire de comprendre le cheminement et l'intérêt de ce qui est proposé.

Dans cet apprentissage du lancer, on analyse l'importance du placement des pieds et du corps pour optimiser la position de la pointe de canne et donc de l'entame de la dérive (NDLR : voir notre article sur le placement en nymphe au fil).

On s'intéresse aux différentes possibilités de lancers, notamment en fonction de l'environnement qui nous entoure. On tient compte également de la vitesse de pénétration voulue de la nymphe dans la couche d'eau, selon la profondeur pêchée et compte tenu de la longueur réelle de la zone à exploiter.

On met en évidence l'accélération possible grâce à une traction à la manière d'une pêche en sèche, chose qui permet d'aller chercher des points d'impact légèrement plus lointains, même avec une petite nymphe. Cela me semble particulièrement crucial pour la pratique en tandem sèche-nymphe, en particulier si on se situe dans une démarche où l'on propose une sèche adaptée à la situation de pêche et non pas un simple propulseur et facilitateur visuel. La nécessité de l'usage de la seconde main pour réaliser ces tractions est encore plus flagrante lorsque l'on utilise une soie typée compétition de 0,55mm, en particulier si l'on souhaite rester dans le cadre réglementaire de la compétition qui impose une ligne dont la longueur totale ne doit pas excéder 2 longueurs de cannes. Dans ce cadre, sauf exceptions, les pêcheurs qui débutent n'arrivent tout simplement pas à propulser une nymphe légère de 2,4mm (environ 0,15g), encore moins avec une sèche en tandem. Le simple fait de passer au fil intégral aide énormément. Il faut noter ici que l'écart d'aisance au lancer est relativement important entre l'envoi d'une nymphe de 2,4mm et une autre de 2,8mm. Au-delà de l'idée d'améliorer un soupçon la distance, l'accélération du fait de la traction via la seconde main permet, sur des lancers courts, de donner de la vitesse. Cette dernière peut contribuer soit à percer la couche d'eau avec plus d'efficacité, soit à percer la couche d'air malgré un vent de face.

On travaille le léger mouvement d'accompagnement qui peut précéder l'impact de la nymphe sur l'eau. Il a pour objet d'éviter l'effet rebond (ou ressort) de la nymphe dans l'air, à la fois pour favoriser la justesse du point d'impact et, par voie de conséquence, pour optimiser la qualité de la tenue de ligne dès le commencement de la dérive. On s'attarde sur la question de l'angle de la ligne par rapport à la surface de l'eau d'une part, et par rapport à la veine d'eau recherchée d'autre part. On voit comment ces deux angles distincts influencent la phase de dérive du point de vue de sa qualité et de sa longueur. Dès lors, on analyse comment travailler une recherche progressive de verticalité. On met en évidence le ralentissement induit par cette recherche de verticalité et on identifie quels sont les éléments qui, mécaniquement, provoquent ce ralentissement.

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Lancer nymphe au fil
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Lancer en espace encombré ©Hugo Brun
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Tous les exercices sont réalisés avec une nymphe légère (généralement en 2,4 mm) pour mettre en évidence les défauts de gestuelle. Une nymphe trop lourde n'a aucun intérêt pour l'apprentissage car elle ne permet pas au pêcheur de s'apercevoir à quel point les petits détails techniques font la différence pour envoyer avec précision et sans peine, sans forcer.

Le fait de s'affranchir d'éléments perturbateurs, comme le courant, les rochers et les arbres, permet de canaliser la concentration du ou des stagiaires sur l'ensemble de ces éléments fondamentaux. On pose alors des bases solides concernant les gestuelles à maîtriser, avec un début de compréhension quant à l'idée de qualité de dérive engendrée par un lancer propre. 

Si un lancer en cloche, de prime abord, peut paraître enfantin, en condition réelle sur une rivière comme le Vic ou le Garbet (en Ariège), l'un des points clés de la réussite, c'est la faculté du pêcheur à réaliser des dérives efficaces dans des veines d'eau très variées, et le plus souvent relativement courtes et rapides, le tout, évidemment, avec une nymphe légère. Dans ces conditions, qu'il s'agisse d'un lancer au-dessus de la tête ou d'un autre type de lancer, la précision demandera un véritable entraînement. À quelques centimètres près, l'entame de la dérive peut être bonne ou très mauvaise. Le lancer en cloche offre par ailleurs des déclinaisons assez sympathiques, en particulier celle qui consiste à opérer une sorte de virgule dans les airs pour aller chercher un point d'impact derrière et en amont d'une frondaison trop basse sur l'eau pour envisager un lancer plus linéaire, qui plus est avec 2 nymphes!

Dans bon nombre de situations, une certaine linéarité s'impose! Si je reprends l'exemple typique du Vic ou du Garbet, dans des portions qui comportent de nombreux blocs rocheux, des branchages de bordure à des hauteurs diverses au-dessus de la tête du pêcheur, l'idée de linéarité fait sens pour passer au travers des obstacles. Dans ce cas de figure, l'exercice est encore plus laborieux lorsqu'il faut aller chercher, du fait de l'impossibilité de s'approcher, un point d'impact loin en berge opposée, en anticipant le surplus de bannière qui rendra la dérive possible sans dragage de la nymphe.

Ce temps d'apprentissage du lancer sur l'herbe, comme pour la sèche où cela semble plus facilement une évidence, est devenu systématique sur les stages de pêche que je propose, dans la mesure, bien évidemment, où le pêcheur y est réceptif et hors contexte de perfectionnement. Mais souvent, même en mode perfectionnement, l'exercice conserve un vrai sens, en particulier pour affiner les subtilités des mécaniques de dérive. On peut alors y consacrer quelques minutes en début de journée ou bien voir tous ces éléments directement sur le tas, les pieds dans l'eau.

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Lancer en mouvement ©Hugo Brun
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J'ai eu la chance d'observer longuement et attentivement des compétiteurs de très haut niveau (que je remercie ici) à l'occasion de plusieurs premières divisions nationales. Ce que je peux notamment en retenir, sur le plan du lancer, c'est qu'il n'y a pas d'erreurs. On est probablement assez proche des 99% de réussite. Sans un véritable entraînement, ce n'est pas possible d'arriver à ce niveau d'efficacité, avec la plupart du temps 2 nymphes ou un tandem sèche-nymphe sur la ligne, qui plus est dans des environnements tels que l'Arac, l'Hers-Vif, le Vicdessos, la Têt, la Rotja, la Clarée, la Guisane, la Durance, et même l'Aude ou l'Ariège lorsqu'ils s'attaquent à des poissons de bordures. C'est toujours propre et précis, fluide et sans erreur. Ça en paraît presque facile, comme lorsqu'on regarde un match de tennis dans son canapé! Si on a goûté un tant soit peu aux véritables difficultés techniques de la pêche en nymphe au fil, on ne peut qu'admettre que c'est là le fruit d'une énorme expérience en termes de pratique.

Dans un autre registre, grâce aux subtilités de la pêche en nymphe en grande rivière (du type Ariège ou Garonne), à travers l'approche très personnalisée de Matthieu Vieilhescazes, j'ai également découvert ces dernières années de nouvelles possibilités en matière de dérive. Je n'ai pas le recul suffisant pour dresser un historique sur le sujet de la nymphe au toc au sens large, et il faudrait un article entier pour contextualiser l'approche de Matthieu dans ce domaine. Tout ce que je peux dire ici, c'est que je n'avais jamais vu la pêche en nymphe pratiquée de cette manière-là. Dans les disciplines de pêche que je connais un tant soit peu et qui se pratiquent en compétition, il m'est extrêmement rare de trouver des savoir-faire véritablement pertinents en dehors du champ de ladite compétition! A titre personnel, j'ai intégré une véritable fusion entre les logiques de la nymphe au fil (issues de la compétition "mouche") et celles de la nymphe au Toc (à la manière de Matthieu) qui conserve une construction de la ligne identique à celle de la nymphe au fil. Elles sont désormais pour moi parfaitement complémentaires, elles peuvent même se mixer dans des configurations variées en termes de typologie de rivières. Ces deux cultures sont issues de mondes très différents qui ont souvent du mal à se comprendre et à se parler. Elles convergent progressivement grâce à des pêcheurs qui s'affranchissent des barrières psychologiques et qui sont capables de puiser dans plusieurs domaines. Cette fusion offre des perspectives nouvelles, probablement difficiles à comprendre tant qu'on n'y a pas véritablement goûté. Merci Matthieu!

Ici, le matériel classique de la nymphe au fil en petite et moyenne rivière devient particulièrement inadapté pour toutes les configurations de veines puissantes et lointaines. Si, malgré tout, on choisit de conserver un matériel typé nymphe au fil, le lancer peut vite devenir une vraie galère avec une soie de 0,55mm dès qu'il s'agit de rechercher de la distance. Mais, à distance raisonnable, ça fonctionne tout de même! Dans ce contexte, une canne de 12 pieds est la bienvenue.

Les apports essentiels de la compétition à très haut niveau ont, au fil des ans, largement contribué à ce que la nymphe au fil dans son acception actuelle puisse éclore auprès du grand public. L'organisation des championnats du monde 2024 en France aura probablement permis à bon nombre de pêcheurs qui ont pu y assister d'entrevoir les subtilités de cette pratique jusque dans les qualités de lancer requises.

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lancer nymphe au fil
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Lancer avec accélération main gauche ©Hugo Brun
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Ces dernières années, la Nymphe au Fil a connu un véritable essor du fait de son efficacité. Certes, mais au final, ce n'est pas simplement parce que c'est efficace qu'on s'y colle, c'est parce qu'on aime ça! C'est parce qu'on y trouve un véritable plaisir de pêche aux travers de nombreuses subtilités liées à la notion de qualité de dérive, facilitée par la recherche d'une certaine dextérité dans la gestuelle.

Pour terminer, voici une vidéo d'illustration de l'article avec quelques phases de lancer. Cette vidéo est une compilation de séquences issues des réalisations d'Hugo Brun entre 2020 et 2023. Elle est loin de présenter tous les cas de figure possibles dans la manière de lancer, elle n'a pas cette prétention. Il aurait fallu pour cela créer une vidéo spécifiquement pour cet article. Elle offre juste une première approche, un premier regard.

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A propos de l'auteur

Pêcheur multi-technique et multi-espèce depuis l'enfance, la pêche à la mouche en rivière, les pieds dans l'eau, est devenue sa respiration! Dès sa découverte…