L'entomologie aquatique au service de la conservation des milieux

Romaric

Moucheur passionné, il va de soi que je passe beaucoup de temps au bord de l'eau de mars à novembre, comme beaucoup, à traquer ombres et truites sur nos plus beaux cours d'eau français, sillonnant notre territoire au cœur d'une nature préservée, du simple petit ruisseau de montagne à la grande rivière de plaine...  

La fascination pour cette fabuleuse gestuelle du lancer caractérisée par cette soie qui s'étale suivant un plan idéalement rectiligne et parallèle à la surface de l'eau (dans la pratique on se rend vite compte que cette méthode de lancer, bien qu'élégante, est loin d'être la plus efficace lorsqu'il s'agit de pratiquer en petites et moyennes rivières fortement majoritaires dans notre beau pays !), tout en évoluant dans un cadre naturel exceptionnel loin des vicissitudes quotidiennes, est probablement ce qui nous amène, pour bon nombre d'entre nous, à pratiquer la discipline, du moins au début...

Texte

Pêche à la mouche et entomologie : deux disciplines liées et indissociables

Une fois accroc à la discipline, la plupart des moucheurs ne s'intéressent essentiellement qu'à l'aspect halieutique, se comportant dans le meilleur des cas comme de simples observateurs passifs de la vie qui les entoure, sans véritable intérêt pour cette nature luxuriante et riche d'enseignements, bien plus préoccupés par les considérations matérielles et techniques (bien que légitimes !) comme le choix des mouches ainsi que la maîtrise des lancers, des posers et des dérives conditionnant le résultat de leur partie de pêche.

Au cours de mes sorties, toujours équipé de mon mini-set de collecte dans ma poche dorsale de gilet (mini épuisette d'aquariophilie, petits tubes d'alcool à 90°, pince fine, mini soucoupe blanche et bien entendu APN étanche), je ne peux m'empêcher entre deux lancers de prospecter régulièrement le fond d'un cours d'eau ou la végétation rivulaire à la recherche de quelques bestioles qui, par leur présence effective, pourraient me renseigner sur la diversité et la richesse faunistique de ce même cours d'eau, autrement dit la capacité de cet écosystème aquatique à accueillir de nombreuses espèces de macroinvertébrés, avec parmi elles, dans l'idéal, une proportion importante d'espèces particulièrement polluo-sensibles.

En fonction des caractéristiques hydrologiques du cours d'eau prospecté (plutôt acide aux eaux couleur thé et régulé par des tourbières tels que les rivières limousines, plutôt calcaire alimenté par des sources karstiques comme les rivières jurassiennes, tantôt pluvio-méditerranéen avec une forte amplitude de niveaux entre étiages sévères et crues dévastatrices type rivières cévenoles, tantôt nival ou glaciaire aux eaux froides avec des niveaux fluctuant en fonction de la fonte des neiges et glaciers à l'image des rivières alpines et pyrénéennes), les espèces de macroinvertébrés présentes ne seront pas systématiquement les mêmes d'un milieu à l'autre car leurs exigences vitales diffèrent, bien que certaines fassent preuve d'une grande résilience et de capacités d'adaptation remarquables...

Même si parfois aucun signe de leur présence dans les airs ou à la surface de l'eau ne vient troubler notre champs de vision, il suffit d'observer avec attention un caillou immergé, une branche noyée ou un morceau d'herbier pour réaliser que la vie est bien présente de l'autre côté du miroir malgré les apparences... Tout ce petit monde qui constitue l'essence même de la pêche à la mouche est une source d'inspiration pour la confection de nos imitations, car entrant pour une bonne part dans le régime alimentaire des salmonidés.

Dans le cadre de notre activité halieutique favorite, trois ordres d'insectes (parmi d'autres...) s'imposent inévitablement à nos yeux car ils demeurent omniprésents au bord de nos rivières au fil des saisons :

  • les éphéméroptères,
  • les trichoptères,
  • les plécoptères.

A titre indicatif, vous trouverez dans le commerce quelques bons ouvrages halieutiques abordant les généralités en matière de plécoptères, éphéméroptères et trichoptères ainsi que leur intérêt pour les pêcheurs à la mouche. De même, il existe sur la toile des sites internet spécialisés pour ceux qui souhaiteraient s'investir de manière plus sérieuse dans l'observation des macroinvertébrés (voir liens en fin d'article).

Ces trois ordres d'insectes, considérés généralement comme de bons marqueurs de la qualité des eaux courantes, font également l'objet d'études diverses en particulier dans le cadre de l'IBGN.

Image
éphémère
Légende
Ephéméroptère...
Image
trichoptère
Légende
Trichoptère...
Image
plecoptère
Légende
... et plécoptère constituent 3 groupes d'insectes incontournables !
Texte

L'IBGN (Indice Biologique Global Normalisé)

L'IBGN est un indice biotique permettant d'évaluer la qualité générale d'un cours d'eau (qualité physico-chimique et qualité des habitats), utilisé par les différents organismes professionnels ou associatifs liés à la gestion de nos écosystèmes aquatiques, s'appuyant sur l'étude de la microfaune aquatique (larves et nymphes).

Le protocole, composé de différentes étapes (guide technique normalisé 2000 disponible sur demande pour les curieux), s'organise autour de différents supports spécifiques dont notamment un tableau de détermination de l'IBGN permettant d'attribuer une note indicielle sur une échelle de 1 à 20 suite aux résultats d'étude des prélèvements effectués.

Image
IBGN
Légende
©N. Meynard
Texte

En fonction de la note obtenue, un code couleur est attribué au secteur de cours d'eau prospecté permettant de classifier ce dernier selon cinq états possibles variant de très bon à très mauvais.

Quoi qu'il en soit, il est indispensable de replacer la station étudiée dans son contexte longitudinal, hydrologique, environnemental et saisonnier lors de l'interprétation des résultats pour en tirer les bons enseignements. L'IBGN peut également être utilisé de manière comparative dans l'espace (en amont et en aval d'une perturbation quelconque) et dans le temps (pour suivre l'évolution d'un cours d'eau par exemple).

Dans tout les cas, un IBGN n'a d'utilité que si l'on en tire des informations précieuses suite à l'analyse des données obtenues, afin d'identifier les perturbations existantes et adopter si besoin des mesures et actions visant à préserver ou améliorer la qualité de l'eau et du milieu.

Suite à la directive-cadre sur l'eau (DCE) de 2000 visant à uniformiser la politique de gestion de l'eau à l'échelon européen et améliorer la performance de l'IBGN, ce dernier a progressivement évolué pour devenir l'I2M2 (Indice Invertébrés Multimétrique) officiellement en application depuis 2018. Beaucoup plus complexe à calculer que son prédécesseur, mais également beaucoup plus performant, l'I2M2 fait appel à de nouvelles notions de métrique et catégories de pression permettant de mieux identifier certaines pressions humaines impactant la physico-chimie et  l'hydromorphologie des cours d'eau. 

Image
IBGN
Légende
©N. Meynard
Bandeau
Texte

Pour revenir à ce précieux tableau de détermination de l'IBGN, celui-ci présente en ordonnée 9 groupes de taxons indicateurs (comprenant chacun 4 ou 5 familles de macroinvertébrés), à croiser avec 14 « classes de variété » en abscisse différant en fonction du nombre de taxons (familles en l'occurrence). Nous n'entrerons pas davantage dans les détails de fonctionnement de ce dernier, là n'est pas le but, mais il est en revanche très intéressant de découvrir les familles (taxons) composant ces groupes indicateurs numérotés de 1 à 9 par ordre de polluosensibilité croissante.

Ainsi le groupe 9 est exclusivement composé de 4 familles de plécoptères, faisant de cet ordre le plus polluosensible aux diverses perturbations existantes parmi tous les macroinvertébrés d'eau douce retenus par l'IBGN.

Les 3 groupes suivants (6,7 et 8) comportant chacun une famille de plécoptères présentent également un intérêt écologique non négligeable, bien que d'une polluosensibilité moindre.

Toutefois, j'insiste sur le fait que cette classification reste malgré tout très théorique et à ne pas prendre systématiquement au pied de la lettre ! Pour faire simple, autant dire qu'il est toujours encourageant de rencontrer plusieurs individus appartenant à ces quatre familles parfois réunies sur quelques mètres carrés seulement, lors d'une séance d'inventaire ou même d'une partie de pêche ! 

Image
IBGN
Légende
Tableau de détermination de l'IBGN
Texte

La classification des êtres vivants :

Pour rappel, la classification de tous les êtres vivants animaux et végétaux, ou taxonomie, inspirée par un médecin naturaliste suédois Carl Von Linné au XVIIIème siècle, se décline comme suivant de manière simplifiée (du plus englobant au plus précis) : règne, embranchement, classe, ordre, famille, genre, espèce.

Le principe de la nomenclature binominale attribue une dénomination latine (en italique) composée du genre suivi de l'espèce pour chaque être vivant. En guise d'exemple, concernant l'espèce Perla marginata, la classification est la suivante :  

  • règne →  Animal,
  • embranchement → Arthropodes,
  • classe → Insectes,
  • ordre → Plécoptères,
  • famille → Perlidae,
  • genre → Perla,
  • espèce → marginata.
Texte

De manière générale, les plécoptères sont relativement sensibles aux restructurations hydromorphologiques des milieux, à la teneur en oxygène dissous, au PH, aux fortes élévations de température de l'eau, aux rejets organiques et micro-polluants divers (pesticides, métaux lourds, hydrocarbures, produits chimiques toxiques...). En cas de pollution aigüe, chronique ou diffuse, ils sont bien évidemment parmi les premiers à en faire les frais, phénomène malheureusement toujours d'actualité sur l'ensemble du territoire français suite aux conséquences d'une industrialisation et urbanisation grandissantes bien souvent mal maîtrisées, et d'un système agricole complètement obsolète bien peu respectueux de nos cours d'eau, lorsqu'il ne s'agit pas de négligences humaines commises dans la plus grande insouciance... C'est sans compter sur l'hydroélectricité dont l'impact non négligeable sur la biodiversité de nos cours d'eau n'est plus à démontrer!

Bref, ne nous apitoyons pas sur notre sort, il nous reste encore de magnifiques rivières en France relativement épargnées de l'anthropisation à outrance, en particulier dans les secteurs de basse et moyenne montagne (Pyrénées-Atlantiques, Alpes-Maritimes...) où les populations de plécoptères, pour certaines endémiques, se maintiennent et ont encore un bel avenir devant elles, en tous cas je veux y croire ! Le réchauffement climatique avec ses effets dommageables sur l'environnement représentant à mon avis la plus grande menace à moyen ou long terme sur ces écosystèmes aquatiques quelque peu en marge des activités humaines... 

Nous en reparlerons au prochain article ! 

 

Photos de l'auteur sauf mention contraire

Texte

Liens et informations utiles :

Quelques ouvrages de PALM abordant l'entomologie (liste non exhaustive) :

  • Rafael del Pozo Obeso. 1991. Mouches pour la pêche. Editions Larousse,
  • Reisinger W., Bauernfeind E., Loidl E. 2016. Le Guide entomologique du pêcheur à la mouche. Editions Delachaux Et Niestlé,
  • Hervé Thomas. 2022. Mes carnets de pêche à la mouche, Tome 3. Editions Fil de pêche.

Ouvrage de référence pour la détermination des macroinvertébrés d'eau douce :

  • Henri Tachet. 2010. Invertébrés d'eau douce, systématique, biologie, écologie. CNRS Editions.

Sites internet dédiés à l'étude des macroinvertébrés aquatiques :

https://www.opie-benthos.fr

http://www.perla.developpement-durable.gouv.fr

Pour en savoir plus sur les différents indices biotiques :

https://hydrobio-dce.inrae.fr

Pour me contacter :

Via internet : romaric.chabaudie@gmail.com

Via Facebook : Romaric Chabaudie Palm

Marryat Tactical Pro

A propos de l'auteur

Moucheur naturaliste et monteur passionné depuis 25 ans, Romaric maîtrisait pas encore les rudiments de la pêche à la mouche qu'il s'émerveillait déjà devant…