Les 5 essentiels du lancer mouche

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Un vade-mecum pour l’entraînement personnel

Bien que les moucheurs et les moucheuses français.es s’intéressent de plus en plus au lancer, il suffit de fréquenter quelques forums pour constater que celui-ci est encore considéré par beaucoup comme un « mal nécessaire », une gageure par laquelle il faut bien passer, hélas, pour parvenir au but, qui est de présenter notre artificielle au poisson. Or il en va du lancer mouche comme de n’importe quelle activité sportive : assurément difficile, sinon pénible au début, c’est un art dans lequel on gagne en satisfaction à mesure qu’on progresse en maîtrise.

Texte

Le plaisir du lancer mouche

Un certain seuil atteint, voilà même que le lancer mouche se transforme en un véritable plaisir, qui s’ajoute à toutes les autres excellentes raisons que nous avons d’être passionnés par la pêche au fouet. La satisfaction ressentie motive alors à pratiquer davantage, voire à s’entraîner au lancer, condition nécessaire pour… progresser encore, prendre plus de plaisir et (peut-être) davantage de poissons !

L’encadrement avisé d’un moniteur agréé peut vous aider à franchir le seuil de ce cercle vertueux. Vous ferez donc toujours bien, surtout en début de parcours, de vous renseigner auprès de vos clubs locaux et AAPPMA sur leurs offres de cours. Mais les conseils et l’encadrement d’un instructeur, aussi compétent soit-il, ne peuvent se substituer au travail personnel.

Une fois certaines bases posées, l’entraînement, individuel ou en groupe, devient en effet un impératif catégorique pour qui souhaite consolider ses acquis et éviter de régresser. Pour gagner en autonomie tout en réduisant les risques de « s’entraîner à l’envers », c’est-à-dire de développer puis de fixer de mauvais gestes, filmer ses séances d’entraînement est une excellente idée. Une autre bonne idée, en ces temps de confinement, sera de développer une pratique plus consciente d’elle-même et de certains fondamentaux du lancer mouche.

Les 5 essentiels de Jay et Bill Gammel

C’est à cet exercice de clarification que, en 1990, se sont essayés Jay et Bill Gammel, père et fils. Liés à une grande association d’instructeurs, la Fly Fisher Federation américaine, les Gammel ont, durant les années 1980, sillonné les USA, caméra au poing. Leur but ? Filmer les grands lanceurs mouche de l’époque pour établir, au-delà du style personnel de chacun, ce qui déterminait la substance d’un bon lancer. De ce considérable travail de documentation et d’analyse est né, en 1990, un petit opuscule de vingt-quatre pages, qui synthétise la matière autour de cinq principes fondamentaux. En quelques années, ces « 5 essentiels » se sont imposés comme une référence de la didactique du lancer et forment, encore de nos jours, le socle sur lequel est bâti le programme de certification de la Fly Fisher International.

Voici, brièvement présentés et commentés, les cinq principes dont, selon Jay et Bill Gammel, la mise en œuvre prélude à la réalisation d’un lancer correct. Celles et ceux qui souhaitent aller vite pourront se contenter de prendre connaissance des essentiels proprement dits (titres en italiques dans le texte) et parcourir les quelques lignes d’explications que je propose pour chacun d’eux. Ces courts commentaires, bien que de mon propre crû, sont généralement fondés en assez large partie sur le travail pionnier des Gammel, dont on trouvera la référence dans la bibliographie de fin d’article. Les personnes plus patientes, qui souhaitent approfondir la matière, pourront se reporter, avec profit je l’espère, aux illustrations et observations personnelles que je propose systématiquement en « Discussion » de chacun des cinq principes présentés.

Essentiel 1 : une pause plus ou moins longue doit intervenir entre chaque séquence de lancer

Il est impératif d’effectuer une pause entre chaque séquence de lancer ; autrement dit, il faut attendre, après que vous avez terminé votre lancer vers l’avant ou vers l’arrière, que la soie se soit déployée avant d’entamer un lancer dans la direction opposée. Grosso modo, ce n’est que lorsque la boucle est presque arrivée à la jonction soie/bas de ligne, et qu’elle est donc sur le point de s’ouvrir complètement, qu’il convient de commencer votre geste en direction du lancer suivant. La longueur de cette pause, toutes choses égales par ailleurs, dépend de la longueur de soie que vous êtes en train de lancer, selon le principe général suivant : lancer long, longue pause - lancer court, pause courte.

Discussion

Si la pause est trop longue (figure 1 C), la soie chute et risque donc de se décaler à l’excès vers le bas (ce qui peut produire des problèmes de trajectoire), voire, horresco referens, de battre l’eau ou de toucher terre ! Une pause trop courte engendre d’autres problèmes, plus délicats à repérer, que les Gammel expliquaient à l’époque en se référant, en partie, à la « théorie du ressort ».

Selon cette théorie, ce serait grâce au fait que la canne se « charge » (se plie) et se « décharge » (se déplie) comme un ressort qu’on parviendrait à propulser une soie. Des études récentes ont montré l’inanité de cette conception, encore dominante aujourd’hui. De fait, on sait maintenant que la canne agit bien davantage comme un levier – un levier qui permet de mettre en mouvement et d’accélérer une masse, la soie – que comme un ressort. Bref, dans la perspective de la théorie du ressort, une pause trop courte a pour effet que, au moment où on commence à actionner la canne en direction du lancer suivant, une masse de soie moindre pèse sur cette dernière, laquelle se pliera donc moins (se « chargera » moins) que si la masse de la totalité de la soie bien déployée, avec le bon timing, lui avait été opposée. Il en résulterait, en toute logique, une moindre restitution d’énergie de la part de la canne : exactement comme un élastique moins tendu ou un ressort moins comprimé rendent, au final, moins d’énergie que s’ils avaient été tendus ou comprimés à l’extrême.

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Figure 1 Le temps de pause idéal est fonction de la longueur du lancer
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La question de savoir si cette explication est valable reste ouverte. Mais les effets nuisibles engendrés par ce défaut de « charge », s’il existe, ont de bonnes chances d’être très secondaires par rapport aux deux autres gros problèmes que cause une pause trop brève.

Si vous commencez votre lancer trop tôt par rapport à l’état de déploiement de votre soie, il s’ensuit, logiquement, qu’une partie plus ou moins considérable de celle-ci (la partie supérieure de votre boucle, en anglais fly leg) se dirige encore dans la direction opposée au lancer que vous venez d’amorcer (figure 1 A). Premier problème : vous gaspillez de l’énergie. En effet, alors que vous accélérez une partie de votre soie dans une direction, celle du lancer que vous entamez, une portion plus ou moins importante de la masse de cette soie (ici deux mètres) est encore en train de se mouvoir en sens opposé, dans la direction de votre lancer précédent. Deuxième problème, cette erreur de timing réduit notablement la longueur de votre course d’accélération. Admettons, toujours partant de la figure 1 A, que vous lancez huit mètres de soie et que la longueur de la partie supérieure de votre boucle qui se dirige encore vers l’arrière au moment où vous commencez le lancer avant soit de deux mètres. La position de la pointe de votre canne au moment où la totalité des huit mètres de soie seront enfin accélérés dans la bonne direction sera nettement plus avancée que si vous aviez attendu, comme dans la figure 1 B, que votre loop arrière soit sur le point de s’ouvrir avant d’entamer votre lancer avant. Sur un chemin d’accélération de quatre ou cinq mètres, la longueur d’excursion disponible que vous risquez de perdre ainsi n’est pas du tout négligeable. D’une pause trop brève, suivent des pertes de tension de ligne en cours de lancer, généralement compensées par une application excessive voire erratique de la force, toujours contreproductive (voir essentiel 5)

Essentiel 2 : éviter toute perte de tension durant l’application de la force

Par pertes de tension durant l’application de la force, on entend la création involontaire d’un mou dans la ligne en cours de lancer, lorsqu’on est en train de mouvoir la canne vers l’avant ou vers l’arrière pour propulser la soie.

Toute perte de tension durant cette phase du lancer posera des problèmes d’efficacité et de contrôle. Pour comprendre pourquoi, représentez-vous la soie comme une masse distribuée sur une chaîne. Plus l’ensemble des chaînons de cette masse sont mis en mouvement simultanément dans la même direction, plus l’énergie produite pour mouvoir la totalité de la chaîne dans cette direction est conservée ; à l’inverse, du mou introduit dans la chaîne au moment du lancer produit dans celle-ci des points d’inertie, une masse inerte plus ou moins lourde (en proportion du nombre de maillons concernés) dont la mise en mouvement tendra à consommer l’énergie des chaînons qui doivent l’entraîner et produira des oscillations parasites.

Après la production de la force, quand votre loop est formé (figure 8), vous pouvez bien entendu introduire des pertes de tensions volontaires, par exemple pour obtenir un posé détendu du bas de ligne et de la soie.

Discussion

Les causes de pertes de tension de soie durant la phase active d’une séquence de lancer sont innombrables. Voici une liste non exhaustive des plus courantes d’entre elles, avec quelques astuces pour les éviter.

Le lanceur démarre son lancer arrière (« arraché ») alors qu’une portion plus ou moins importante de sa soie présente des méandres sur le sol ou à la surface de l’eau (figure 2). Il en résulte une perte de la longueur du parcours de lancer (voir essentiel 4) ainsi, parfois, qu’une sollicitation excessive et brutale de la pointe de la canne susceptible de produire des oscillations parasites et, souvent, un tailing loop (boucle croisée ou bouclage, voir essentiel 3). Même situation initiale, avec un scion de canne relevé vers l’avant ou, pire, dirigé vers le haut au lieu de pointer vers le bas, erreur combinée le plus souvent au défaut précédent, une ou deux spires de soie ayant en effet tendance à traîner, inertes, sous la canne.

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Figure 2 Soignez l’arraché : abaissez, résorbez, partez !
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Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on remédiera à ces deux classiques des mauvais départs a) en prenant soin de toujours résorber le mou en ramenant de la soie jusqu’à rétablir le contact direct avec la mouche ou le pompon avant d’entamer l’arraché et b) en veillant à amorcer systématiquement l’arraché pointe de canne maintenue au plus près possible de l’eau ou du sol, comme illustré en figure 2 C.

Une autre origine courante de pertes de tension durant le lancer provient d’un mauvais travail de la main de soie (la main de soie est celle qui tient la ligne). Soit que, durant l’application de la force sur un faux lancer, la main de soie du lanceur tend à se diriger vers sa main de canne (main qui tient la canne) avec pour effet de diminuer la longueur de la portion de soie entre la main de soie et le premier anneau, créant ainsi du mou au moment même où la force est appliquée. Soit que la longueur de soie disponible entre la main de soie et le moulinet soit trop courte pour permettre au lanceur d’être entièrement libre de ses excursions arrière ou avant en main de canne, avec pour effet une mauvaise synchronisation entre les deux mains. Soit, enfin, que le timing du lanceur en double traction soit incorrect. Dans ce cas, le lanceur rabat trop vite sa main de soie en direction de sa main de lancer et danse ainsi plus vite que la musique : il se crée alors un mou dans la ligne, très visible, entre la main de soie et le premier anneau de canne. L’effet de ce mou est, au contrôle de la soie, celui que l’écrasement d’orteils est aux danses de salon : une source de problèmes avec votre partenaire – ici votre ligne.

Dans les deux premiers cas, on peut conseiller au lanceur deux remèdes. Le plus facile est, simplement, de s’entraîner à fouetter sans utiliser sa main de soie. On pincera alors la ligne avec l’index et/ou le majeur de la main de canne contre la poignée de la canne, la main de soie étant ainsi mise hors-jeu. Le second moyen de lutter contre un mésusage de la main de soie consiste à tenir celle-ci immobile durant les faux lancers, de préférence collée au corps, et à ne la déplacer vers l’avant que lors de l’ultime lancer, après l’application de la force, en accompagnement du shoot (coulé) final de la soie.

S’agissant d’un timing erroné sur la double traction, le remède est plus complexe. On pourra, par exemple, reprendre à la base et proposer au lanceur de décomposer l’exercice par séparation de la traction avant et de la traction arrière, en tenant la canne à l’horizontale et en laissant la soie retomber au sol entre chaque lancer avant et arrière. Dans tous les cas, le retour de la main de soie en direction de la main de canne après la traction ne doit intervenir que lorsqu’on sent tirer la soie dans la direction du lancer.

Une pause trop courte, comme on l’a vu (essentiel 1), peut également engendrer du mou dans la ligne.

Essentiel 3 : pour produire un loop efficient, précis et serré, le lanceur doit s’efforcer de faire suivre au scion de sa canne un parcours d’accélération qui soit le plus rectiligne possible

Le fondement de ce principe, qui s’applique à un lancer droit (et non courbe), renvoie au fait que la soie suit la trajectoire de la pointe de la canne. A l’extrême, pour faire image et en simplifiant, si la trajectoire de la pointe de la canne durant l’accélération suivait une droite parfaite, la soie tendrait, au moment de sa projection en arrière ou en avant, à rentrer en collision avec l’anneau de pointe de la canne. Plus le lanceur parvient donc à accélérer la pointe de sa canne sur une trajectoire rectiligne, plus la boucle produite tend à être serrée et à se déplacer sur une trajectoire linéaire. Les avantages, en termes de conservation de l’énergie et de précision, d’une boucle serrée se déplaçant sur une trajectoire rectiligne sont évidents. L’essentiel 3 constitue le cœur de cible des 5 essentiels.

Discussion

Le principe de linéarité vaut tant sur le plan vertical, même si comme dans le style italien (TLT) on fouette sur un plan incliné, que sur le plan horizontal (règle des 180° degrés, ou de l’alignement, voir ci-après).

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Figure 3 Trajectoires de scion et morphologie du loop.
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Sur le plan vertical, un scion qui décrit, durant l’accélération de la soie, un arc de cercle passant au-dessus de la droite parfaite et imaginaire sur laquelle la pointe de la canne devrait se déplacer, tend à produire une boucle large : on parlera de trajectoire convexe du scion (voir la figure 3). Si, toujours sur le plan vertical, le scion de la canne passe brièvement au-dessous de cette droite parfaite durant l’accélération puis se redresse avant la formation du loop, on risque de produire une boucle croisée, dite aussi bouclage ou tailing loop. On parlera alors de trajectoire concave du scion.

Dans les deux cas, les erreurs de lancer produisant soit une boucle large, soit un taling loop, soit les deux en même temps proviennent d’une mauvaise application de la force durant l’accélération de la soie (essentiel 5) ou d’un espace d’accélération (dit aussi course de lancer, en anglais casting stroke, cf. essentiel 4) inapproprié ou encore d’une combinaison des deux. Pour bien comprendre pour quelle raison l’application correcte, c’est-à-dire progressive et croissante, de la force est l’élément clef pour obtenir un parcours de pointe rectiligne, il suffit de se rappeler que la canne n’est pas un bâton rigide. Elle va en effet se plier plus ou moins durant votre parcours de lancer, selon son action propre (de pointe, parabolique, etc.), selon les frottements (notamment la direction du vent) et l’intensité de la force par vous appliquée et selon, enfin, la longueur, donc le poids et la masse de soie que vous êtes en train d’accélérer.

 

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Figure 4 La règle des 180°
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Sur le plan horizontal, tout balayage latéral de la pointe de la canne durant l’accélération de la soie tend à dessiner un loop dont la partie supérieure (fly leg) s’ouvrira et se couchera sur la droite au cas où ce balayage est effectué de droite à gauche (cas habituel pour un lanceur droitier) et inversement (cas fréquent pour un lanceur gaucher et rare, mais possible, pour un lanceur droitier). Pour remédier à ces problèmes, il suffit de respecter la règle des 180° (figure 4).

Cette règle établit que, si vous souhaitez lancer droit et que votre soie pointe dans telle direction sur le lancer arrière, vous devez viser un point à l’exact opposé (180°) sur le lancer avant et vice-versa. Le plus simple, pour parvenir à cet alignement, est de choisir deux cibles situées sur une droite théorique parfaite, une à l’arrière une à l’avant, et de vous efforcer d’y diriger votre soie. Une bande de sécurité de chantier déroulée sur un terrain de manière rectiligne fournit également un excellent repère : vous vous efforcez de suivre cette droite avec la pointe de votre canne durant toute la phase d’accélération de votre soie et vérifierez que celle-ci atterrit le plus droit et le plus près possible de cette bande, aussi bien lors du lancer avant que sur le lancer arrière.

Une fois ces principes acquis, rien n’interdit de les enfreindre à dessein pour rechercher des trajectoires ou des lancers particuliers (courbes, boucles larges, jeux sur les tailing loop, etc.) contrôlés, adaptés aux contraintes du milieu et à la situation de pêche.

Essentiel 4 : la longueur du parcours de lancer (casting stroke) varie selon la longueur du lancer

Le parcours de lancer (casting stroke) peut être défini, ici, comme la séquence durant laquelle le lanceur applique une force sur la canne dans le but de projeter la soie. Lorsque le lanceur commence à appliquer cette force, le casting stroke débute ; lorsqu’il cesse d’appliquer cette force, la course de lancer se termine. Le principe 4 établit donc que, toutes choses égales par ailleurs (vitesse du vent, intensité de l’accélération, poids de la soie, longueur de la canne, etc.), plus la longueur de soie à projeter sera considérable, plus ample sera la longueur de la course de lancer à effectuer. La règle générale à retenir ici est la suivante : à lancer court, parcours de lancer court – à lancer long, parcours de lancer long. Les anglo-saxons résument et simplifient ce principe ainsi : “short cast, short stroke – long cast, long stroke”.

Discussion

Le terme de « geste », souvent utilisé dans les forums de discussion francophones, peut se substituer à la notion, plus complexe, de parcours, de course ou de séquence de lancer, qui est elle-même une traduction insatisfaisante du terme anglais de casting stroke. La règle s’énoncerait alors de la manière suivante : à lancer court, geste court – à lancer long, geste long.

Le principe reste le même : il faut que l’amplitude de la course accomplie par le scion de la canne soit adaptée à la longueur du lancer que vous êtes en train d’effectuer. On est donc très loin de la classique horloge du 11 heures (position de la pointe de canne en début de lancer) – 13 heures (position de la canne en fin de lancer) ou plutôt on adapte les heures de la fameuse horloge à la longueur de ligne qu’il s’agit de lancer !

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Figure 5 Ouverture de l’arc de lancer et longueur de soie
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Ce principe, qu’on suit souvent d’instinct en allongeant le geste à mesure qu’on allonge de la soie, est plus complexe qu’il n’y paraît. Sur le plan pratique il n’est en effet pas aisé de trouver la juste proportion entre l’ampleur de l’arc de lancer, défini par la position angulaire de la canne en début et en fin de mouvement, et la longueur de soie déployée (voir figure 5). Pour celles et ceux qui ne souhaitent pas approfondir le sujet, il suffira de savoir que, s’ils observent que leurs boucles sont trop larges, c’est probablement que leur rotation est trop ample par rapport à la longueur de soie à projeter. Remède : surveiller son geste, en particulier l’ampleur de la flexion du poignet et/ou de la rotation de l’avant-bras, pour réduire l’ampleur de l’arc de cercle décrit par le scion de canne. Déplacer un tout petit peu son coude en avant (sur le lancer ou le faux-lancer avant) et le reculer (sur le lancer ou le faux-lancer arrière) aidera également à réduire la cambrure de cet arc en pointe de canne, j’y reviendrai.  

Si vous constatez que vos boucles n’arrivent pas à se déployer complètement ou même qu’elles peinent à se former, c’est probablement que votre soie manque d’énergie. Plutôt que de forcer le geste au risque de créer des bouclages, testez les deux choses suivantes : amplifiez un peu votre rotation et allongez légèrement l’excursion de manière linéaire, en déplaçant davantage votre bras d’avant en arrière, en remontant légèrement le coude sur le lancer arrière, tout en prenant garde de respecter l’essentiel 3 : vous verrez que l’allongement linéaire du parcours de lancer, qu’on appelle translation, combiné à une rotation un tout petit peu plus marquée, permet de résoudre ce problème d’énergie, de former une boucle serrée, tout en évitant de « forcer la canne » et de risquer un tailing loop.

On peut approfondir le propos en revenant à la notion de « parcours de lancer ». Comme on l’a dit, le parcours de lancer n’est rien d’autre que la séquence durant laquelle on applique une force sur notre canne en vue de projeter la soie. Or cette force peut s’appliquer de deux manières, qu’on peut d’ailleurs combiner : en rotation ou en translation (voir figure 6).

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Figure 6 Rotation, translation et roto-translation
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Si nous appliquons la force en faisant subir une simple rotation à notre canne à partir du pivot fixe d’une de nos propres articulations (le poignet, le coude) nous déplaçons cette canne, ou mieux notre levier, le long d’un arc qui, selon la longueur de ligne à projeter, dessinera un angle plus ou moins ouvert (figure 6 A). Cette rotation est la manière la plus efficace d’accélérer la pointe de notre canne sur une distance donnée, grâce à l’effet multiplicateur du levier. Ainsi, la pointe d’une canne de 9 pieds effectuant, à partir d’un point de pivot fixe, une rotation sur un angle de 120° se déplacera d’environ 4.70 mètres ! L’angle plus ou moins ouvert sur lequel la canne est ainsi déplacée forme, comme on l’a vu, ce qu’on appelle l’arc de lancer.

C’est essentiellement l’ampleur de cet arc qui doit varier avec la longueur du lancer : plus la longueur de soie à projeter est considérable, plus cet arc sera ouvert. S’il est trop ouvert par rapport à la longueur de soie en jeu, la boucle produite sera elle-même très ouverte, en raison du parcours trop convexe que va suivre la pointe de votre canne (cf. essentiel 3 et figure 3 A) ; s’il est trop fermé par rapport à la longueur de soie déployée vous n’arriverez tout simplement pas à projeter votre soie à la distance voulue, votre loop s’effondrant avant même de s’être ouvert ou vous produirez un bouclage (tailing loop), comme sur la figure 3 C.

Pour faire comprendre intuitivement la relation entre l’ouverture de l’arc de lancer, l’ampleur du loop obtenu et la longueur de soie projetée, un instructeur australien de la FFI, Peter Morse, utilise la métaphore des parts de pizza. Celles-ci représentent l’ampleur de l’arc de lancer, autrement dit l’ouverture de l’angle dessiné par la canne au début et à la fin du parcours de lancer. Si votre boucle est trop ventrue, c’est que la part de pizza (ou de camembert, nous sommes en France !) que vous avez « mangée » est trop généreuse par rapport à votre longueur de soie : il faut vous mettre à la diète et réduire votre portion. En clair : diminuer l’ampleur de votre arc. Si votre loop dégringole avant de s’être ouvert, c’est que votre lancer manque d’énergie, et qu’il vous faut consommer une part de camembert plus grosse et donc ouvrir votre arc de lancer (voir figure 5 A). Même chose si votre loop montre une tendance au bouclage (tailing loop). Cette variation nécessaire de l’ampleur de l’arc de lancer renvoie une fois encore à l’essentiel 3 : pour obtenir une boucle serrée, la trajectoire du scion doit suivre une trajectoire qui soit la plus rectiligne possible.

La deuxième manière d’appliquer une force sur la canne consiste à la mouvoir en translation (figure 6 B). Si nous appliquons la force en translation pure en déplaçant notre pivot (coude ou poignet) de manière linéaire dans la direction du lancer sans modifier l’angle de la canne, nous renonçons à l’effet multiplicateur du levier usé en rotation : dans ce cas, une translation de 30 centimètres du talon de la canne produira, en pointe de canne, un déplacement de 30 centimètres. Il est évident que, s’agissant de l’accélération de la soie, la translation est infiniment moins efficace que la rotation. Mais, combinées, translation et rotation sont le duo gagnant pour qui cherche à faire de belles boucles serrées : on parle alors de roto-translation (voir figure 5 C).

La roto-translation, qui est un des fondements de la technique italienne (j’y reviendrai dans un prochain article) permet d’accomplir deux choses. En premier lieu, comme le montre l’animation de la figure 7, elle permet, grâce à la translation, de compenser en partie la courbure de l’arc de cercle produit en pointe de canne par la rotation et de gagner ainsi en linéarité (respect de l’essentiel 3). En second lieu, elle permet d’allonger la distance de course du scion sans perdre en linéarité, quelle que soit la longueur de soie déployée. Or plus vous avez d’espace à votre disposition pour accélérer la canne, plus il sera possible d’appliquer la force de manière fluide et progressive, sans à-coups, et d’atteindre une vitesse finale appropriée.

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Figure 7 Roto-translation et linéarité du parcours de scion
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Source : Tim Rolston, paracaddis.wordpress.com/tag/ten-to-two/ (Cliquez sur l’image pour l’animer)

Dernière précision, mais fondamentale : à la différence du crayon figuré dans l’animation ci-dessus, la canne plie durant le lancer sous le quadruple effet, comme on l’a déjà mentionné, de sa propre inertie, de la masse de soie à projeter, de la force que nous lui appliquons et des frottements en jeux – notamment ceux dus au vent. Et c’est précisément parce que notre canne est un levier souple qu’il est possible de faire suivre au scion de celle-ci un parcours relativement rectiligne (respect de l’essentiel 3) sans avoir à compenser complètement l’ampleur de la rotation par une translation de longueur correspondante. Ce qui nous amène à l’essentiel 5.

Essentiel 5 : l’application de la force durant le parcours de lancer doit être progressive

Le principe, tel que formulé par les Gammel dans leur papier original, est le suivant : « La force (power) doit être appliquée en juste quantité au moment opportun du parcours de la lancer ». L’idée fondamentale est celle d’une accélération fluide et croissante, soutenue jusqu’au moment du stop. Commencez lentement, accélérez de manière progressive, puis plus marquée, mais sans à-coups, dès que le talon de votre canne a passé la perpendiculaire du plan de lancer pour atteindre le pic de vitesse immédiatement avant le stop.

Discussion

Il convient évidemment développer assez d’énergie durant notre lancer pour permettre la formation de la boucle et la projection de la soie. Ni trop, ni trop peu. La substance du propos porte au reste non sur la quantité totale de force appliquée, mais bien sur la manière et le moment de l’appliquer durant le lancer (voir la figure 8). L’essentiel 5 est un moyen au service d’une fin : une fois encore, il s’agit, durant le lancer, de faire parcourir au scion de votre canne, qui se plie sous l’effet mécanique de la force que vous lui appliquez, une trajectoire qui soit la plus linéaire possible, afin d’obtenir une boucle serrée et directionnelle (essentiel 3)

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Figure 8 Progressivité et timing dans l’application de la force
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Il tombe sous le sens que, si vous démarrez votre lancer sur les chapeaux de roues, vous peinerez à continuer d’accélérer en proportion : le scion de votre canne va donc s’abaisser plus ou moins brusquement au début du lancer, passer sous la ligne idéale qu’il devrait parcourir, puis se redresser parce que l’accélération n’est pas maintenue. Il résultera de cette révérence involontaire du scion la création d’une vague plus ou moins creuse dans la soie, laquelle occasionnera, en général, un tailing loop. Il en va de même si vous marquez une accélération trop brusque à n’importe quel moment du parcours de lancer et que votre scion se plie en dessous de la droite idéale sur laquelle il devrait se déplacer durant la course de lancer. Ce genre de phénomène arrive souvent lorsque le lancer est entamé trop lentement ou sur un arc de lancer insuffisant par rapport à la longueur de soie déployée (essentiel 4) et que le moucheur cherche à se remettre dans la course en accélérant de manière brusque et exagérée. C’est aussi un des ingrédients du syndrome du dernier lancer : les faux-lancers sont exécutés de façon correcte, mais sur l’ultime lancer le pêcheur, qui cherche à mettre plus de jus, « tape » avec force dans la canne, perdant ainsi toute progressivité. Effet de bouclage (tailing loop) garanti !

Relevons pour finir qu’il est plutôt rare qu’un lancer pèche, si je puis dire, par manque de puissance. Rapporté à l’essentiel 5, ce défaut d’énergie se traduira par une courbure insuffisante de la canne et donc par un parcours de scion qui aura tendance à tracer un dôme au-dessus de notre trajectoire linéaire idéale, produisant ainsi un loop large et ouvert. Type de boucle dite ample ou ouverte, que nous évitons en général, mais qui peut être recherché dans certaines circonstances : lancer d’un train de mouche ou d’une grosse artificielle, lancer par vent arrière – par exemple.

Les trois maîtres mots, quant à l’application de la force, sont en résumé : progressivité, fluidité, timing. A cet égard, tout style confondu, un des meilleurs exercices qui soit est le suivant : par séries de 3 à 5 faux lancers, entraînez-vous à former des boucles qui soient les plus « propres » possible en mobilisant le moins de force possible. Vos loop, bien serrés, doivent avoir juste assez de vitesse pour combattre les effets de la gravité ou du vent et permettre une ouverture optimale de la boucle entre deux faux lancers. Commencez avec cinq-six mètres de soie et résistez à la tentation d’allonger immédiatement le tir : lorsque le résultat souhaité est atteint ajoutez un mètre de ligne et ainsi de suite. Sur cet exercice, n’effectuez pas de traction. Vous constaterez qu’il faut au final assez peu d’énergie pour former une boucle, même à douze-quatorze mètres, et que la vitesse de soie, loin de résulter d’un maniement frénétique et musclé de la canne, est d’abord affaire de progressivité, de fluidité et de timing. L’impulsion correcte, donnée au moment opportun.

Conclusion

Les 5 essentiels fourniront à celles et ceux qui cherchent à s’entraîner de manière autonome et consciente une aide très utile. Ils leur permettront de mieux diagnostiquer les origines de certains problèmes et donc d’y remédier avec plus d’efficacité. Bien sûr, il ne faut pas en faire un gospel ainsi qu’il est parfois advenu outre-Atlantique : comme tout exercice de synthèse, celui-ci comporte ses parts de simplifications discutables. Mais dans l’ensemble, compris dans leurs relations réciproques, les 5 essentiels offrent une base solide pour progresser dans la compréhension du lancer mouche et de ses fondements, quel que soit le style de lancer pratiqué. Je reviendrai dans un prochain article à l’application de ces principes au lancer de style italien (TLT).

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Bibliographie :

Sekhar Bahadur, « Casting Master Then and Now. Bill & J.W. Gammel », The Loop. The Journal of Fly Casting Professionals, Summer 2016, pp. 8-16.

Aitor Coteron, « Follow Me Please », The Loop. The Journal of Fly Casting Professionals, March-April 2018, pp. 10-15.

Bill Gammel, Jay Gammel, « Five Essentials », The Loop. The Federation of Fly Fisher Journal for Certified Casting Instructor, Summer 2009, pp. 1-6.

Mark Herron, Website : The Curious Flycaster https://thecuriousflycaster.com, en particulier son excellente Einstein Series sur la physique du lancer mouche.

Tim Rolston, « A Load of Ol’ Clock », The Fishing Gene Blog https://paracaddis.wordpress.com/tag/ten-to-two/

Mark Surtees, « Lost in Translation : How You Really Controll Your Rod Tip Path », The Loop. The Journal of Fly Casting Professionals, March-April 2018, pp. 16-20.

John Symonds, Philip Maher, Flycasting Skills for Beginner and Expert, Ludlow 2013. 

Marryat Tactical Pro

A propos de l'auteur

Malik Mazbouri est né en 1963 et pêche depuis toujours. Passionné de lancer mouche, il fréquente les rivières alpines, jurassiennes et argentines, ainsi que les flats…