Les barbeaux espagnols à la mouche

Aspe angler

Vous parler de la pêche du barbeau à la mouche ou tout du moins ce que j’en sais est pour moi un plaisir à plusieurs titres. En effet c’est un plaisir car cette pêche mérite les lettres de noblesse qu’elle est en train d’acquérir. Mais surtout, c'est un plaisir de partager avec vous les joies et émotions intenses que cette pêche ne manquera pas de vous offrir. 

Voilà maintenant une vingtaine d’années que je traque cette espèce ou plutôt ces espèces, canne à mouche en main. Ce n’est que récemment que l’on a pu voir une audience plus large pour ce cyprinidé d’eaux-vives, un peu à l’instar de la carpe. Signe des temps, évolution des mentalités chez les moucheurs, ces poissons ne sont plus considérés comme de dangereux nuisibles qui « mangent » le fraie de nos si chers salmonidés…. Non les barbeaux ou plus simplement le barbeau, tant le genre est diversifié comme nous le verrons, est simplement un poisson qui occupe sa niche écologique jouxtant celle des salmonidés, immédiatement à son aval. Sa pêche ultra-ludique à la mouche se pratique principalement à vue (pour les territoires que je fréquente) lui offrant un attrait considérable. Ajoutons à cela la puissance largement reconnue du barbeau, sa large répartition spatiale et sa disponibilité temporelle au cours de l’année et nous avons là bien plus qu’un pis-aller en matière de pêche !

Texte

Un peu de biologie

Pour bien bien comprendre le barbeau et sa pêche intéressons-nous d’un peu plus près au genre Barbus Barbus.

Largement réparti du nord à l’est de l’Europe, on le retrouve de l’Atlantique jusqu’au bassin de la Mer Noire. Le genre Barbus Barbus présente de nombreuses sous-espèces. Celle qui nous intéresse ici est celle du barbeau ibérique, elle-même divisée en deux grandes sous espèces qui s’hybrident fréquemment.

La première, celle à laquelle on pense tout de suite en parlant de barbeau ibérique est couramment dénommée Comizo ou barbeau comizo, Luciobarbus Comizo, endémique à la péninsule Ibérique tant en Espagne qu’au Portugal.

La seconde et celle à laquelle je ferai référence tout au long de cet article est le barbeau commun Luciobarbus Bocagei.

Les deux espèces qui avaient jusque là évolué de façon bien distincte, s’hybrident facilement, en particulier depuis la créations de grands barrages et les changements régime d’écoulement des eaux pour les besoins de l’agriculture, apparus ces cinquante dernières années en Espagne mais également au Portugal. Ces deux espèces occupent en effet des micro-habitats différents tout au long de la zone de répartition. Le comizo préfère les zones les plus lentes voir stagnantes quand Bocagei préfère des eaux plus rapides. Les différences morphologiques bien marquées sur les individus « originels » s’estompent sur les hybrides et il est parfois bien difficiles de les reconnaître.

Ainsi le Comizo au corps plus allongé, à la bouche plus « ronde » et positionnée sur l’avant de la tête, tend à perdre ses caractéristiques pour rejoindre la morphologie de Bocagei avec sa bouche bien positionnée vers le bas. Quand Bocagei prend également les traits de Comizo, la seule vraie façon de les différencier est de s’intéresser à leur nageoire dorsale dont les rayons sont plus nombreux et moins espacés chez Bocagei. Dans certaines zones, les hybrides sont devenus majoritaires, depuis que les deux sous-espèces se rencontrent plus fréquemment sur les frayères suite aux changements hydrologiques déjà cités.

Image
barbeaux espagnol
Texte

Pour être un peu plus complet, on peut rapidement citer le Barbeau d’Andalousie et le Barbeau de l’Ebro mais ces derniers sont encore une fois des variantes de Luciobarbus Bocagei. Ce dernier est le plus proche représentant ibérique du Barbus Barbus que l’on trouve en France. Son comportement est assez similaire à celui de Barbus Barbus avec toutefois des nuances notables d'avantage liées à ses habitats.

Le Barbeau Commun a une alimentation principalement benthique, constituée d’invertébrés et de détritus, bien qu’il puisse sans peine s’attaquer à de petits poissons, ce qu’il fait d'ailleurs régulièrement. La reproduction a lieu en mai/juin dès que la température atteint 13,5°C, les barbeaux accèdent alors à des zones de courant bien plus rapides et déposent leur ponte sur un substrat caillouteux.

Nous ne sommes pas ici pour faire un traité de biologie mais il me semble que connaître a minima l’espèce à laquelle on s’intéresse n’est pas dénué de sens et participe à une meilleure approche, tant tactique que technique.

Image
Comizo
Légende
Barbeau Comizo capturé en terre ibérique par Sylvain legendre
Image
barbeaux espagne
Texte

Le matériel

Niveau matériel, un large panel de cannes de différentes puissances peut servir en fonction des cas. Ainsi, si vous ne devez pêcher le barbeau qu’à l’occasion et que vous disposez d’un ensemble #4 avec une courte canne en 8’ou 8’6, il fera l’affaire... à l’occasion !

En revanche, si vous voulez vous attaquer plus spécifiquement au barbeau pour une recherche systématique en vous focalisant sur de gros individus dans de puissants courants, une puissance #7 voire #8 peut être nécessaire. Pour avoir pratiqué avec un peu tout ce qui existe en termes de puissance et longueur de canne, en allant de la fibre de verre 7' #3 à la 10'  #7/8 en carbone, le mieux reste de trouver un ensemble équilibré pour une puissance autour de #6 avec une longueur de 9' pour toutes les pêches classiques à vue. Les cannes trop légères #3/4 ou #5 souffrent trop dès lors qu’on pêche régulièrement ces poissons puissants et ne permettent pas d’opposer une puissance en rapport à nos adversaires. Les ensembles de classe #8 manquent quant à eux de discrétion dans de trop nombreuses situations.

Au final, j’ai personnellement posé mon dévolu sur des cannes 9' #6 avec de bonnes réserves de puissance comme les Guideline Elevation ou RSI, les Scott Radian, la vieille X2S ou encore la Hardy Demon SWS. Ces cannes permettent d’en avoir dans le coffre si on tombe sur un joli léviathan tout en restant douces et discrètes quand cela est nécessaire.

En ce qui concerne les soies, toute WF capable de charger rapidement ces cannes et de bien déployer le bas de ligne même avec une sèche en foam ou d’expédier une nymphe lourde fera l’affaire. J’utilise avec bonheur les Guideline Evolve 2.0, Hardy Pocket Rocket, Scientific Angler Mastery MPX ou Frequency Boost.

Pour contenir le tout, un moulinet doté d’un bon frein avec une contenance adaptée sera nécessaire. Le barbeau est un poisson puissant et disposer d’un bon frein est un gage de confort lors du combat. Je fais confiance aux Hatch Finatic 5+, aux Hardy MTX 5000 ou Guideline Halo 6/7, mais d’autres conviendront parfaitement dès lors qu’ils répondent au cahier des charges. Frein, bonne capacité de récupération et contenance, voilà les besoins ! Pour compléter le tout, une centaine de mètres de backing est nécessaire. Même s'il est rare de voir ce dernier sortir, il arrive qu’un joli poisson un peu énervé dans un fort courant puisse vous chiper 15/20m de ce précieux renfort.

Image
barbeaux espagnol
Texte

Concernant le bas de ligne, une bonne vielle queue de rat d’une longueur de canne se terminant en 20 ou 22/100 par une micro-boucle ou un micro-ring fait parfaitement l’affaire. Cela offre la possibilité de modifier la longueur de la pointe située entre 70/80 cm et une longueur de canne. Son diamètre est compris entre 20 et 14/100 en fonction des conditions.

Pour ceux qui préfèrent un bas de ligne à noeuds, la formule suivante fonctionne très bien avec du bon vieux Maxima, toujours terminée par une micro-boucle ou un micro-ring :

0,45 mm: 70 cm

0,40 mm: 60 cm

0,35 mm: 50 cm

0,30 mm: 40 cm

0,25 mm: 30 cm

0,22 mm: 25 cm

Longueur totale: 275 cm

Image
barbeaux espagnol
Texte

La stratégie de pêche

Comme pour toute espèce que l’on va rechercher, l’approche du barbeau vous demandera tout d’abord un temps d’observation et d’adaptation. C’est sa biologie qui nous apporte encore une fois le plus d’infos. Au cours de la saison, je distingue plusieurs grandes phases qui correspondent grosso-modo aux grandes phases qui régissent le cycle annuel de l’espèce.

On a en premier lieu une phase de réveil/redéploiement de l’espèce au sortir de l’hiver, au mois d’avril/mai en fonction des années. Je pêche alors des rivières alimentant des barrages qui se rechargent durant la période hivernale et au début du printemps avec les eaux de fonte. Leurs profils ressemblent énormément à des rivières à truite avec une eaux claire. Il n’est pas rare de croiser une de ces dernières en recherche d’un snack.... Les secteurs court-circuités entre les barrages offrent également de bons spots avec des écoulements propices au développement du barbeau. Toutefois attention, sur ces derniers, restez toujours vigilants quant à une éventuelle montée des eaux. En fonction des conditions plus ou moins rigoureuses de l’hiver, ce réveil peut avoir lieu mi-avril comme fin mai ou plus tard au moi de juin comme j’ai pu en être témoin suite à un hiver très froid et un printemps calamiteux.

Lors de cette phase, les barbeaux encore un peu léthargiques les premiers jours sortent des profondeurs pour venir se positionner dans des zones intermédiaires au milieu de la colonne d’eau aux heures les plus chaudes de la journée. Il n’est pas rare de les voir croiser à mi-profondeur entre 50cm et 1m du fond. Les zones de pêches sont alors situées à l'extrême aval, au niveau de la zone de contact avec le lac, celle qui subit les marnages.

Au moment de la côte d’eau la plus haute, cette zone constitue en fait des superbes « flats » très propices à une recherche à vue des poissons comme on peut le faire en mer. Les belles journée du printemps sont alors l’occasion de passer de superbes journée « ailleurs ». C’est le moment rêvé de leur présenter une jolie nymphe nageuse vibratile et ondulante, une imitation d’une demoiselle ou d’une sangsue peu lestée qui ne descend pas trop vite vers le fond. 

Les barbeaux ne tarderont pas ensuite à devenir plus actifs et explorer les zones les plus chaudes où l’eau se réchauffe très rapidement. Quand ces derniers seront vraiment en bordure, n’hésitez pas à leur offrir des imitations d’insectes vivants sur le fond ou de petits crustacés type mini-écrevisses ou imitations de vers type Squirmy-Wormy ou San-Juan Worm.

Image
barbeaux espagnol
Légende
Quelques worms à barbeaux
Image
barbeaux espagnol
Légende
Et les micro-écrevisses !
Texte

Très vite ces poissons de courant qui s’étaient réfugiés dans les profondeurs du barrage pour trouver leur température optimale d’hivernage, vont se diriger vers l'embouchure de la rivière, pour continuer ensuite leur remontée. Ces rivières du versant sud des Pyrénées possèdent un profil généralement assez rapide avec des successions rapides pools plus ou moins profond, et des gravières au gabarit moyen. Ce sont des milieux plus ou moins riches dans leur zone « basse » qui subissent de sévères étiages avec de fortes montées de température.

La remontée s’effectue au début par les bordures. Au fur et à mesure du réchauffement de l’eau, les barbeaux utilisent toute la largeur de la lame d’eau et il n’y a guère que les courant les plus forts à l’eau blanche qui les rebutent.

Il faut cependant noter que les plus gros individus, ceux qui sont le moins sensibles aux conditions extérieures car ils ont la capacité de résister aux températures d’eau plus froides, restent en rivière et peuvent être actifs sur les gravières dès que l‘eau gagne à peine quelques dixièmes de degré.

Bandeau
Image
pêche barbeau
Légende
Pêche d'avril en lac
Texte

Vient ensuite la période de pré-reproduction et les poissons colonisent toute la rivière. Vous les trouverez en quête de nourriture tant sur les bordures qu’au milieu des gravières à retourner les cailloux. Si l’approche est bonne et que le poisson ne vous a pas repéré, la présentation de nymphes plus « classiques » que l’on utilise pour la truite avec un petit casque est souvent la solution. Tout l’art du pêcheur sera de combiner le lancer correct avec le bon lestage.

Suit la période de reproduction avec une large colonisation vers l’amont, des bancs de barbeaux en déplacement et en fraie dans les courants, sur toutes les zones caillouteuses. Nous sommes en mai/juin en fonction des années. Très énervés, les barbeaux sont agressifs mais leur pêche ne présente aucun intérêt technique à cette période. Mieux vaut les laisser tranquilles et repousser sa séance de pêche à la semaine suivante. La fraie ne dure pas longtemps et au sortir de cette épreuve, les barbeaux seront encore bien actifs pour se refaire la cerise, en recherche permanente de nourriture.

Image
barbeaux espagnol
Texte

Par la suite les choses se calment un peu. Les barbeaux se tiennent dans les zones les plus oxygénées. Il ne faudra pas hésiter à se déplacer plus en amont. Ils sont à cette période dans les zones accidentées un peu comme le ferait la truite sur certain spots. L’augmentation considérable de la température de l’eau au-delà de 20°C au cours des mois de juillet et août (atteignant parfois jusqu’à 26/27°C sachant que l’optimal thermique de l’espèce se situerait entre 10 et 29°C selon les auteurs), créé des zones d’inconfort. Le barbeau cherchera de fait les zones qui lui conviennent le mieux quitte parfois à se retrouver avec une partie du corps dépassant de la surface, seule la tête et les branchies maintenues dans le blanc d’une petite cascade. On le retrouve ainsi à l’aval immédiat d’un courant, dans ce dernier, voire dans le bouillon blanc… Sa morphologie (avec ces grandes nageoires pectorales et sa dépression sous l’avant du ventre telle une ventouse) lui permet de se maintenir sans peine en place.

C’est la période de l’année que je préfère, les poissons peuvent être partout. Les postes évoluent en cours de journée, au gré de l’évolution thermique qui influence la teneur en oxygène et donc leur confort. Ainsi le matin avec la fraîcheur, on les trouve facilement dans des zones plus calmes, de petits pools, pour ensuite les retrouver sur les gravières et enfin dans le bouillon des rapides.

C’est le moment de faire des approches les plus discrètes possible et présenter une nymphe au plus près du poisson qui s’en saisit de façon réflexe. Plus la présentation est laborieuse, plus le poisson deviendra méfiant jusqu’à finir par partir. Il faudra alors laisser reposer un bon moment le secteur avant de revenir, pour que les poissons soient à nouveau réceptifs mais ils ne le seront jamais autant qu’avant la première présentation… ainsi, il faudra être encore meilleur !

Image
barbeaux espagnols
Texte

En adoptant une démarche douce, patiente et en observant bien, vous arriverez au final à détecter la présence de ces poissons très mimétiques qui souvent partiront dans vos pieds si vous vous précipitez.

Je vous déconseille fortement de laisser votre oeil vous diriger. L’attrait d’un barbeau actif bien positionné en train de se nourrir, la tête orientée plein amont, dans un nuage de sédiment en fin de gravière, ne doit pas vous faire oublier que d'autres poissons peuvent être dans vos pieds, dans le clapot du rapide. Si vous leur marchez dessus, ce seront non pas une mais deux chances de capture que vous verrez s’évanouir !

Durant cette période, il n’est pas rare de repérer des barbeaux actifs en surface. Je vous l’accorde, ce n’est pas à ce mode de pêche à la mouche auquel on pense en premier concernant le barbeau ! Cependant, opportuniste au possible, l’espèce regarde facilement en surface ce qui peut tomber des frondaisons, comme de petites baies ou des terrestres. Plus rarement, les barbeaux peuvent se caler sur des éclosions d’éphémère (je n’ai eu le loisir d’observer ce phénomène qu’une poignée de fois en presque 20 ans de pêche de l’espèce).

Vous aussi, vous devrez être opportuniste pour profiter au maximum de ces moments qui ne durent hélas jamais bien longtemps mais restent gravés à jamais dans votre mémoire. Pour faire un aparté sur le Comizo, ce dernier tout comme ses hybrides, sont encore plus attirés par ce qui se passe en surface et il est fréquent de les pêcher avec des terrestres en lac.

Image
barbeaux espagnol
Légende
Quelques terrestres à barbeaux
Texte

Avec l’automne qui s’installe, septembre et octobre sont de bons mois pour la recherche du barbeau qui est actif sur de longues périodes de la journée. On le retrouve partout, il délaisse un peu les zones les plus courantes et s’intéresse franchement aux éclosions de chironomes en redescendant plus vers l’embouchure en fin de période.

Les choses évoluent ensuite très vite avec l'arrivée du froid. En quelques jours, les barbeaux « disparaissent » pour ainsi dire du jour au lendemain vers les profondeurs du lac. Il est alors temps de faire le bilan de votre saison et préparer la suivante en reproduisant les modèles de mouche qui vous ont donné satisfaction, et en adaptant d’autres qui vous ont aidés mais pas totalement satisfait….

Ainsi s’écoulent les 4 saisons de la pêche du barbeau à la mouche en Espagne ! 

 

Texte et montage de l'auteur

Crédit photo Stéphane Villaine, Sylvain Legendre

Image
barbeaux espagnol
Texte

Retrouvez les activités de Fabrice sur son site Aspe Angler :

aspe angler
Marryat Tactical Pro

A propos de l'auteur

Fabrice Boucher, 43 ans, pêche depuis l’âge de 10 ans et 33 ans canne à mouche en main.
Après avoir fait une partie de ses études en géographie sur Grenoble où il…