Quand de précieux KWh s’évaporent dans les champs de maïs...

culture maïs

En 2018, je démarrais une série d’articles sur l’hydroélectricité et les rivières. Ils devaient successivement évoquer nos besoins en électricité, nos modes de production dont l’hydroélectricité, les impacts sur les cours d’eau des centrales hydroélectriques et enfin les solutions possibles pour rendre cet usage plus compatible avec la biodiversité aquatique... J’étais donc engagé depuis plusieurs mois dans un bilan scientifique des mesures prises au niveau des centrales pour tenter de réduire leurs impacts. J’avais fait le tour des passes à poissons, des grilles limitant la mortalité des poissons dans les turbines, des débits réservés passés en 30 ans de 2,5% du débit moyen des rivières à 10% (avec depuis quelques temps des valeurs allant même jusqu’à 20%), des éclusées pour lesquelles quelques tentatives ponctuelles de mesure de réduction semblaient porter leur fruit...etc. Et puis… l’été 2022 est passé par là...

Texte

Le combo guerre en Ukraine, fermeture du robinet de gaz, centrales nucléaires à l’arrêt et bien sûr absence de précipitations et donc de ressource en eau dans tout le sud de la France ont fini de me convaincre que l’heure n’était pas à l'évocation des tentatives de compromis entre biodiversité et électricité mais dans un besoin d’explications et de dénonciation d’un scandale énergétique et climatique qui n’a que trop duré...

Tout d’abord, un constat : aussi triste que cela puisse paraître à tous ceux qui espéraient que la biodiversité de nos rivières puisse encore avoir un poids dans le rouleau compresseur financier qui déferle sur nous depuis 50 ans, à tous ceux-là dont je faisais partie, je suis au regret de vous dire que les mois à venir et notre pénurie de KWh enverront bien vite balader les « petites » considérations de vie des poissons et autres invertébrés des rivières... Et ce balayage d’un revers de main ne viendra pas uniquement de ceux qui tirent directement des revenus financiers de l’exploitation de la ressource en eau. Il viendra aussi de l’opinion publique. Il sera, et il est d’ailleurs, tellement plus facile d’accuser « des écolos aquatiques », qui, sous prétexte de sauver quelques poissons plombent, par leurs exigences « démesurées » à laisser un peu d’eau dans les rivières, la production des précieux KWh. Vous verrez bien vite que ce sera de la faute de pêcheurs « extrémistes » si on ne produit pas suffisamment d’électricité. N’a-t-on pas d’ailleurs entendu cet été que les feux en Gironde étaient de la faute du manque d’entretien de la forêt, manque d’entretien bien évidemment causé par quelques « écolos » voulant laisser faire la Nature ? (il est vrai qu’une monoculture de résineux à perte de vue plantée sur de la tourbe et des températures de 40 à 50°C sans précipitation ne sont bien évidemment pour rien dans cette catastrophe... parenthèse fermée).

Vous verrez qu’il en sera de même pour les rivières et l’hydroélectricité. Alors, je ne peux bien sûr pas empêcher les raccourcis, les pensées toutes fabriquées et la facilité à trouver des boucs émissaires évidents, mais j’aimerais dans les lignes qui vont suivre, sur la base de véritables éléments chiffrés, dénoncer la plus absurde des politiques agricolo-énergétique qui existe, je veux parler de la maïsiculture du sud-ouest et ses hordes de canons asperseurs arrosant à longueur de journée les précieux grains du « Géant Vert ».

Image
culture maïs
Texte

Le miroir aux alouettes du soutien d'étiage...

En 50 ans, nous sommes passés dans le bassin Adour-Garonne de 120 000 ha irrigués dans les années 1970 à plus de 500 000 ha aujourd’hui. Pour satisfaire les besoins de l’agriculture du sud-ouest, il faut apporter en moins de 4 mois, 800 millions de m3 d’eau aux différentes cultures soit l’équivalent de la consommation de 19 millions de foyers pour la même période. Ce volume d’eau représente 10% de l’ensemble des écoulements sortant du bassin Adour-Garonne-Charente sur 4 mois.

Cela peut donc paraître finalement assez peu sur la base de ces statistiques générales. Mais en fait, là où l’absurdité apparaît et de façon encore plus criante en 2022, c’est lorsque l’on connaît l’origine d’une partie de ces 800 millions de m3 d’eau... En effet, s’il fallait pomper cette eau dans les rivières du sud-ouest et compter sur leur débit « naturel », très vite l’Adour, l’Ariège et peut-être même la Garonne à Toulouse se traverseraient à pied sec. Passe encore que tout le chevelu de ruisseaux des plaines soit totalement assec, personne ne s’en émeut, mais l’Ariège, quand même, cela ferait désordre...

Alors, nous avons inventé un très beau concept : le soutien d’étiage. En voilà un joli terme pour désigner un pillage de la ressource en eau. Car derrière le concept, il y a toute une infrastructure bien pensée. Le principe est très simple : stocker l’eau lorsqu’elle est abondante et la relâcher lorsque les rivières en manquent. L’escroquerie intellectuelle de ce concept vient du fait que sans les prélèvements agricoles, nombre de nos rivières ne manqueraient pas d’eau en été. Mais plutôt que de dire que les lâchers d’eau des lacs de barrage font du soutien à l’irrigation, on préfère dire que l’on fait du soutien de « l’étiage » tout cela pour que les poissons ne meurent pas... Quelle générosité pour la Nature ! Bien évidemment, il s’agit d’un enfumage en règle...

Texte

Du maïs pour quoi faire ?

En France, le maïs occupe environ 3 millions d’hectares, soit 10% de la surface agricole utile (60% dans les Landes) (source : https://www.gnis.fr). La moitié de ces surfaces est occupée par la production de maïs dit « fourrage » encore appelé ensilage destiné à nourrir le bétail surtout pour la production laitière, l’autre moitié par du maïs grains. La part du maïs doux destiné directement à la consommation humaine est infime (0.7% des surfaces). Pratiquement la moitié de la production de maïs grain est exportée vers l’étranger. Ce maïs exporté est très très majoritairement destiné l’alimentation animale puisque en Europe, 80% de ce maïs grain sert à l’alimentation animale (source : https://www.semae-pedagogie.org/sujet/mais-debouches).

Pour les 50% restant en France, un peu plus de 30% sont utilisés pour l’élevage, 17% pour l’industrie de l’amidon et 3% pour fabriquer du bio-éthanol.

Au final donc, plus des ¾ de la production sert à alimenter du bétail... Et la grande surprise est de découvrir sur le site des semenciers que cette culture est "durable, bonne pour la ressource en eau et même pour le climat"… les raccourcis et les mensonges ne font pas peur à ces communicants (pour mieux se rendre compte : https://www.maisculturedurable.com)

Texte

Une perte conséquente pour les milieux aquatiques...

Voilà les chiffres de la Garonne en été 2022 :

J’ai tout simplement additionné les débits mesurés aux stations hydrométriques du bassin en partant successivement du haut de la vallée vers le bas jusqu’à Toulouse. En additionnant donc, semaine par semaine, du 20 juillet au 07 septembre 2022 (soit 50 jours) les volumes d’eau écoulés depuis la Garonne espagnole, la Pique, les Neste, le Salat, l’Ariège et quelques autres affluents, nous aurions dû retrouver environ 275 millions de m3 écoulés à Toulouse. Au lieu de cela, il n’est passé que 196 millions de m3, soit 79 millions « évaporés » ce qui représente 1,6 millions de m3 par jour...

Image
maïs
Légende
A gauche : somme des volumes d’eau venant des parties amont de la Garonne et de ses affluents (Ariège, Salat, Pique et Neste). A droite : en jaune les volumes réellement écoulés à Toulouse et en rouge ceux qui manquent (©Hydroportail)
Texte

Mais où diable a bien pu passer cette eau ?

En considérant que les 800 000 personnes qui habitent cette partie du bassin de la Garonne consomment de l’eau provenant directement des rivières (ce qui est faux) et qu’en plus aucune partie de ces prélèvements ne reviennent aux cours d’eau (ce qui est faux également sinon il n’y aurait pas de stations d’épuration), on obtient un prélèvement maximal de 3.3 millions de m3 sur la période soit 4% de la disparition d’eau... Même si l’on ajoute des prélèvements industriels, on peine à dépasser les 5 millions de m3 prélevés soit pas plus de 6,5% du total.

Les chiffres sont donc implacables : l’irrigation agricole du haut bassin de la Garonne et de l’Ariège a consommé 70 millions de m3 d’eau en 50 jours !

Donc, même si l’on doit tous faire des efforts, chacun peut ici percevoir que l’enjeu de consommation de l’eau n’est pas dans la fermeture du robinet quand on se brosse les dents, ni même dans les chasses d’eau (même s’il est stupide de mettre de l’eau propre dans ses toilettes), ni même dans le remplissage des piscines (même si là encore il n’est pas vital d’avoir perpétuellement le débordement de la piscine)...

Image
soutien d'étiage
Légende
L'Ariège (à gauche) et la Garonne à Toulouse (à droite) en pleine période de "soutien d'étiage" (source Météo Pyrénées)
Texte

Des m3 aux Kwh...

Comme pour les consommations d’énergie, nous ne serons jamais économes si nous ne voulons pas regarder les vrais chiffres... Et puis, lorsque l’on sait que tout cette eau prélevée aurait pu passer dans une vingtaine de centrales hydroélectriques réparties sur le cours de la Garonne et de l’Ariège, c’est autant de KWh non produits cet été... Et ce n’est pas une paille. Cela représente une perte de production de 16 millions de KWh soit la consommation de 25 000 foyers pendant ces 50 jours. Et dire que certains voudraient nous construire de nouvelles centrales…

Mais, là où le problème de cette consommation d’eau irraisonnée devient dramatique, c’est lorsque l’on sait d’où vient une grande partie de cette eau...

Pour satisfaire cet appétit hydrique et éviter que la rivière Ariège ne ressemble à un cours d'eau du Sahel (même si l'on n'y loue pas de pédalos comme au lac de Sainte-Croix dans le Verdon qui a fait la une des journaux ces derniers temps...), on fait appel tout l’été à des lâchers d’eau depuis les barrages des Pyrénées. C’est le fameux soutien d’étiage par les lacs de barrage.

Et pas n’importe quels barrages : en grande majorité ceux construits pour stocker l’eau issue de la fonte des neiges de printemps et utiliser cette eau en hiver pour produire quoi… de l’électricité !

Et pas n’importe quelle électricité : la plus précieuse, celle dont on a besoin aux heures de pointe hivernale, celle que l’on produit aussi avec du gaz et qui nous est facturée d’ailleurs au prix fort… du gaz (voir l'article Et au milieu fissionnait l'atome) !

Vous commencez donc à voir où se situe l’aberration et le gaspillage, non seulement de l’eau mais surtout de l’énergie ?

Et que s’est-il passé en 2022 ?

Pour satisfaire sans relâche le « maïs glouton », on a demandé à EDF, moyennant finances bien sûr, de vider, non pas quelques lacs de haute altitude mais la quasi-totalité des réserves pyrénéennes. Bilan en ce début de mois d’octobre, les grands lacs de barrage des Pyrénées sont quasi vides et n’ont plus de réserve...

Image
Oredon
Légende
Le lac d'Oredon (65) le 03/07/22 en haut vs le 27/08/22 en bas (source Météo Pyrénées)
Texte

C’est donc comme si nous avions fait le plein de gaz au printemps mais qu’au lieu de le conserver cet été pour alimenter nos foyers et nos industries en hiver, on l’avait brûlé pour chauffer des serres et cultiver des tomates ! Et ce n’est pas comme si nous ne savions pas que nous allions avoir un problème d’énergie cet hiver. La pénurie de gaz menaçant, avec quoi pensions-nous produire de l’électricité en pointe lorsque nous dilapidions nos réserves cette été ? Peut-être du charbon…

Cette situation absurde est à l’image de notre totale incapacité à faire des choix. Notre vision techno-centrée basée sur des ressources illimitées nous conduit dans le mur mais en plus nous appuyons sur l’accélérateur.

Car au final, cet été, non seulement les rivières des Pyrénées ont atteint des débits quasiment jamais vus, la biodiversité aquatique en a souffert (même si ce n’est pas aujourd’hui le plus grave pour la majorité des Français) mais en plus, nous avons laissé sciemment des rampes d’arrosage dilapider nos KWh d’électricité...

Et demain, vous devrez mettre un couvercle sur vos casseroles et laisser tomber la cravate pour le pull à col roulé. Notre cerveau de primate est-il aussi brillant que nous voulons bien le croire ? 

Et bien sûr, tout cela a un coût financier. Non seulement nous devrons payer au prix fort l’électricité qui nous manquera peut-être en hiver mais l’eau qui s’évapore au-dessus des champs de maïs, qui la paie ? Et bien nous tous, les contribuables et les buveurs d’eau du robinet !

Oui cette politique agricole imbécile et criminelle est en plus ultra subventionnée par nos taxes et nos impôts.

Alors évidemment, je vois d’ici ceux qui me feront une superbe démonstration pour vanter les immenses retombées économiques de ce modèle agricole. Ceux qui me diront que sans maïs, pas d’alimentation des animaux et autres produits dérivés. A ceux-là, je leur dirai simplement que lorsque l’on doit injecter 5 KWh d’énergie pour récolter 1 KWh d’équivalent énergétique en alimentation (le tout en rejetant du CO2), il n’y a aucune démonstration économique qui vaille.

Dernier point très important, les agriculteurs et autres ingénieurs agronomes ayant mis en œuvre ou pensé ce modèle ne sont pas les seuls responsables. Chaque fois que nous consommons de la viande issue d’élevage intensif et d’autres produits agro-industriels, chaque fois que nous pénétrons dans un supermarché ou dans un fast-food, nous participons très très activement à cet immense gaspillage. Ne l’oublions jamais quand nous étouffons sous la chaleur estivale ou que peut-être lorsque nous grelotterons dans nos chaumières cet hiver.

Alors oui, l’arrosage estival des golfs est aussi une hérésie mais est-ce vraiment la seule ?

Texte

Isolez-vous qu’ils disaient...

A l’heure de la pénurie d’électricité qui menace, plus que jamais, le credo des pouvoirs publics est l’isolation des bâtiments et surtout de nos maisons. Nos pavillons sont montrés du doigt et nous sommes sommés de faire quelque chose. Alors oui, beaucoup reste à faire pour atteindre les fameux 50 KWh/m² et par an de consommation dans nos logements et il faut probablement s'y coller. Mais que dire des 700 à 800 KWh/m² et par an de tous les centres commerciaux. Où sont les injonctions d’isolation pour ces gouffres énergétiques ?

Levez un jour les yeux dans votre supermarché et vous verrez de simples tôles qui font office de toit. Nos 68 millions de m² de centres commerciaux en tout genre consomment plus de 55 TWh (13% de notre consommation totale, 1/3 de la consommation des ménages) soit l’équivalent de 82% de la production hydroélectrique, de 7 réacteurs nucléaires ou de 5 000 éoliennes.

A quand des obligations pour ces temples de l’ultra-consommation ?

Image
Izourt
Légende
Le barrage d'Izourt (09) début juillet 2022 vs début août 2022 (source Météo Pyrénées)
Texte

Tout le monde n'est pas logé à la même enseigne...

Sur la rivière Touyre dans le piémont de l’Ariège, nous avons assisté cet été à une belle illustration des incohérences de gestion de l’eau :

A 17 km des sources dans la traversée de Lavelanet, la rivière s'est maintenue à des débits d'environ 150 l/s ce qui représente déjà 5 fois moins de débit par rapport aux écoulements moyens de cette période...

5 km en dessous, les débits sont descendus, début août jusqu’à 20 l/s soit un filet d’eau au milieu des galets de cette rivière.

Entre les deux, pas de pertes naturelles, non, juste des pompages dans la nappe alluviale. D’ailleurs, à la mi-août dès l’arrêt de la majorité des prélèvements, les débits sont comme par enchantement remontés. Entre temps, en amont, un pisciculteur très scrupuleux a tenu de son propre chef à réduire son prélèvement de 100 l/s à 15 l/s tout en recyclant au maximum l’eau dans ses bassins… pendant que d'autres se gavaient en toute impunité un peu plus bas !

Tout le monde n’a décidément pas la même vision du partage de la ressource et de la préservation d’un minimum de biodiversité aquatique...

Débits du Touyre à Lavelanet et Léran en août 2022 (données Hydroportail)
Débits du Touyre à Lavelanet et Léran en août 2022             
                       (données Hydroportail)

 

A propos de l'auteur

Philippe Baran est né en 1968 à Bourges. Il a passé ses jeunes années avec son frère les pieds dans les petits ruisseaux de la Champagne Berrichonne et de la Loire. Il a…