Halieutisme et dév. durable (2/3) : l'halieutisme a-t-il un coeur écologiste ?

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Petit pêcheur deviendra grand, à sa manière, accompagné par sa famille, ou avec des amis, ou grâce à son école de pêche. La pêche est une école buissonnière où chacun développe sa propre sensibilité à la nature. Un cincle plongeur qui marche au fond de l’eau, une loutre qui ondule entre les rochers, une éclosion d’éphémères soudaine, ce foisonnement de vie nous en apprend encore même avec les années, et nos chers poissons seront toujours capables d’adaptations pour nous surprendre à la pêche. Parfois c’est aussi la désillusion, lorsque le ruisseau s’ensable, que les truites se raréfient, voire que la rivière tarit. Nous assistons aujourd’hui, en tant qu’amoureux de toute cette nature aquatique, à des changements qui nous perturbent et qui sèment un joyeux désordre dans notre monde halieutique. Remettons les choses à leur place.

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Du poète au scientifique en passant par le pêcheur naturaliste

La poésie, nous en avons tous un peu quand on se passionne pour la pêche. A la fois chez les chapeaux à plumes, chez les streeters en short, ou encore chez les toqueurs qui ne jurent que par la mouche noire (de vrais puristes qui gardent des secrets étonnants !). Je côtoie et fais un peu partie de ces trois catégories et me permet donc cette dérision. Dans tous les cas, la pêche éveille inévitablement nos aspirations (ou inspirations) naturalistes.

Cette magie de la nature, singulière parfois, racontée entre pêcheurs, construit notre diversité par les cadres si différents que l’on rencontre, et nourrit sur le fond une cohésion entre camarades dont nous avons besoin pour parler d’une seule voix. Notre organisation de la pêche n’a rien de poétique et ne peut pas plaire à tout le monde, mais son rôle est indispensable pour relayer la voix des pêcheurs et le faire à bon escient.

Certains militants de l’antispécisme, brandissant la sentience [1], veulent depuis quelques temps faire interdire la pêche à Paris. Face aux critiques nous devons développer un bon sens avisé, être soutenus par nos élus, et peut être tenter d’apporter de vrais connaissances sur la pêche à la ligne à ces militants. Soyons clairs, les milieux aquatiques ne dépendent pas de nous. En revanche, notre présence quotidienne au bord de l’eau est clairement un atout pour la préservation et la protection des rivières, des lacs et des zones humides qui les bordent. Au-delà de cet exemple de Paris, nous pêchons certainement en communication alors que nous sommes les premiers lanceurs d’alertes sur les milieux aquatiques. C’est une nécessité pour nous de les préserver si l’on veut que nos enfants continuent de prendre autant de plaisir que nous au bord de l’eau. Un effort de pédagogie ne ferait pas de mal à notre image qui se défait difficilement du pâté/vin rouge, plus que réducteur non ?

C’est ce qui rapproche indéniablement l’halieutisme de l’écologie. Nous sommes à peu près les seuls à avoir un regard sur ce qui se passe sous l’eau, que ce soit grâce à nos captures de poissons ou par des inventaires scientifiques (pêches électriques, inventaires d’invertébrés, plongées) conduits la plupart du temps par nos fédérations départementales.

Les milieux aquatiques sont le réceptacle de tout ce qui se passe autour, ou au contraire le premier bol à se vider quand les usages sont excessifs en amont.

Dans ce contexte particulier, le pêcheur est le premier observateur des dérèglements qui se produisent mais ce n’est pas suffisant. Pour être crédibles devant les institutions ou face à certains discours, nous avons besoin d’une caution scientifique. C’est précisément ce qui se passe (ou devrait se passer) dans nos fédérations départementales qui emploient des hydrobiologistes. Ces personnes ressources sont rares au niveau des services de l’Etat et sont peu ou pas présentes dans les structures gestionnaires des cours d’eau et des bassins versants. Nous sommes potentiellement les premiers référents sur les écosystèmes d’eau douce, spécialistes des poissons et actuellement attelés un peu partout en France à étudier les conséquences du réchauffement climatique sur nos cours d’eau. La carte de pêche sert aussi à financer pour partie ces spécialistes employés de la pêche associative.

[1] Capacité d’un être vivant à ressentir la douleur et le plaisir, à éprouver des choses subjectivement. La sentience est une caractéristique graduelle, ce qui signifie qu’il y a plusieurs niveaux de sentience.

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Les scientifiques des fédérations de pêche : pierre angulaire de la protection des milieux aquatiques
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Une logique de « protection » qui a dérivé

La plus petite échelle de l’organisation associative de la pêche de loisir est l’AAPPMA. Tout est dans le nom : Association Agréée pour Pêche et la Protection des Milieux Aquatiques. Nous sommes reconnus d’utilité publique par l’Etat et agréés au titre de l’Environnement.

La première question que l’on devrait se poser est la suivante : où en est-on de la protection des milieux aquatiques ?

Lorsque l’on achète sa carte de pêche, comme énoncé plus haut, il faut déjà prendre conscience que l’on participe indirectement à cette tâche. On finance ainsi des hydrobiologistes dont le rôle est de fournir de vraies informations scientifiques (veille scientifique sur des stations de cours d’eau témoins, suivis thermiques, inventaires piscicoles…) et une analyse rigoureuse quant à divers projets de développement halieutique ou de restauration de milieux. Je préciserai une fois de plus que notre système associatif est malheureusement à plusieurs vitesses, et qu’il dépend des décisions de nos élus associatifs. Cela soulève également la question de l’investissement personnel : nos représentants d’AAPPMA sont en effet élus aux assemblées générales par les détenteurs de la carte de pêche (dans l’AAPPMA en question), qui choisissent les membres du conseil d’administration, qui lui-même désigne les membres du « bureau » de l’association, composé notamment d’un président. C’est un système qui a tendance à être un peu lent à évoluer.

Sans revenir sur les évolutions induites par la Loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques de 2006 qui a remodelé l’organisation de la pêche en France, nous bénéficions de ce privilège depuis longtemps notamment par le passé au travers du Conseil Supérieur de la Pêche. Nous avons agi pendant plusieurs décennies sans nous rendre compte de nos dérives : pour répondre au problème de la raréfaction des poissons, nous en ajoutions, c’était simple et efficace. Cela répondait en l’état des connaissances à cette problématique qui était en réalité plus liée à la dégradation des milieux aquatiques.

Petit à petit nous avions adopté un modèle où le pêcheur était devenu un consommateur de poissons : la production massive de truites en pisciculture était alors un moyen de satisfaire des pêcheurs gourmands adeptes de la pêche facile. Les conséquences sur les mentalités des pêcheurs se font ressentir aujourd’hui lorsque certains pensent que le prix de leur carte de pêche correspond au poids de chair saumonée dégusté durant la saison de pêche. Le problème ce n’est pas l’alevinage en lui-même, c’est le fait qu’il soit devenu systématique et une habitude pour certains pêcheurs.

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Le pêcheur assidu, véritable sentinelle de nos milieux aquatiques
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Notre regard s’est éloigné de nos perspectives de protection des milieux aquatiques et de sentinelle. Le dérèglement climatique augmente aujourd’hui de manière importante la pression exercée par notre société sur nos cours d’eau et nos plans d’eau. Le calcul est simple : avec autant d’activités industrielles, agricoles, touristiques, domestiques autour de nos milieux aquatiques, mais moins d’eau, c’est inévitablement l’écosystème de la rivière qui souffre et se transforme.

Notre condition de pêcheur est hors du commun en France : nous avons la possibilité de pêcher des milliers et des milliers de kilomètres de cours d’eau dans presque toute la France avec une seule carte de pêche. Or, tout notre système associatif et cette passion commune pour la pêche reposent sur la qualité des écosystèmes aquatiques. Nous détacher du modèle de suralevinage était une nécessité. Notre monde halieutique est intimement lié à l’écologie et il est dangereux pour l’avenir de la pêche de loisir de l’oublier. Il était urgent de prendre conscience que nous n’étions plus des acteurs de la protection des milieux aquatiques.

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Les choix de gestion permettent de capturer des truites de qualité sur le territoire français
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Rester acteur du débat public

Il est clair que nous ne sommes pas les seuls garants de la préservation des écosystèmes aquatiques. Nous avons aussi besoin d’une eau de qualité pour que l’eau soit moins coûteuse à rendre potable, et pour que nos « eaux de baignades » restent baignables. Depuis 2006, la France a traduit en droit français la Directive Cadre Européenne sur l’Eau qui énonce la ligne de conduite à tenir en termes de qualité des eaux. Depuis peu, l’Etat a rendu obligatoire la gestion des milieux aquatiques par les collectivités locales qui doivent s’organiser au sein de bassins versants cohérents pour mettre en œuvre cette compétence. Ainsi, des syndicats regroupant des communes (voire des communautés de communes, ou d’autres types de groupements des collectivités) s’organisent partout sur le territoire. Ils sont nommés le plus souvent « syndicats de rivière » ou « syndicats de bassin ».

La pêche associative est un acteur parmi d’autres des bassins versants. Certaines AAPPMA, déjà réunies au sein d’un bassin versant commun, font preuve de cohérence pour devenir des interlocuteurs privilégiés de ces syndicats. « Parler d’une seule voix » : avec un soutien scientifique des hydrobiologistes de leur fédération départementales, ces AAPPMA donnent une voix audible et crédible aux pêcheurs. Dans le débat de la gestion des milieux aquatiques organisé par ces syndicats, certains acteurs font preuve d’efficacité et d’influence… et la pêche associative ?

Le milieu agricole est en ce sens très bien organisé. Pour exemple, l’actualisation de la cartographie des cours d’eau a été assez représentative de l’efficacité de leur organisation. Les pêcheurs, censés être les premiers à pratiquer les cours d’eau, ont été peu ou pas sollicités en réponse à de nombreuses erreurs plus ou moins volontaires sur les nouvelles cartes: de nombreux ruisseaux ont tout simplement disparu des cartes. La réglementation s’appliquant à proximité des cours d’eau (bandes enherbées par exemple) n’est plus applicable si le ruisseau n’existe plus sur les cartes. Cela ne veut pas dire que les agriculteurs ont de mauvaises intentions, mais que les écosystèmes aquatiques in situ et en aval courent un risque supplémentaire vis-à-vis des traitements ou épandages agricoles. C’est un peu l’indice criant de notre retard vis-à-vis des institutions et des collectivités locales sur le volet de la protection des milieux aquatiques. Les institutions comme les Agences de l’Eau, les Syndicats de bassin ou de rivières, et les services de l’Etat devraient avoir besoin des pêcheurs au travers des compétences des fédérations et du relais local de leurs AAPPMA, en nous considérant comme crédibles, cohérents et présents sur le terrain.

Du pêcheur naturaliste aux institutions de gestion de nos milieux aquatiques, le lien n’est pas si évident au départ. Les missions de nos AAPPMA et les compétences de nos fédérations de pêche constituent pourtant un fondement qui permettrait à la pêche associative d’apporter son expertise aux syndicats gestionnaires.

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Un peu d’autocritique ?

Nous, pauvres pêcheurs devant l’éternel tumulte des eaux et de la passion, sommes-nous si vertueux ? Savoir se remettre en question et avancer, quelques exemples sur le tas…

  • Sur un lac où chaque jour de l’année, 3 bateaux à deux pêcheurs en moyenne fréquentent le site. Chaque pêcheur laisserait en moyenne 30g de plomb au fond de l’eau (chiffres imaginaires pour l’exemple). En une année, le lac se retrouverait avec 657kg de plombs sur le fond. Quelque soit la surface du lac, c’est une quantité de plomb considérable pour le milieu.
  • Les leurres souples perdus puis gobés par les poissons causent leur mort.
  • Nous laissons des kilomètres de fils dans l’eau ou au bord de l’eau, volontairement pour certains ! Et les produits de flottaison des soies.

Je pense aussi à ceux qui s’imaginent ne pas faire de dommage à un poisson en le capturant : durée du combat, nature et taille des hameçons, mode de sortie de l’eau, durée de la prise photo... Cela ne remet pas pour autant en cause notre passion pour les poissons et la pêche. En tant que pêcheur, je suis un préleveur potentiel, qui joue son rôle de prédateur avec des techniques évoluées, et qui a la chance de pouvoir choisir de relâcher ses prises. Dans la nature, les prédateurs ne s’apprécient pas souvent : le loup tue le renard (est-ce qu’il le mange ?), le renard tue le chat (est-ce qu’il le mange ?), le chat joue avec la souris à l’agonie... Le vegan ou le militant antispéciste adore le chat ! Aussi compliqué à expliquer que le fait de capturer un beau poisson et de prendre ensuite plaisir à le relâcher, j’ai du mal de mon côté à concevoir que la critique émane de personnes qui ont un amour démesuré pour le chat, pourtant si cruel et ingrat. Tentons une autocritique avant de militer…

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Le réveil de la force des pêcheurs ?

Au sein du monde de la pêche, la protection des milieux aquatiques a semblé plutôt silencieuse durant plusieurs années. Peut être était-ce en raison d’un manque cruel de cohérence dans notre gestion halieutique où les empoissonnements généralisés (sorte de clientélisme déconnecté de l’intérêt pour la qualité des milieux) avait du mal à être justifiés scientifiquement. Actuellement, un virage est pris progressivement, produisant des extrêmes du « No-Kill » ou des défenseurs acharnés de la truite « de bassine », mais c’est peut être le signe d’une prise de conscience plus modérée. La multiplication des actions en faveur des pêcheurs témoigne aujourd’hui d’un certain dynamisme en réponse à la baisse inquiétante des ventes de cartes de pêche. On observe de nombreux aménagements de parcours de pêche, des travaux de restauration de milieux aquatiques, et bien d’autres actions à l’initiative des pêcheurs. Même si elles ne sont pas parfaites, ces initiatives font preuve d’un engagement pour l’avenir de nos milieux aquatiques et pour celui de nos futurs pêcheurs.

Avec un fondement écologiste, sans lequel nous n’avons pas de raison d’exister, et notre désir d’halieutisme, qui nous donne l’envie d’avancer, de nous retrouver pour faire vivre nos associations, le développement halieutique actuel induit une demande croissante d’arguments scientifiques : sur les populations de poissons, leurs évolutions, sur les espèces (nouvelles notamment), leur gestion, sur l’état des milieux aquatiques, leur capacité de production, le changement climatique, etc.

Cette dualité entre écologie et halieutisme, l’un servant les intérêts de l’autre est une prise de conscience récente du monde de la pêche. Leur convergence se produit par la force des choses, grâce à l’inquiétude suscitée par la baisse des effectifs de pêcheurs. Gardons l’esprit ouvert et évitons les dérives extrêmes pour être en capacité de répondre à ceux qui veulent décrédibiliser la pêche de loisir, mais surtout avançons pour rester les premiers acteurs référents de nos territoires sur les écosystèmes aquatiques. 

Nous sommes la 2ème fédération sportive de France, avec un poids économique considérable et des ressources humaines importantes, mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire.

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A propos de l'auteur

Originaire du sud-ouest, entre les Landes et les Pyrénées, Romain est l’un de ceux qui ont été piqués par la passion de la pêche sans pour autant être entourés de…