J’ai 8 ans, j’enfile mes bottes pour partir à la pêche. A cette époque je découvrais ce loisir, prenant, intrigant, mystérieux. Cette envie de me retrouver au bord de l’eau dans une insouciance parfaite me permettait de m’évader. Qu’y-a-t-il sous l’eau ? Où se cache le poisson ? Mes rêves portés par les images de mes premières revues de pêche, ces truites énormes, ces brochets majestueux, dans des paysages somptueux, m’accompagnent encore. Tout est plus incroyable au travers du regard d’un enfant. Un seul poisson peut vous marquer à vie et entretenir en vous l’envie de retourner pêcher. Mais la dégradation profonde du ruisseau de l’enfance peut aussi avoir raison de nos rêves et nous amener à mettre nos cannes au placard.
En réalité aujourd’hui, le pêcheur a-t-il une âme écologiste ? Se préoccupe-t-il de la qualité de sa rivière ou de son lac ? Qui suis-je en tant que pêcheur et à qui suis-je rattaché ? Notre gestion halieutique est-elle respectueuse de l’environnement ?
Le sujet de l’écologie à la pêche est extrêmement vaste tant il soulève de questions sur le pêcheur lui-même, son comportement, et sur la gestion mise en œuvre à plusieurs des niveaux associatifs auxquels nous sommes inévitablement rattachés par notre carte de pêche.
De la gestion halieutique à l’écologie, le petit pas vers le développement durable
La gestion halieutique, la gestion de la pêche, a pour finalité le contentement de ses adhérents, c’est à dire des pêcheurs qui achètent leur carte de pêche. A l’évidence il est souhaitable de maintenir voire développer les effectifs de pêcheurs pour préserver nos moyens d’actions : animations, veille scientifique, valorisation des parcours, aménagements, protection des milieux, développement, etc. Le changement rapide de société et les évolutions culturelles que l’on connait aujourd’hui ont aussi une influence sur ce que recherche le pêcheur, et les gestionnaires ont le devoir d’identifier ces changements et de s’y adapter au plus vite pour suivre les tendances.
Pourquoi maintenir nos effectifs ou tenter de les augmenter ?
Je suis moi-même un ours qui n’aime pas la concurrence à la pêche ! Pourtant, en prenant part au débat halieutique, on prend conscience des mécanismes et des enjeux qui conditionnent au bout du bout, notre qualité de pêche. Lorsque nos représentants tiennent la route, les pêcheurs de loisir sont relativement bien entendus, à condition qu’ils s’expriment ailleurs que sur les réseaux sociaux (aux assemblées générales par exemple). Nous sommes par le biais de nos représentants des acteurs à la fois de la vie locale mais aussi du développement du territoire.
Or en ce sens, la pêche de loisir s’inscrit parfaitement dans le développement durable puisqu’elle y répond : aspect social, écologique et économique. Elle intervient à un niveau local bien entendu, puis territorial dès que l’on y intègre un volet touristique. Elle est éminemment sociale par toute la vie associative et le dynamisme événementiel qu’elle apporte, et économique par les retombées directes ou indirectes qu’elle produit. Quant à son volet écologique, nous en sommes tout simplement dépendants, il s’agit pour nous d’une nécessité que nous devons prendre en compte en toute intelligence.
Se professionnaliser pour être crédibles
Bien évidemment, lorsque nous sommes mal représentés rien ne va plus… Je ne m’y attarderais pas, on le sait tous. En revanche, la force de la pêche associative réside dans ses fédérations départementales, disposant d’une bonne échelle géographique vis-à-vis de nombreuses institutions départementales et régionales. Elles ont la capacité de proposer des projets halieutiques conçus sur le modèle du développement durable, modèle qui se généralise en réaction à des erreurs du passé. Nos élus représentent plusieurs milliers de pêcheurs, c’est un poids non négligeable, et ils portent la voix de projets conçus par des équipes salariées. Cette force émane du lien unique qui existe entre professionnels de la pêche de loisir et bénévoles dont le soutien est indispensable.
Une fédération bien structurée peut disposer de nombreuses compétences au sein :
- D’une cellule scientifique, assurant une veille scientifique sur les milieux aquatiques (hydrobiologistes), un rôle de conseil et parfois de recherche, des actions de sauvetage des poissons...
- D’une cellule de développement accueillant des animateurs, chargés de communication, chargés de développement halieutique…
- D’une direction dont le rôle n’est pas anodin aujourd’hui, puisqu’elle est en capacité de faire le lien entre les différents services et apporte sur la table de nos élus des propositions concrètes, étayées et cohérentes.
Je peints là le tableau d’une structure un peu idéale mais tout à fait plausible. Le professionnalisme apparaît comme LA clé qui permettra au monde associatif de la pêche d’être entendu et de défendre ses intérêts. Pour aller plus loin, je dirais également qu’il est important que les personnes qui travaillent pour les pêcheurs puissent comprendre un minimum leur passion, voire même qu’ils soient pêcheurs eux-mêmes.
Toute la difficulté de la pêche associative réside dans le fait que notre loisir est extrêmement diversifié. On compte environ 1,6 millions de pêcheurs plus ou moins assidus en France, toutes techniques et espèces recherchées confondues : autant de raisonnements, de gestionnaires et d’élus des 94 fédérations départementales et des 3700 AAPPMA qui représentent les pêcheurs. Difficile de contenter tout le monde et le fossé est parfois immense d’un département à l’autre, d’où l’importance de la professionnalisation des compétences.
Se tourner vers les jeunes, la base du développement durable de notre loisir
Je vis dans l’Aveyron et je me réjouis aujourd’hui de voir ce que la Fédération de pêche a réalisé en 15 ans pour nos jeunes pêcheurs. La professionnalisation de leur service animation a constitué un tournant majeur de la pêche dans le département. L’Ecole Fédérale de Pêche de l’Aveyron fait l’unanimité auprès des pêcheurs mais pas seulement. En se tournant vers les jeunes, la Fédération a donné à la pêche dans l’Aveyron une véritable reconnaissance auprès du grand public et des institutions. Ayant démarré avec un seul animateur, l’Ecole Fédérale de Pêche de l’Aveyron est aujourd’hui extrêmement dynamique :
- 4 animateurs diplômés à temps plein et 1 poste saisonnier par an.
- 150 établissements touchés (écoles, centre de loisirs, centres de vacances, etc.)
- 5000 jeunes sensibilisés.
- 900 animations par an à la découverte de toutes les techniques de pêche et d’un grand nombre d’espèces de poissons du bord ou en bateau, sensibilisations aux écosystèmes aquatiques, camps de vacances, etc.
- 2 bateaux aménagés bass-boat pour les grands lacs dont un adapté aux personnes à mobilité réduite.
- Un budget à l’équilibre entre chiffre d’affaire et subventions de la Fédération Nationale de la Pêche en France.
- Des partenariats avec les syndicats de rivière, l’Agence de l’Eau Adour Garonne, la Région Occitanie, le Comité Handisport de l’Aveyron, etc.
Depuis plusieurs années déjà, elle travaille en étroite collaboration avec l’éducation nationale. Elle fait non seulement de la découverte de la pêche de loisir, mais propose aux scolaires une sensibilisation aux écosystèmes aquatiques adaptée aux différents programmes scolaires. Grâce aux jeunes la boucle est bouclée : ils découvrent les milieux aquatiques, leur fragilité, la vie qui s’y trouve, les poissons, et s’initient à la pêche avec des bases saines sur la préservation de l’environnement.
Que demander de plus ? En se tournant vers les jeunes pêcheurs, la pêche associative cible le long terme, à condition que l’on dispose de professionnels diplômés. Être animateur pêche est un métier à part entière, qui nécessite de se former (BPJEPS pêche de loisir) et demande un minimum de connaissances sur les milieux aquatiques. Les bénévoles accompagnent les animateurs et apportent leur aide à l’encadrement. Le plaisir est partagé et l’école de pêche rassemble ainsi de nombreux bénévoles dont la participation est essentielle. Pour les pêcheurs en herbe, ce type d’école de pêche offre l’opportunité de vivre de vrais moments de pêche qui leur laisseront des souvenirs impérissables. La base du développement durable de la pêche se trouve dans les futures générations, dans l’accompagnement de nos jeunes pêcheurs.
Dans ce cadre-là, payer une carte de pêche en sachant ce qu’elle permet d’offrir à nos enfants ne me semble pas un problème. Le monde associatif de la pêche est loin d’être parfait. Il est souvent lent à réagir, et gangréné par certains élus en place qui ont perdu l’essentiel : faire avancer la pêche associative et préserver nos milieux aquatiques.
Nous faisons pourtant inévitablement partie de ce milieu associatif et c’est aussi à nous d’y participer. Au-delà des questions d’empoissonnements ou de réglementation, avoir une réflexion sur le développement durable et la gestion de la pêche nous amène à penser à nos futurs pêcheurs, à nous engager sur la voie d’un développement halieutique durable. Nous avons à disposition avec une seule carte de pêche des milliers de kilomètres de cours d’eau, d’hectares de lacs, et beaucoup de jeunes qui ont besoin qu’on les y accompagne.
Ce sont aussi des lieux fragiles et parfois menacés par le dérèglement du climat. Les protéger est bien entendu dans notre intérêt et dans celui des générations futures…
RETROUVEZ LES 3 VOLETS DE LA SÉRIE "ÉCOLOGIE ET HALIEUTISME" :
Part. 1 : Une convergence évidente