Code de l’environnement, vides juridiques et veille réglementaire

Code de l’environnement

La dernière fois, j’avais promis qu’on parlerait de poisson dans mon article suivant, et bien c’est encore raté... En plus on ne parlera même pas de paysage ou d’actions de restauration cette fois-ci. Pourtant croyez bien que le thème abordé dans cet article, tout obscur et peu séduisant qu’il soit pour la plupart d’entre nous, revêt une importance capitale pour les milieux naturels. Pour la Nature en fait, il n’y a pas que l’eau et les poissons rappelons-le. Aussi une fois n’est pas coutume nous allons parler dans Truites & Cie d’outils réglementaires (c’est pas sur n’importe quel blog qu’on trouve des sujets aussi chiants pas vrai ?). L’outil en question, la plupart des lecteurs en auront un jour entendu parler, est le Code de l’Environnement. Ce gros pavé que l’on peut consulter sur Legifrance et qui prend un malin plaisir à jouer avec les neurones de ceux qui s’y plongent. Très brièvement nous aborderons donc son rôle et enchaînerons vite sur le cœur de cet article, un vide juridique qui interpelle grandement et nous pose question sur les moyens que l’Etat souhaite réellement accorder à la protection des milieux aquatiques. Ambiance.

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Le Code de l’Environnement, c’est quoi ?

Le but ici n’est pas d’entrer trop dans le détail car je n’ai déjà pas les compétences pour cela et parce que ce n’est pas le fond du sujet. Le Code de l'Environnement (CE), c’est en gros le regroupement de l’ensemble des textes juridiques qui concernent le droit de l’environnement.

Créé en 2000, c’est aujourd’hui un outil essentiel pour les différents acteurs de l’environnement dès lors qu’il s’agit de se référer à la loi. Par exemple c’est lui qui fixe les conditions d’exercice du droit de pêche. C’est également dans le CE que l’on trouvera les dispositions et procédures à suivre dans le cadre de travaux à mener en cours d’eau, les obligations pour les Installations Classées au Titre de la Protection de l’Environnement (ICPE), etc... Bref, vous l’aurez compris, le Code, c’est la base d'à peu près tout ce que l’on a le droit ou pas le droit de faire dans l’environnement.

Seulement voilà, ce document n’est pas sans faille et on arrive au sujet de l’article qui devrait, je pense, intéresser un certain nombre de gestionnaires et de lecteurs soucieux de la protection des milieux aquatiques.

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Code de l’environnement
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Distances d’épandage et vides juridiques

Il semblerait que la notion de vide juridique n’existe pas dans le droit français, néanmoins je trouve que le terme décrit assez bien la situation que je vais vous exposer. Par vide juridique on entendra donc ici, l’absence de règle permettant d’encadrer une situation basée sur un texte de loi.

C’est donc au début de l’automne que cette idée d’article est née. Dans le cadre de mes fonctions j’ai été alerté par un collègue d’un épandage de fumier en bord de cours d’eau. La faible distance entre la limite de l’épandage et les berges lui posait question. Après échange avec d’autres confrères et une petite prise de contact auprès de l’Office Français pour la Biodiversité, j’apprends avec stupeur que les distances d’épandage ne relèvent pas de leur compétence… Bon… Une fois la première stupeur passée, je sors l’exemplaire du CE qui trône sur ma table de nuit et je me jette dans la recherche des textes de loi encadrant les pratiques d’épandage.

Attention, ça devient velu. 

Au sujet des « Effluents d’exploitations agricoles », les articles R211-52 et R211-53 stipulent respectivement que :

  • R211-52 :

« Les épandages d'effluents d'exploitations agricoles doivent être effectués à des distances minimales par rapport :

1° Aux berges des cours d'eau, aux lieux de baignade et plages, aux piscicultures et zones conchylicoles, aux points de prélèvement d'eau, pour assurer la préservation des eaux superficielles et souterraines et le maintien de l'usage qui est fait de ces eaux ;

2° Aux habitations et aux établissements recevant du public pour protéger la salubrité publique et limiter les nuisances olfactives. »

  • R211-53 :

« Un arrêté pris conjointement par les ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé, après avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et du Comité national de l'eau, fixe les règles techniques d'épandage à respecter, les mesures nécessaires à la préservation des usages auxquels sont affectés les terrains faisant l'objet d'un épandage d'effluents agricoles et de la qualité sanitaire des produits destinés à la consommation humaine qui en sont issus. Il fixe également les distances minimales prévues à l'article R. 211-52. »

En résumé, le R211-52 prévoit bien l’instauration de distances minimales d’épandage par rapport notamment aux berges des cours d’eau (pour ne citer que cet exemple). Le R211-53, de son côté, précise qu’un arrêté ministériel est chargé de fixer les distances d’épandage prévues par le R211-52.

Très bien, cherchons le fameux arrêté en question… Et là, j’aime autant vous dire que vous avez plus de chance de trouver un Apron sur le Léguer que l’arrêté en question car celui-ci n’existe tout bonnement pas.

Suite à ces remarques, l’Office français de la Biodiversité (OFB) a bien confirmé l’absence de l’existence de cet arrêté. Autrement dit, il est prévu dans le Code de l’Environnement d’instaurer des distances minimales mais celles-ci ne sont pas fixées ! Par conséquent, l’OFB ne peut pas intervenir comme elle le ferait dans le cas d’épandages sur sol gelé ou enneigé, comme prévu dans l’article R211-51 par exemple.

Voilà, on est arrivés au cœur de la notion de vide juridique, sur un sujet d’importance pour les cours d’eau, a fortiori dans le contexte karstique du massif Jurassien (je renvoie les intéressés à l’étude menée par le laboratoire Chrono-Environnement CNRS-UFC « Étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants »).

Naturellement cette problématique ne concerne pas que ce territoire mais l’ensemble du pays.

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Des pratiques encadrées au niveau départemental

Et pourtant il s’avère que ces pratiques peuvent être encadrées, à des niveaux divers selon les départements, par un autre document : le Règlement Sanitaire Départemental (RSD).

Ce document, prévu par le Code de la santé (qui n’est pas sur ma table de nuit mais sous mon oreiller) est un outil au service des autorités locales (les maires par exemple) pour leur permettre d’assurer la salubrité publique et de contrôler le respect des règles générales d'hygiène. 

Celui-ci est adopté par arrêté préfectoral et comporte notamment une section sur les distances d’épandage. Cette section reprend bien sûr les prescriptions du CE (en clair, on ne peut qu’être plus restrictif que les mesures prises par le CE) et stipule par exemple dans le RSD du département de l’Ain :

« ART 159. - EPANDAGE (modifié par l’arrêté préfectoral du 14 février 1985)

Sans préjudice des réglementations en vigueur, les dispositions du présent article s’appliquent aux substances organiques susceptibles de constituer un danger direct pour la santé publique, tels que : lisiers, purins, fumiers, déchets solides d’animaux et plus généralement, aux eaux résiduaires des établissements renfermant des animaux, boues de stations d’épuration, matières de vidange, jus d’ensilage et résidus verts ainsi qu’aux eaux résiduaires d’origine domestique.

159_1 – Dispositions générales (complète l’article 3 du décret 96-540 du 12 juin 1996)

 L’épandage de telles matières devra satisfaire aux prescriptions générales ou particulières relatives aux périmètres de protection des sources, puits, captages ou prises d’eau.

Il est, en outre, interdit à moins de 35 mètres :

- des puits et forages,

- des sources,

- des aqueducs transitant des eaux potables en écoulement libre,

- de toute installation souterraine ou semi enterrée utilisée pour le stockage des eaux que ces dernières soient destinées à l'alimentation en eau potable ou l'arrosage des cultures maraîchères,

- des rivages,

- des berges des cours d'eau.

- dans les périmètres immédiats et rapprochés définis par les rapports géologiques de protection des captages d’eau destinée à la consommation humaine. »

Dans le département de l’Ain donc, et dans beaucoup d’autres, l’épandage des produits issus d’exploitations agricoles est donc interdit à moins de 35 mètres des berges des cours d’eau (et de bien d’autres lieux).

Mais alors, si l’OFB n’a pas la compétence d’intervenir dans le cadre de ce document, qui peut intervenir ?

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Quels moyens donnés à la protection de l'environnement en France ?

Le respect du RSD est donc l’apanage soit des services de police et de gendarmerie du secteur, soit de l’Agence Régionale de Santé. Et c’est là que le bât blesse... je doute que beaucoup de brigades de gendarmerie ou de police municipale soient ne serait-ce qu’au courant de leur rôle sur ce sujet (à quelques exceptions près peut-être). Je doute également que ce soit un enjeu majeur pour l’ARS qui a sans doute, et encore plus avec le climat actuel, d’autres thématiques d’ampleur à traiter.

Retour donc à la case départ, une situation et des pratiques aux impacts non négligeables pour les milieux aquatiques, des articles de loi, un vide juridique et donc l’impossibilité pour une institution (l’OFB), dont les affaires d’atteinte à l’environnement sont le cœur de métier, d’intervenir.

Le tableau est dressé et le constat n’est pas satisfaisant. A notre échelle de lecteurs, de passionnés, de pêcheurs du dimanche, de ramasseurs d’écrevisses ou de professionnels des métiers de l’environnement, que pouvons-nous faire ?

En premier lieu chacun peut faire remonter auprès des élus locaux leur rôle, tant en matière de protection de la santé publique que de préservation de leur patrimoine naturel.

Dans un second temps je crois que les professionnels doivent faire jouer le poids de leurs réseaux en remontant par exemple l’information auprès des services préfectoraux, auprès également des conseillères et conseillers départementaux,...etc.

Pour les FDAAPPMA, puisque l’actualité parle beaucoup de leur rôle, elles doivent faire remonter ensemble (pas de manière isolée) ces problématiques au service juridique de la FNPF.

Bien entendu je suis conscient que cette problématique d’épandage est loin d’être la seule menace pour les milieux aquatiques (je précise ça pour les énervés du clavier qui crieront à l’agribashing et alerteront la cellule Déméter... je vous embrasse fort).

Si j’ai tenu à écrire cet article, c’est bien parce que cette situation est symptomatique de la réalité de la protection de l’environnement en France, de beaux objectifs sur le papier, de belles volontés en réunion mais une réelle absence d’outils et de moyens sur le terrain pour la mettre en œuvre.

Madame la Ministre de la Transition écologique, j’espère que ces quelques lignes vous interpelleront sur le rôle de votre ministère en matière de préservation de l’environnement, rôle qui commence par un réel effort de cohérence dans l’application des lois. Mais attention, un simple courrier ne suffit pas, à bon entendeur, salut.

Promis la prochaine fois on parlera de poissons.

A propos de l'auteur

Né dans le département de l’Ain, Quentin a commencé comme beaucoup à pêcher les vairons en compagnie de son grand-père et de son père. Les vacances en caravane au Vigan…