Connaître, comprendre et gérer n°4 : le bassin versant (2/2)

bassin versant

Dans l’article précédent nous avons pu voir ensemble ce qu’était un bassin versant et la nécessité de le considérer comme entité cohérente de gestion pour les milieux aquatiques.

Nous avons également rappelé que chaque cours d’eau était différent et qu’un certain nombre d’indicateurs permettent de les décrire. Parmi eux, la température, la pente et d’autres variables, font évoluer les cours d’eau et par conséquent les espèces animales et végétales qui les composent.

L’étude de certains peuplements permet d’ailleurs de mettre en évidence des potentiels dysfonctionnements du milieu, liés à des impacts, tantôt anthropiques, parfois climatiques.

Pour compléter cette description des bassins versants, nous vous proposons dans ce nouvel article de nous intéresser aux différents types de fonctionnement des cours d’eau et notamment à l’importance de leur capacité à évoluer au fil du temps.

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Dimension transversale

Un cours d’eau ne se limite pas à un fond de vallée dans lequel s’écoule de l’eau. Il est en réalité constitué d’un emboîtement de différentes entités connectées et interdépendantes, qui évoluent et en assurent le bon fonctionnement. Contrairement à la zonation longitudinale des cours d’eau vue précédemment, c’est ici la dimension transversale qui va nous intéresser. Les points suivants sont à considérer comme un ensemble d’entités venant s’emboîter les unes dans les autres :

Le lit mineur

Le lit mineur est sans aucun doute la notion la plus évidente à représenter. C’est l’entité que l’on considère généralement comme étant le cours d’eau. Il s’agit de la place qu’occupe l’eau dans des conditions de débit normales, c'est-à-dire avant qu’un débordement lié à une crue ne se présente. Le lit mineur concentre donc les écoulements durant la majeure partie de l’année.

Au sein du lit mineur, il est possible de considérer une autre entité importante : le lit d’étiage*. Lors des périodes de basses eaux, le lit d’étiage permet de concentrer le peu d’écoulements encore présents et de garantir le maintien d’un milieu de vie aux différentes espèces qui peuplent le cours d’eau. Bien entendu, selon la nature du fond, le profil du cours d’eau ou l’intensité de la sécheresse, il arrive que le lit d’étiage ne soit pas présent ou qu’il n’y ait tout simplement plus assez d’eau pour garantir un écoulement. Dans ces cas-là, les espèces doivent migrer, si elles le peuvent, ou se retrouvent parfois condamnées.

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Lit mineur Moselle
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Lit mineur de la Moselle (54) (source : géoportail.fr)
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La bande active ou espace de mobilité

La bande active est l’espace constitué par le lit mineur et les bancs d’alluvions* plus ou moins végétalisés. Cet espace est régulièrement modifié au gré des crues, même modestes.

Au sein de ces bancs régulièrement remaniés par l’eau, le lit mineur évolue régulièrement et est très mobile. Selon les contextes, la bande active est plus ou moins présente, c’est généralement dans les grandes vallées alluviales que l’on trouve les plus larges d’entre elles. La basse vallée de la Loire en est un parfait exemple.

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Moselle
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Bande active de la Moselle (54) (source : géoportail.fr)
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Le lit majeur

Le lit majeur est, contrairement au lit mineur, en eau seulement une partie de l'année, lors des périodes de crue et donc de débordements. Naturellement, selon les contextes, celui-ci varie énormément d’un cours d’eau à l’autre. Dans une vaste plaine alluviale, le lit majeur peut parfois s’étendre sur plusieurs kilomètres de part et d'autre du lit mineur, quand dans un contexte de gorges, lit majeur et mineur auront des emprises très proches l’une de l’autre.

Le lit majeur est donc l’emprise des débordements du cours d’eau. C’est l’espace dans lequel le cours d’eau va pouvoir dissiper son énergie lors des crues, et cette notion, nous le verrons plus tard dans l’article, est absolument essentielle pour le fonctionnement des cours d’eau. On pourrait donc dire qu’au sein du lit majeur, même les pieds au sec, on marche dans le cours d’eau !

De plus, en débordant au sein de son lit majeur, la rivière, le fleuve ou le ruisseau, alimente une multitude de milieux et d’espèces qui sont dépendants de ses débordements pour l’apport d’eau ou de nutriments. Vous l’aurez compris, comme répété depuis le début de cette série d’articles, la connexion entre les différents milieux et espèces est indissociable de leur bon fonctionnement.

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Lit majeur Moselle
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Lit majeur de la Moselle (54) (source : géoportail.fr)
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Milieux spécifiques au sein du lit majeur : ripisylve et annexes hydrauliques

Parlons justement de ces milieux qui composent berges et lits majeurs des cours d’eau. Parmi eux, la ripisylve, cette frange de végétation arborée bordant le cours d’eau, refuge précieux pour de nombreuses espèces, dont la présence et la santé sont scrutées de près par de nombreux gestionnaires. En effet, la ripisylve apporte de l’ombre au cours d’eau, limitant ainsi le réchauffement lié au rayonnement solaire, mais pas seulement. Les arbres et arbustes qui la composent assurent aussi le maintien des berges et leurs racines offrent caches et nourriture aux espèces aquatiques. Naturellement, les oiseaux et autres animaux non aquatiques tirent eux aussi profit de la présence des arbres et de leurs fruits. La ripisylve rend donc à la rivière et à tout l’écosystème les services que celle-ci lui apporte en eau et en éléments nutritifs.

D’autres milieux riches que l’on peut rencontrer au sein du lit majeur : les annexes hydrauliques. On regroupe généralement sous ce terme les anciens bras du cours d’eau, communément appelés bras morts. Ces milieux témoignent de l’ancien passage du lit mineur et de la mobilité des cours d’eau dont nous parlerons par la suite et se révèlent essentiels pour de nombreuses espèces végétales et animales. Libellules, oiseaux limicoles ou certains poissons comme le brochet apprécient ces milieux d’eau lentique* où ils peuvent venir chercher refuge, nourriture ou lieu de reproduction.

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annexes hydrauliques Moselle
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Annexes hydrauliques de la Moselle (54) (source : géoportail.fr)
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Avec le temps, ces milieux évoluent, se referment et s’assèchent doucement, avant d’être repris par les divagations du lit mineur.

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Lits
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© N. Meynard
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Régime hydrologique

Le régime hydrologique d’un cours d’eau est une variable permettant de décrire l’origine des eaux constituant le débit, ainsi que les variations saisonnières de celui-ci. Ainsi, trois principaux types de régimes hydrologiques sont rencontrés dans nos contrées :

  • Le régime glaciaire,
  • Le régime nival,
  • Le régime pluvial.

Le régime glaciaire

Comme son nom l’indique, il dépend de la présence d’un glacier sur le bassin versant. Cela induit généralement des débits importants en été sous l’effet de la fonte des glaces et très faibles de la fin d’automne au début du printemps. C’est le régime le plus stable d’une année à l’autre, les températures étant l'un des paramètres météorologiques présentant le moins de variabilité interannuelle (du moment que le glacier perdure, bien entendu…).

Le régime nival

Le régime nival se retrouve dans les zones montagneuses où la majorité des précipitations arrive sous forme de neige. La fonte progressive de la neige, qui commence d'abord aux altitudes les plus basses et provoque en général des crues printanières, laisse place à des basses eaux en été. Les variabilités annuelles peuvent être importantes,

Le régime pluvial

Il est dépendant des précipitations sous forme de pluie. De manière générale, on peut décrire une période de hautes eaux en hiver et de basses eaux en été. Les quantités et les périodes de pluie peuvent énormément varier d’une année à l’autre, c’est pourquoi ce régime hydrologique présente une variabilité interannuelle importante. Il est à noter qu’en fonction des contextes géographiques, un cours d’eau peut très bien avoir un régime dit “mixte”, intégrant donc une influence nivale et pluviale, par exemple. C’est le cas de nombreux cours d’eau de piémont, notamment.

Dans le cas de gros cours d’eau ou de fleuve au bassin versant géographiquement varié, on parle de régime hydrologique “complexe”, car cumulant tous les régimes hydrologiques des affluents et sous-affluents. Ainsi, le type de précipitation, l’origine des eaux constituant les débits, ont leur importance dans l’existence des crues et les périodes d’apparition de celles-ci.

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Clarée
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Rivière de régime nival en période d'étiage estival
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Dynamiques fluviales et hydromorphologie

Un cours d’eau est mobile et transporte

Au cours du dernier siècle, l’espèce humaine a mis en œuvre des moyens titanesques pour tenter de réduire les crues, et donc la mobilité des cours d’eau et leur capacité à déplacer des sédiments. Il convient cependant de ne pas oublier qu’un cours d’eau est naturellement mobile et transporte de nombreux matériaux.

Dans cette partie, nous allons décrire l'importance de cette mobilité et du transport sédimentaire. Pour cela, nous vous proposons une approche de la science qui étudie ces phénomènes, appelée l’hydromorphologie.

Nous nous placerons, pour expliquer ces phénomènes, dans le cas d’un cours d’eau libre d’entrave latérale (pas de berge endiguée) ou longitudinale (pas de barrage).

Le premier postulat qu’il faut avoir à l'esprit, est que tout cours d’eau cherche et cherchera toujours à dissiper son énergie. Quoi que l’on puisse tenter pour enrayer ce phénomène, l’énergie se dissipera quelque part.

Pour comprendre cette notion et appréhender la mobilité des cours d’eau, il faut donc s’intéresser aux différentes composantes à l'œuvre.

Parmi elles, la pente du cours d’eau joue un rôle majeur. Prenons l’exemple d’un torrent de montagne : une pente importante, une vitesse d’écoulement élevée. Dans ce cas précis, chacun peut intuitivement imaginer que le tracé du cours d’eau est relativement rectiligne. L’eau ne s’embarrasse pas : la pente est forte, elle va au plus court, tout droit.

Dans ce type de cas, l’espace de mobilité est assez réduit (la bande active et le lit majeur sont presque inexistants du fait de la topographie). Le lit mineur, sauf en cas d’événements hydrauliques exceptionnels, ne bouge presque pas.

Pour dissiper son énergie, le cours d’eau n’a donc pas d’autres possibilités que de transporter énormément. C’est là encore assez intuitif : il est plus difficile de tenir debout dans un torrent avec de l’eau aux genoux que dans un cours d’eau de plaine avec de l’eau à la taille. Il transporte donc des blocs parfois énormes qu’il déposera un peu plus loin, les blocs plus petits seront eux transportés et déposés encore plus loin, là où la pente et donc la puissance des flux seront moins importantes.

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torrent
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Archétype du torrent : forte pente et vitesse de courant, tracé rectiligne
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Descendons un peu sur ce cours d’eau, la pente faiblit progressivement et avec elle, la taille des sédiments transportés. Petit à petit, le tracé du cours d’eau devient plus sinueux, l’eau cherche les zones de pente qui vont lui permettre de s’écouler, la vitesse de l’eau ralentit et le cours d’eau devient plus large et plus profond.

Le cours d’eau arrive dans une vallée plus large et plate. Ainsi, quand survient une crue, il peut déborder. Ces débordements, parfois vus comme une contrainte par les sociétés humaines, sont tout à fait naturels et absolument indispensables. En effet, en débordant, la rivière dissipe son énergie sur le plan horizontal, les flux ne sont alors pas contraints comme dans des secteurs de gorges. Il se forme parfois, dans certaines vallées, des paysages semblables à des lacs, lorsque l’ensemble du lit majeur est sous les eaux. Mais ce flux n’a qu’une vitesse modérée et n’engendre pas de dégâts majeurs.

De plus, ce faisant, l’eau alimente une multitude de milieux humides, riches d’une grande biodiversité et dépendant de ces débordements. Les annexes hydrauliques et prairies humides, qui permettent par exemple au brochet de se reproduire, souffrent gravement de la disparition de ces débordements. Ces débordements ont, en outre, permis l’installation de grandes civilisations sur les bords des fleuves aux terres riches pour l’agriculture grâce aux dépôts de limons. Nous vous renvoyons à vos cours d’histoire du collège et au rôle que jouait le Nil et ses débordements pour les Egyptiens.

En somme, plus nous descendons sur le cours d’eau, plus la pente et la taille des sédiments transportés diminuent. A la fin, le cours d’eau ne transporte plus que des sables ou limons extrêmement fins, cette évolution du milieu a bien entendu un impact sur les espèces présentes (voir notre article précédent). Pour compenser, le tracé en plan s’allonge, des méandres plus nombreux et rapprochés se créent, le lit majeur s’élargit.

Bien entendu le déroulé ci-dessus est assez théorique et tous les cours d’eau n’y obéissent pas strictement, mais les grands principes sont là. Chaque cours d’eau doit naturellement dissiper son énergie, soit en transportant des matériaux, soit en débordant (souvent un peu des deux). Toute tentative pour l’en empêcher aura des conséquences sur son fonctionnement, celui des milieux annexes et des infrastructures humaines (assèchement des zones humides, crues plus violentes et dévastatrices,... etc).

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Lot
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En plaine, la pente et la vitesse diminuent, les méandres apparaissent...
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Des cours d’eau aux visages bien différents

Nous avons vu que le fonctionnement des cours d’eau était une affaire de pente, de transport sédimentaire et de mobilité latérale.

Dans leur ouvrage Eléments d’hydromorphologie fluviale, Jean-René Malavoi et Jean-Paul Bravard décrivent les principaux “styles fluviaux” contemporains d’après ces variables. Ils s’attardent sur les styles fluviaux qualifiés de majeurs, le méandrage et le tressage, mais décrivent aussi des styles fluviaux secondaires (les anastomoses, par exemple).

Afin de ne pas surcharger un article déjà dense, nous ne décrirons ici que les styles fluviaux majeurs (on ne peut cependant que conseiller à ceux qui souhaiteraient aller plus loin de lire leur ouvrage, téléchargeable ici : https://professionnels.ofb.fr/fr/doc-comprendre-agir/elements-dhydromorphologie-fluviale).

Tout d’abord et à de rares exceptions près, les cours d’eau ne présentent jamais de tracé qui soit naturellement strictement rectiligne.

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Rhin
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Modification du lit mineur sur le Rhin (68) (source : remonterletemps.ign.fr)
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Voyez le Rhin à l’époque actuelle aux environs de Mulhouse (à droite) et le Rhin dans les années 1820 sur le même secteur (à gauche) : un bel exemple d’un style fluvial rectiligne et non naturel. Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur ce type de perturbation dans un futur article.

Le méandrage

Un méandre est une sinuosité créée par un cours d’eau, un virage en somme. L’eau cherchant la pente qui lui permet de s’écouler ne peut aller en ligne droite et dessine des méandres plus ou moins serrés en fonction de la topographie. Malavoi et Bravard distinguent plusieurs types de méandres :

  • Les méandres encaissés qui se forment lors de l’émergence d’un massif montagneux qui est alors érodé par le cours d’eau. Leur création est très lente et se fait sur des millions d’années. Ils donnent lieu à des paysages de canyon.
  • Les méandres contraints, plus mobiles que les précédents, mais qui ne peuvent toutefois aller librement car pris dans une vallée dont la roche dure n’a pas (ou peu) été érodée par l’eau.
  • Les méandres libres sont ceux que nous rencontrons la plupart du temps au gré de nos promenades ou sorties pêche. On les retrouve dans des vallées ou plaines alluviales larges, la topographie ne les limitant pas de manière importante. Ils sont très mobiles et peuvent évoluer de manière notable d’une année sur l’autre selon la géologie et les dépôts ou départs d’alluvions lors des crues.

Les méandres sont dépendants du contexte du cours d’eau et peuvent aider à le comprendre. Pour autant, il ne faut pas les prendre comme des éléments figés du paysage (sauf cas particuliers), les méandres bougeant en permanence, à des échelles de temps différentes d’un contexte à l’autre.

Les débordements lors d’épisodes de crues ne suffisent généralement pas à dissiper l’énergie au sein du seul lit mineur. Celui-ci se déplace progressivement, en creusant l’extérieur des méandres (érosion), là où la vitesse de l’eau est la plus importante, et en déposant des matériaux à l’intérieur (sédimentation). Les méandres migrent ainsi progressivement, à des allures plus ou moins importantes selon la nature des sols, le transport sédimentaire et la capacité du cours d’eau à déborder.

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Déplacement d’un méandre ©N. Meynard
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L’érosion créée par l’eau varie de quelques centimètres à plusieurs mètres ou dizaines de mètres par an dans des cas extrêmes.

La mosaïque d’habitats qui naît de la mobilité des cours d’eau est essentielle pour de nombreuses espèces animales et végétales. Cette évolution naturelle peut même d’ailleurs donner lieu à des spectacles impressionnants comme au pont d’Arc sur la rivière Ardèche.

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Pont d'Arc
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Évolution d’un méandre (source : http://www.grandsite-combedarc-ardeche.fr/la-combe-darc/paysage-et-environnement/)
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Le tressage

A l’inverse du méandrage, dont le tracé présente une relative stabilité dans le temps, les cours d’eau en tresses sont constitués de nombreux chenaux extrêmement mobiles. Les crues, même de faible ampleur, suffisent à remodeler le visage des chenaux, et ceux-ci sont donc rarement végétalisés. Le peu de végétation qui peut s’y développer est généralement pionnière et ne peut pas s’installer durablement.

Dans un cours d’eau en tresses, on ne parle donc pas d’îles mais simplement de bancs d’alluvions.

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Bléone
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Tressage sur la Bléone (04) (source : géoportail.fr)
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Les cours d’eau en tresses sont caractérisés par un transport sédimentaire intense, généralement grossier. En période de basses eaux, une grande partie du flux passe sous ces matériaux grossiers, le cours d’eau paraît alors parfois minuscule au milieu d’une large bande active et de nombreux bras asséchés.

L’une des autres caractéristiques des rivières en tresses est de posséder généralement un lit moyen (bande active) quasiment rectiligne, au sein duquel évoluent librement les chenaux. Or nous avons dit précédemment que les cours n’avaient presque jamais de lit naturellement rectiligne. Les cours d’eau en tresses font partie des exceptions (pour la plupart d’entre eux). En effet, alimenté par un fort transit sédimentaire, le cours d’eau cherche à évacuer ses sédiments et emprunte la pente la plus abrupte, en ligne droite. C’est pourquoi le tressage se retrouve généralement dans des secteurs où la pente est encore relativement importante. En revanche, au sein du lit moyen, les chenaux secondaires peuvent, eux, avoir une certaine sinuosité.

En résumé, le tressage est donc la résultante d’une surcharge sédimentaire, le cours d’eau n’arrivant pas à déplacer autant de matériaux que son bassin versant lui en fournit, l’eau est donc poussée sur les côtés, le lit moyen s’élargit et des chenaux secondaires se créent. Cependant, l’évolution d’un cours d’eau en tresses est fortement dépendante des apports solides* du bassin versant et donc de l’occupation des sols (des activités humaines in fine) et il arrive que le style en tresses disparaisse au profit d’un profil plus chenalisé et aux capacités de transport des matériaux plus important. C’est le cas lorsque les apports en sédiments sont réduits (boisement des versants, imperméabilisation des sols) ou que le lit est endigué. Les flux plus contraints augmentent alors en puissance et évacuent les matériaux qui ne parviennent plus (autant) à se déposer.

Nous venons d’introduire la dernière partie de cet article, l’impact du changement d’occupation des sols sur l’évolution des cours d’eau.

Évolution de l’occupation des sols, des paysages et des cours d’eau

Afin de ne pas rendre interminable cet article déjà suffisamment long, nous allons essayer de résumer en quelques exemples concrets les interactions directes qui existent entre l’occupation des sols d’un bassin versant et le visage de son cours d’eau.

Il faut imaginer qu’au fil des temps, la géologie, le climat, la végétation et la disponibilité de l’eau pour les rivières ont fortement changé. Si apprécier ce changement sur des échelles de temps longs est difficile, nous pouvons en revanche plus facilement le faire à l’échelle d’une vie humaine.

Prenons donc une image aérienne de la Valserine dans les années 50-60 et une à l’époque actuelle. En observant le bassin versant, on constate que celui s’est fortement boisé. Dans les années 50, l’élevage est très présent, un peu partout en France, et la population est quasi totalement dépendante du bois pour se chauffer. La forêt française est très sollicitée. Au fil des décennies c’est la déprise agricole, la population rurale diminue, la pression sur la forêt également. Les prairies qui ne sont plus pâturées évoluent en friches puis en forêts, bref le bassin versant se boise jusqu’à arriver à aujourd’hui où celui-ci est principalement forestier.

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Évolution du boisement sur la Valserine (01) (source : remonterletemps.ign.fr)
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Mais alors quels impacts sur le fonctionnement du cours d’eau ?

Si on zoome désormais sur la rivière, on peut observer que la largeur de la bande active était nettement plus importante il y a 70 ans : 50 à 80 mètres en 1950 et à peine 20 mètres en 2020. La bande active s’est contractée, les écoulements se sont regroupés et le tressage certes modeste de l’époque a disparu au profit d’un chenal unique.

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BA Vals
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Évolution de la bande active sur la Valserine (01) (source : remonterletemps.ign.fr)
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Ce changement est directement lié à ceux ayant eu lieu sur le bassin versant :

En se boisant, les coteaux alentour ont vu leurs sols se stabiliser, les arbres les maintenant mieux. Aussi, lorsqu’une pluie intervient, celle-ci érode moins les sols et fournit moins de matériaux au cours d’eau. Petit à petit, le cours d’eau évacue le surplus sédimentaire et se déconnecte des chenaux secondaires, la bande active se contracte et le tressage disparaît.

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Évolution due à l’occupation des sols sur la Valserine (01)
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Ainsi, le changement d’occupation des sols a directement impacté le fonctionnement de la Valserine en l’espace de seulement quelques décennies. Naturellement ce n’est pas le seul impact, mais il illustre bien les relations fortes qui existent entre un cours d’eau et son bassin versant.

Imaginons maintenant qu’au lieu d’un boisement du bassin, aient été construits des zones artisanales, des parkings, des routes nationales etc, venant couper les apports des montagnes. Vous voyez où l'on veut en venir ?

Un cours d’eau n’est que le reflet de son bassin versant et des activités qui y ont lieu. Ce n’est pas un milieu immuable, son tracé, son fonctionnement et son paysage sont en constante évolution.

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Durance
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Contraction de la bande active de la Durance suite à des aménagements anthropiques (source : remonterletemps.ign.fr)
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Exemple similaire à celui de la Valserine mais à plus grande échelle sur la Durance. Boisement des versants, multiplication des infrastructures routières et extraction d’alluvions en provenance du versant (la plateforme blanche en bas à droite).

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Nancy
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Modification du lit majeur sur la Meurthe (54) (source : remonterletemps.ign.fr)
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Artificialisation des sols, à Nancy, sur la Meurthe. On peut imaginer que la capacité de rétention d’eau des sols a dû quelque peu changer sur le secteur au cours du dernier siècle, une immense zone de bras morts et marais ayant laissé place à une zone commerciale et industrielle...

Conclusion

Un cours d’eau ne se limite pas au seul lit en eau, c’est un ensemble d’espaces de tailles différentes (lit mineur, bande active, lit majeur) et de milieux spécifiques. Tous sont nécessaires à son bon fonctionnement et bénéficient à une multitude d’espèces animales et végétales. Un cours d’eau n’est pas une entité statique, il se déplace, érode, dépose, évolue dans l’espace. Selon la nature des sols, la pente, le débit, la géologie ou le transport solide, ces déplacements et l’expression de la morphologie du cours d’eau seront différents.

Ainsi, le visage de certains cours d’eau en tresses changera plusieurs fois par an quand celui de cours d’eau à méandres n’évoluera peut-être que de quelques centimètres sur la même période. Ces mouvements et ce transport continuels répondent à la nécessité, pour le cours d’eau, de dissiper son énergie.

Enfin, nous avons pu voir que le changement d’occupation des sols, notamment par les activités humaines, pouvait avoir un impact important sur la dynamique fluviale des cours d’eau. Cette dynamique, habituellement impactée à l’échelle des temps géologiques, peut en quelques dizaines d'années changer drastiquement sous le coup des changements induits par nos activités (passage d’un cours d’eau en tresses à un chenal unique en moins d’un siècle par exemple).

Le cours d’eau est l’expression de son bassin-versant, le réceptacle de tout ce qu’il s’y passe.

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Glossaire

  • Étiage : l’étiage est l’état de basses eaux du cours d’eau. Généralement en été lors des périodes sèches, il peut dans certains cas survenir en fin d’hiver ;
  • Alluvions : ensemble des dépôts de matériaux sédimentaires (graviers, sables, vases, etc.) amenés par un cours d’eau ;
  • Lentique : un faciès de cours d’eau est dit lentique lorsque ses écoulements sont lents, il s’oppose au terme lotique qui décrit des faciès d’écoulements rapides ; •
  • Apports solides : définit les apports en sédiments (blocs, pierre, graviers, etc.) qu’un bassin versant fournit au cours d’eau.

A propos de l'auteur

Né dans le département de l’Ain, Quentin a commencé comme beaucoup à pêcher les vairons en compagnie de son grand-père et de son père. Les vacances en caravane au Vigan…
Nicolas a grandi en Aveyron et vit aujourd'hui en Lorraine. C'est dans les torrents pyrénéens ariégeois qu'il a appris la pêche de la truite avec son…