Enjeux d’avenir : la lutte entre intérêt général et intérêts privés

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Quand les auteurs du dernier rapport du GIEC pissent dans des violons, les professionnels de la gestion des milieux aquatiques crient, la tête sous l’eau. Les choses avancent. Ça fait plaisir. Après l’article éclairé et éclairant de Philippe Baran, le papier non moins intéressant et plombant de Romain Gabriel, je laisse tomber les gants et sors la sulfateuse...

Texte

Je profite de l’opportunité offerte par notre rédac’chef pour me faire l’écho du mécontentement de bon nombre de défenseurs des milieux aquatiques et tout particulièrement des gestionnaires et porteurs de projet.

Je ne vous apprends rien, l’avenir des milieux aquatiques n’est pas particulièrement reluisant et nous avons, nous pauvres ères entièrement dépendant du bon fonctionnement de cette planète, de réelles raisons de nous inquiéter des gros nuages noirs bouchant l’horizon.

Et nous serions fous de ne pas avoir peur de cette situation.

Heureusement, de cette peur et de l’amour porté aux milieux aquatiques (d’ailleurs nous pourrions élargir aux milieux naturels au sens large) naissent de belles dynamiques. Des collectifs, des mouvements émergent et se battent pour sauvegarder ou restaurer de fragiles équilibres. Les Robert Hainard, Charles Ritz et autres Terrasson n’ont d’ailleurs pas attendu l’émergence du concept d’écologie politique et bankable pour diffuser leurs idées et leurs combats. De ces précurseurs sont nés des petits qui ont repris la lutte, des associations, ANPER, FNE, LOGRAMI, ARRS, le réseau des CEN et bon nombre de FDAAAPPMA très investies sur ces sujets. Des passionnés ont fait le choix d’orienter leur vie étudiante et professionnelle de manière à devenir de vrais spécialistes. Ils apportent aujourd’hui leur sérieux, leur compétence au sein de nombreuses structures porteuses de compétences, Gemapi, assainissement, équipes de parcs nationaux ou régionaux, services de l’OFB, etc.

Tout ce petit monde œuvre dans l’intérêt général. Pour certains c’est un métier, pour d’autres une action militante et bénévole, pour tous c’est une passion.

L’intérêt général justement. Travailler pour l’intérêt général c’est mettre de côté sa petite personne et considérer qu’il y a des sujets qui méritent de dépasser nos considérations personnelles, accepter de ne pas pouvoir toujours imposer son point de vue égoïste.

Dans les métiers et le bénévolat de la protection des milieux aquatiques cela se traduit très concrètement par la mise en place d’actions qui visent à offrir aux milieux les moyens d’être plus résilients face aux agressions de notre société et aux bouleversements climatiques profonds que nous connaissons. Accessoirement c’est aussi réduire l’impact de ces changements sur les conditions de vie des quelques milliards de bipèdes qui peuplent la seule planète habitable et accessible du coin.

Les moyens sont de tout type, restauration des zones humides, lutte contre les pollutions, veille et combats juridiques, restauration de la morphologie des cours d’eau, etc.

Jusque là c’est plutôt chouette, entrainant même, pas vrai ?

D’autant plus que le quinquennat actuel sera écologique ou ne sera pas. D’autant plus que la France s’est engagée à respecter les objectifs de la DCE (voir article ici) en matière d’atteinte du bon état des masses d’eau et que globalement les gens comprennent que sans eau en quantité et qualité il n’est pas évident de mener sa petite vie tranquille.

Les objectifs sont là, les engagements, l’éveil (relatif) des conscience et en plus y a un petit nombre de braves personnes formées et motivées pour faire le boulot.

Franchement sur le papier il y a de quoi être confiant.

Ouais.

Sauf que.

Sauf que tous ces braves naïfs (dont je fais partie) ne font pas les décisions, pas plus qu’ils n’écrivent les arrêtés et décrets leur permettant de faire leur travail et de remplir les objectifs ô combien importants pour ce fameux intérêt général.

J’en arrive donc à l’événement qui a déclenché l’envie de ce billet de mauvaise humeur.

Le 31 octobre dernier, le conseil d’Etat a par arrêté, et suite à un recours contentieux des associations Hydrauxois et France Hydro-électricité, annulé l’arrêté du 30 juin 2020.

Quésaco l’arrêté du 30 juin 2020 ?

L’arrêté en question définit (ou plutôt définissait) une nomenclature de travaux de restauration des milieux aquatiques pour lesquels les porteurs des projets pouvaient simplement déclarer ces travaux auprès des services de l’état plutôt que de passer par des procédures d’autorisation longues et laborieuses.

Ce fonctionnement était attendu depuis longtemps des porteurs de projets, en effet, au regard des engagements pris par rapport à la DCE comme nous l’avons évoqué précédemment, des enjeux de luttes contre les effets délétères des changements climatiques, il apparaissait évident que des travaux visant à restaurer le fonctionnement des milieux aquatiques puissent bénéficier de conditions facilitantes pour leur mise en place et ne pas avoir à passer par les mêmes obligations que des travaux de drainage de zones humides pour la construction d’un centre commercial par exemple.

Or, ces deux chères associations, vent debout contre le concept de la continuité écologique, ont attaqué l’arrêté, considérant que les travaux de restauration pouvaient avoir des conséquences néfastes pour les milieux aquatiques. Et le conseil d’Etat dans sa grande clairvoyance, a fait sauter l’ensemble de l’arrêté.

Ainsi, au 1er mars 2023 et en l’absence d’évolution réglementaire d’ici là, un porteur de projet souhaitant restaurer plus de 100 mètres linéaires d’un cours d’eau par exemple, sera à nouveau soumis aux mêmes procédures que s’il voulait curer et enrocher ce cours d’eau. Alors, certes les porteurs de projets feront tout pour les sortir ces projets, mais les procédures seront plus longues, le travail plus important, pour au final aller moins vite et sortir moins d’actions.

Vous les voyez s’éloigner les objectifs de la DCE ?

Mais une question demeure. Pourquoi ces associations portent des combats aussi fous et insensés que celui-ci ?

La réponse se trouve à l’opposé de la notion d’intérêt général. Ces associations représentent les intérêts des petits hydroélectriciens. Sous couvert de préservation du patrimoine bâti (lutte valable au demeurant), de participation à la transition énergétique ou même…de création de biodiversité, ces associations défendent aussi et surtout des intérêts privés et l’enrichissement de bon nombre de propriétaires de microcentrales que les obligations au regard de la continuité écologique exaspèrent.

Les chantres de la petite hydroélectricité se sont donc focalisés sur cet arrêté, le faire sauter c’est la solution pour mettre des bâtons dans les roues des projets d’arasement de chaussées.

Aussi, elles et leurs représentants multiplient les attaques juridiques et les sorties médiatiques à grand renfort d’arguments frauduleux.

Dans la participation à la transition énergétique par exemple, rappelons que le concours de la petite hydroélectricité joue pour environ 1% dans le mix énergétique national. Peu probable d’attendre une vraie révolution venant de ce côté-là en somme.

Des défenseurs d’intérêt privés tentent ainsi depuis des années d’actionner tous les leviers en leur possession pour gagner quelques kWh mais aussi de précieux deniers qui vont dans leur poche.

Ainsi les intérêts privés vont à l’encontre de l’intérêt général et le conseil d’Etat vient d’en faire la triste démonstration.

Ces associations se frottent les mains, se félicitent. Oui hourrah ! Gloire à vous fossoyeurs des milieux aquatiques ! Oui effectivement d’habitude je me contente de râler contre leurs actions et postures dogmatiques mais aujourd’hui il s’avère qu’ils sont capables par leur égoïsme, de s’en prendre à l’ensemble des actions de restauration des milieux aquatiques. Et avec la bénédiction de l’Etat.

Merveilleux non ?

Alors certes la production d’hydroélectricité peut avoir du sens dans certains cas et être conciliée avec la protection du milieu aquatique. Certes la défense du patrimoine bâti peut être un but louable. En revanche, aujourd’hui, face aux centaines d’études montrant les effets dramatiques que peut avoir l’hydroélectricité sur les cours d’eau, face aux enjeux et engagements qui nous attendent, face à tout ceci, il n’est pas acceptable de voir l’intérêt privé aller au-devant de l’intérêt général.

Pas plus qu’il n’est acceptable de voir l’Etat bafouer ainsi ses propres obligations. Mais alors que faire ?

Et bien faire comme ces associations. Être représenté solidement au niveau politique, à l’Assemblée Nationale par exemple (mais quand-même pas pour y raconter des inepties comme « j’invite souvent les agents des agences de l’eau à venir observer des truites franchir des cascades de 6 ou 8 mètres » comme a pu le faire une députée dans un passé proche) et représenter la voix des milieux aquatiques. Nous structurer et devenir proactifs sur les sujets juridiques. Nous représentons de nombreuses structures, des millions d’adhérents. Tout ce qu’il nous manque et de recentrer nos luttes sur de véritables sujets de fond, des sujets d’avenir, des sujets engageant pour nous, pour notre capacité à conserver des conditions de vie acceptables.

L’exemple choisi dans ce billet peut paraître bien futile, cependant il est parfaitement représentatif de la manière dont une minorité peut s’emparer d’un sujet et le tourner à son avantage, que les motivations soient fondées ou non, les arguments valables ou pas.

Aujourd’hui, Fédérations de pêche, acteurs Gemapiens, associations environnementales, écologistes de tout poil, doivent cesser leurs petites guerres intestines, mettre de côté les postures idéologiques et égoïstes et se recentrer ensemble sur leurs intérêts communs, la lutte pour une protection efficace de la fonctionnalité des milieux naturels. Pour la valeur intrinsèque de ces milieux et notre devoir moral de protection, mais aussi pour notre avenir commun à tous.

Il est plus que temps d’aller au-delà de la simple prise de conscience et de structurer les luttes.

Le terrain juridique est le champ de bataille et la cohésion l’arme.

L’étape d’après c’est la clé à molette mais l’éco-terrorisme ne semble pas Darmanin-compatible.

Soyez bons.

A propos de l'auteur

Né dans le département de l’Ain, Quentin a commencé comme beaucoup à pêcher les vairons en compagnie de son grand-père et de son père. Les vacances en caravane au Vigan…