« The world’s forgotten fishes » - Le rapport qui fait du bien là où on a mal ?

world’s forgotten fishes

Le titre fait bien entendu écho à une actualité que vous connaissez tous depuis quelques semaines et qui place le pêcheur à la ligne au centre de débats politiques, éthiques, juridiques et philosophiques autour de la cause animale nous concernant plus particulièrement, celle des poissons. Cette actualité, qui fait couler beaucoup d’encre, a la petite vertu de nous amener à nous questionner sur nos pratiques et notre relation à ceux que nous piquons de nos hameçons.

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Sur le volet philosophique, ces questionnements sont personnellement assez vertigineux et je suis encore incapable à cette heure de bien discerner ce vers quoi ceux-ci me mèneront. Mais ces questionnements s’imposent à nous, d’abord pour que d’autres ne prennent pas la liberté de nous imposer leurs définitions, j’oserais dire, leur idéologie. Car pour reprendre quelques belles idées de Baptiste Morizot sur d’autres sujets, ceux qui projettent sur nos parents à écailles des structures identiques aux nôtres (ils souffrent, ils stressent, ils ont conscience de, …) vouent très probablement leur relation à eux à l’échec. Il est donc, à mon sens, de notre rôle, de pêcheur « de loisir », d’être force à penser, de se laisser travailler par les vives critiques animalistes (qui seront peut-être demain celles plus larges d’autres mouvements écologistes) pour trouver nos mots, comprendre la diversité de nos relations avec les poissons et in fine, définir nos égards ajustés en faisant justice à leur altérité. Ne tombons pas dans le panneau des animalistes, dont les manœuvres intellectuelles reviennent à apposer sur les poissons (plus globalement aux animaux) ce qu’ils souhaiteraient pour eux. L’exercice est ô combien difficile je le conçois car il nous faut trouver ces égards ajustés tout en admettant notre relation aux poissons qui n’est plus celle aujourd’hui du rapport proie-prédateur. Mais l’enjeu est de taille, car il conditionne probablement la place de la pêche de loisirs dans notre société pour les 20-30 années à venir, et possiblement, de façon plus radicale, la pérennité de notre passion exercée dans sa liberté actuelle. Je m’arrête là car ce n’est pas le sujet principal que je souhaite aborder ici. Et nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir dans de futurs articles !

Parmi les doutes et les questions, il y a toutefois 2 choses dont je suis convaincu aujourd’hui : premièrement les poissons d’eau douce et plus globalement les milieux aquatiques se situent dans des états de dégradation tels que leur restauration et leur conservation me paraissent être la priorité des priorités, bien avant ces débats très souvent anthropocentrés sur la question de la souffrance du poisson. Deuxièmement, je pense que dans cette urgence, les pêcheurs de loisirs ont un rôle majeur à tenir, parce que nous sommes des sentinelles (les dernières en France ?), parce que nous sommes vecteurs d’une économie dynamique qui pèse à des échelles locales sur de très nombreux territoires, parce que nous aimons les gros poissons et les belles rivières !

Ce constat, il me paraît également urgent de le partager et de le faire valoir car malgré notre nombre très important (bien que décroissant !), nous pesons bien trop peu dans la balance politique et décisionnaire de notre pays, et au-delà. Preuve en est cette histoire de vœux communaux d’interdiction de la pêche au vif ou, plus symptomatique encore, le revers que nous venons d’accuser suite à la décision du Conseil d’Etat sur la continuité écologique et les débits réservés (voir ici le contenu détaillé de cette décision ici.

La semaine dernière, dans ma petite tournée hebdomadaire des potins du web sur les bestioles à écailles, je suis tombé sur la publication du rapport « The World's Forgotten Fishes », dernier rapport en date sur la situation mondiale des poissons d’eau douce publié par un collectif de 16 ONG internationales. Et en parcourant les belles lignes et les superbes illustrations de ce document, j’ai retrouvé exactement mon ressenti du moment, sur cette double conviction.

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La situation alarmante des espèces piscicoles dulçaquicoles

Sur la situation des espèces d’abord, rien malheureusement de bien nouveau sous le soleil, un peu le même ressenti qu’à la sortie d’un nouveau de rapport du GIEC. Le constat vient d’ailleurs renforcer celui dont nous avions fait mention dans un précédent article et issu du « LIVING PLANET INDEX ».

Le rapport « The Worlds Forgotten Fishes » nous dit en particulier ceci : à l'échelle mondiale, la biodiversité des eaux douces montrerait un déclin deux fois plus rapide que celui observé dans les océans et les forêts. Pour certaines espèces, le déclin serait plus net encore. Les estimations avancent ainsi une baisse de 76% des populations de poissons migrateurs tels que le saumon ou l'esturgeon depuis les années 1970. La baisse est encore plus catastrophique pour les mégapoissons comme le béluga européen ou le poisson-chat géant du Mékong, les statistiques indiquant en effet une chute de 94% des effectifs au cours des cinquante dernières années.

Alors que les eaux douces représentent à peine 1% des écosystèmes aquatiques de la planète, elles abritent pourtant une extraordinaire biodiversité. 51% des espèces de poissons répertoriées dans le monde - soit plus de 18 000 - évoluent dans les rivières, fleuves, lacs et autres étendues d'eau douce. Pour nombre d’espèces, il est malheureusement déjà trop tard. D'après les données de l'UICN, 80 espèces sont désormais considérées éteintes. Parmi elles, l'espadon chinois (Psephurus gladius) dont la disparition a été officialisée en janvier 2020 ou encore quinze espèces endémiques des Philippines. Plus près de chez nous, la situation n’est pas beaucoup plus réjouissante. Ce rapport évoque ainsi le cas des esturgeons, devenus la "famille de poissons d'eau douce la plus menacée au monde" en raison de la surpêche et du braconnage motivés par le succès du caviar sauvage illégal. Les anguilles européennes, en danger critique d’extinction, décrochent, elles, le titre de "poisson le plus braconné".

Malheureusement, nous connaissons aujourd’hui souvent très bien les menaces à l’origine de ces situations : destruction des habitats, barrages hydroélectriques sur les rivières à débit libre, prélèvements excessifs d'eau pour l'irrigation ou encore pollutions des habitations, de l'agriculture et de l'industrie. On peut ajouter à cette liste noire la surpêche et les pratiques de pêche destructrices, les espèces exotiques envahissantes et le réchauffement climatique. Et partout sur la Planète, des exemples de déclins massifs d’espèces piscicoles dulçaquicoles. Le rapport nous en livre deux, à titre illustratif :

  • Sur le Gange en amont de Farakka, dans l'État indien du Bengale occidental, la pêche artisanale locale s'est effondrée en quelques années, passant d'un rendement de 19 tonnes de poissons à seulement 1 tonne par an après la construction d’un grand barrage dans les années 1970 ;
  • En Russie, l’attribution de quotas de pêche excessifs sur la rivière Amour a contribué à un déclin catastrophique du plus grand stock de saumon kéta (Oncorhynchus keta). En 2019, aucun saumon n'a été comptabilisé sur les frayères connues des affluents du fleuve.

Si nous connaissons en bonne partie les menaces, nous connaissons souvent également bien les remèdes à prescrire. En février 2020, WWF et un collectif d’ONG avaient lancés une feuille de route, l'« Emergency Recovery Plan », présentant une série de mesures pour inverser le déclin rapide des espèces et des habitats d'eau douce. Malgré ces constats successifs, malgré les solutions connues, force est de constater que la situation n’évolue pas vite, en tout cas trop doucement pour permettre d’inverser les tendances évolutionnelles sus-décrites. Même constat donc que sur le réchauffement climatique, nous en sommes clairement encore au stade « déni »…

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La pêche de loisir au service de la conservation des espèces piscicoles

L’autre partie très intéressante du rapport « The Worlds Forgotten Fishes » est sans nul doute celle dédiée à la pêche de loisir, à son importance économique et à son implication forte dans les enjeux d’aujourd’hui et de demain pour sauvegarder les espèces piscicoles d’eau douce.

Tiens donc, d’après ces 16 ONG (reconnues internationalement pour leurs actions militantes ou leurs contributions aux savoirs scientifiques, soit dit en passant), les pêcheurs de loisirs ne se résumeraient donc pas à d’abominables tortureurs de créatures sentientes ? Pire encore, ils pourraient contribuer activement à la sauvegarde des espèces dulçaquicoles ! Diantre, de quoi provoquer une fausse route à Mme Simonnet… Avec des arguments chiffrés et des publications à l’appui, s’il vous plait. Voyons donc ce que nous dit ce rapport sur la pêche de loisir.

Il est d’abord mis en évidence le poids de la pêche de loisir par le nombre de ses pratiquants à travers le monde : nous serions environ 90 millions de pêcheurs à la ligne en Chine, 39 millions aux États-Unis et près de 26 millions en Europe, not so bad ! Ça fait quand même un paquet d’enfoirés au bord de l’eau tout ça… Et comme nous sommes de grandes victimes du modèle consumériste, malgré notre ancrage populaire historique (!), nous dépensons beaucoup pour notre pratique. La pêche récréative générerait ainsi chaque année plus de 100 milliards de dollars (Funge-Smith et Bennett, 2019), injectant ainsi des sommes considérables dans les économies locales et nationales et stimulant l'emploi, a fortiori dans des secteurs souvent reculés (ou ruraux comme on les appelle dans nos contrées d’urbains) ou le dynamisme économique n’est pas le premier mot qui nous vient à la bouche quand on y met les pieds !

En Europe, la pêche de loisir soutient des centaines de milliers d'emplois (EAA, 2015). Exemple : 37 000 en Angleterre et au Pays de Galles, apportant plus de 1,3 milliard de dollars à l'économie (Mawle et Peirson, 2009). On parle également de 4 300 emplois en Écosse, où les pêcheurs de saumons atlantiques dépensent en moyenne 6 400 dollars par personne chaque année (Marine Scotland 2017 ; OK, on est loin de l’ancrage populaire là, mais la pêche, c’est aussi ça, la diversité des pratiques et des pratiquants !). Aux États-Unis, 13 % de la population s'identifient comme pêcheurs de loisirs en eaux douce (RBFF, 2019). Ils génèrent environ 83 milliards de dollars US d'activité économique chaque année et soutiennent plus de 500 000 emplois (ASA, 2018). Dommage, le rapport ne donne pas les chiffres pour la France…

Le rapport traite ensuite des enjeux souvent imbriqués de conservation des espèces piscicoles et des intérêts que celles-ci suscitent pour les pêcheurs à la ligne. Si je voulais schématiser cette pensée, on pourrait dire sous une forme qui, du point de vue de l’animaliste serait sans nul doute jugé absolument paradoxale, que plus une espèce est convoitée par les pêcheurs à la canne (disons dans sa forme moderne d’expression) et moins celle-ci sera exposée à un risque d’extinction. Dit de cette façon, on est d’accord que ça peut laisser sceptique, mais le rapport « The Worlds Forgotten Fishes » en fait l’illustration au travers de plusieurs cas concrets.

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© François Botha
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Le premier état de fait est que par nos pratiques, certaines espèces piscicoles d'eau douce ont acquis un statut presque mythique, comme le saumon atlantique, le poisson-tigre africain (Hydrocynus goliath) ou le légendaire mahseer à bosse (Tor remadevii). Et par ce statut, ces espèces bénéficient d’une veille tout à fait particulière, qui a motivé l’initiation de programmes de recherches scientifiques ambitieux et généré de nouvelles formes de revenus économiques sur les territoires de pêche dont la conséquence est bien souvent la réduction de la pression de prélèvement par les pêcheries professionnelles ou le braconnage. Par exemple, le poisson-tigre africain est devenu la cible numéro un des pêcheurs à la ligne dans le système fluvial du Zambèze. Dans le nord-est de la Namibie, on estime que jusqu'à 70 % des revenus des hôtels de tourisme proviennent de pêcheurs qui espèrent attraper un "tigre" - un revenu qui constitue une source financière importante pour les communautés locales (Tweddle et al., 2015). Ainsi, le maintien d'écosystèmes d'eau douce sains et de populations de poissons-tigre en bonne santé profite directement aux communautés, qui dépendent de ce poisson non seulement pour leur financement mais aussi pour leur sécurité alimentaire.

De la même façon, en Inde, le mahseer à bosse attire les pêcheurs à la ligne sur la rivière Cauvery depuis de nombreuses années ! Les revenus générés par les pêcheurs à la ligne internationaux ont permis de transformer d'anciens braconniers en guides de pêche à la ligne. Ils sont devenus des sentinelles, incités à protéger le mahseer parce qu’il incarne une source de revenus pour beaucoup de familles riveraines de la Cauvery. Malgré cela, les populations endémiques de mahseers ont fortement diminué au cours des 2 dernières décades. Et le rapport propose une illustration du fait que le rôle des pêcheurs à la ligne dans la conservation du mahseer à bosse va au-delà du fric. En effet, en 2015, une équipe de scientifiques internationaux a analysé les carnets de bord détaillés tenus par les camps de pêche à la ligne, et ceux-ci ont permis de mettre en évidence la baisse dangereuse de ses populations.

Grâce à ce constat, le mahseer à bosse a fait l’objet de nombreuses études qui ont permis de lui reconnaître le statut d’espèce endémique au bassin de la Cauvery, puis à l’IUCN de le classer "en danger critique d'extinction", classement qui justifie aujourd’hui une poursuite des programmes de conservation au sein desquels les pêcheurs de loisir continuent d’avoir une place, et un rôle. Et sans les pêcheurs à la ligne ce méga-poisson d’eau douce aurait pu s’éteindre avant même qu’il soit reconnu comme une espèce à part entière…(Pinder et al, 2020). On ne protège bien que ce que l’on connait bien et que l’on sait nommer. Voilà un adage que les biologistes de la conservation ont bien en tête depuis des lustres. Un adage au sein duquel le rôle du pêcheur à la ligne me paraît indiscutable, tant sur les rives de la Cauvery que sur les berges du Rhône ou de la Seine !

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©Hindustan Times
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« Plus tôt, notre objectif était de tuer le poisson. Mais après avoir travaillé dans les camps de pêche, nous nous sommes rendu compte qu'il était préférable pour la communauté de les garder en vie. Nous en avons vu les avantages.» CHEMBA, guide de pêche à la ligne sur la rivière India Cauvery

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©harum.koh from Kobe city, Japan
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Autre exemple, l'omble miyabe (Salvelinus malma Miyabei Oshima, 1938), une sous-espèce endémique du lac Shikaribetsu sur l’ile d’Hokkaido au Japon. Dans les années 1970, un trop grand nombre de pêcheurs à la ligne et une gestion insuffisante ont entraîné un effondrement des effectifs. Heureusement, cela a suscité une action concertée et le nombre d'ombles miyabe est à nouveau en bonne santé, avec des pêcheurs à la ligne qui affluent de tout le Japon, voire plus, pour pêcher dans le lac, ce qui stimule encore une fois l'économie locale et assure désormais la survie à long terme de l'espèce (Yoshiyama et al., 2017).

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Arapaima
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©Dr. Rob Neumann, In-Fishermann
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Il est enfin question du non moins mythique Arapaima en Amazonie, le plus grand poisson à écaille du monde. Certaines communautés d’Amazonie, et en particulier la communauté Rewa, se sont investis pour développer une offre de pêche sportive et ainsi attirer des touristes internationaux. Ce géant de la jungle, pouvant atteindre 3 mètres de long, est victime de surpêche et décline du fait de la destruction de son habitat. L’Arapaima est aujourd’hui une espèce en danger, et il est désormais rare de trouver des spécimens de plus de 2 m de long. Néanmoins, la pêche de loisirs continue d’être pratiquée et elle contribue à soutenir les communautés. Ainsi, l’argent des pêcheurs sert en partie à protéger leur patrimoine et à renforcer la gouvernance, la gestion et la conservation de leurs territoires traditionnels. Il s'agit sans aucun doute d'une alternative d’exploitation des ressources naturelles plus durable que l'extraction de l'or au mercure ou l'exploitation forestière commerciale ! (Lynch et al., 2016).

 

LA PÊCHE DE LOISIR AU SERVICE Du bien être de L'HOMME

L’idée n’est pas de dresser là un tableau parfaitement idyllique des vertus de la pêche de loisir (Bilan Carbone, paix à ton âme), mais simplement d’apporter un son de cloche peut-être un peu différent que le bruit ambiant de ces dernières semaines, qui plus est mis en avant dans un document produit par des ONG environnementalistes et dédié à la cause piscicole ! Et de rappeler que l'industrie de la pêche à la ligne dépend avant tout d'écosystèmes d'eau douce sains pour soutenir des populations de poissons en bonne santé, qu’il s’agisse de la truite fario du Massif Central, du poisson jaune d'Afrique du Sud ou de la morue Murray d'Australie. Il serait intéressant de compléter les exemples ci-dessus par des illustrations moins exotiques. Car il y en a tout autant, bien qu’ils s’expriment dans des termes différents compte-tenu des contextes socio-économiques et culturels très contrastés. Admettez, pour la faire courte et ne prendre qu’un tout petit exemple, qu’il est sensiblement plus facile de faire financer des actions sur le saumon ou le brochet que sur l’apron du Rhône ou la lamproie de Planer. Et sans trop m’avancer, je crois que les 2 premiers suscitent un peu plus de passions halieutiques que les 2 autres !

Pour continuer sur la pêche de loisir, il est assez étonnant de lire que le rapport nous vante également ses vertus sur le bien-être de l'homme. Deuxième fausse route pour Mme. Simonnet ! L’analyse mérite là encore qu’on s’y attarde quelques instants car elle nous dévoile implicitement que les poissons, support d’activités halieutiques de loisirs, contribuent d’une certaine façon à la bonne santé physique et mentale des humains.

Cela dit, après bientôt une année de confinement, je crois qu’il nous est collectivement assez facile de comprendre cette analyse : la pêche, école de la vie, tisseuse de liens avec le vivant aquatique (autrement inaccessible et souvent invisible) et thérapie par le détachement, la concentration ou la contemplation (à choisir selon son style !). Le rapport nous apprend ainsi qu’aux Etats-Unis, il a été démontré que le simple fait d'être en pleine nature, d'écouter les sons apaisants de l'eau et de regarder sa ligne de pêche bouger de haut en bas peut réduire le stress (j’ai pas tout compris le passage sur la ligne qui bouge de haut en bas mais passons !). La pêche à la ligne y est utilisée comme thérapie de réadaptation par les psychologues et les physiothérapeutes. Plus encore, l'administration américaine de la santé des vétérans militaires blessés au service a adopté la pêche à la mouche comme thérapie récréative pour ses patients ! Car c'est une activité apaisante, répétitive et à faible impact pour les aider à reprendre des forces (merde, moi qui dis toujours que la pêche à la mouche est un vrai sport…). Aussi devrions-nous voir sans tarder sur les réseaux sociaux les premières photos de Donald Trump tentant de faire lever une truite au fin fond du Missouri ! Obama s’est déjà plié à l’exercice, alors qu’il était encore en fonction.

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© The White House from Washington, DC
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Chez nos amis du Brexit, la pêche à la ligne a été utilisée comme une activité sociale, environnementale et thérapeutique à "valeur ajoutée" pour aider à surmonter les problèmes sociaux et favoriser l'épanouissement des jeunes défavorisés.

En France, la FNPF parade sur le Tour de France avec Gloups dans des SUV violet pétant …. STOP, ah merde, on est hors sujet là !

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© la FNPF et la Caravane du Tour – site CreaPluriel
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La conclusion du rapport sur la partie dédiée à la pêche de loisir me paraît tout à fait inspirante. Il est écrit (je traduis seulement) : « Les problèmes surviennent lorsqu'une pêche récréative est mal gérée et peuvent inclure l'introduction de poissons non indigènes envahissants et de poissons d'élevage, une mauvaise manipulation du poisson et des hameçons endommagés, ainsi que des déchets, en particulier des plombs de pêche, des hameçons et des lignes jetés qui constituent une menace pour toute la faune (i.e à peu près tous les points sur lesquels les copains animalistes nous attaquent…). En suivant de meilleures pratiques, la communauté des pêcheurs à la ligne peut réduire ces risques et contribuer à la conservation des eaux douces. En effet, les pêcheurs à la ligne sont souvent les premiers à remarquer les problèmes dans leurs rivières et lacs locaux, et sont parmi les plus proactifs lorsqu'il s'agit de faire quelque chose pour y remédier. De nombreux pêcheurs, comme le musicien Fergal Sharkey, et des groupes de pêcheurs à la ligne, tels que Trout Unlimited, sont des voix puissantes pour la conservation. Cependant, les pêcheurs à la ligne dans leur ensemble ne pèsent toujours pas assez lourd lorsqu'il s'agit de défendre l'avenir des poissons d'eau douce. Imaginez que tous les pêcheurs à la ligne du monde - des dizaines de millions - fassent entendre leur voix pour soutenir les efforts visant à inverser l'effondrement des stocks de poissons d'eau douce. Ils attireraient certainement l'attention de certains décideurs clés. » AMEN

Elle me plait cette conclusion. Notamment car elle souligne que malgré notre nombre, notre masse, nous sommes difficilement influents sur les décisionnaires. Pourtant, les enjeux à relever sont immenses (on l’a évoqué en introduction, les antispécistes, la petite hydroélectricité, ….) et notre masse devrait justement nous servir à influer, à peser. Pour les poissons, pour les rivières, pour l’eau, pour nos enfants. Il y a une multitude de facteurs explicatifs et il serait ici bien trop long de les aborder. J’en relèverais un parmi eux, qui fait d’ailleurs écho à des symptômes plus globaux de notre société actuelle. Notre communauté de pêcheurs n’est vraisemblablement pas une communauté, y compris à la petite échelle de notre pays. Elle est aujourd’hui une somme d’individus pêcheurs, et pour être un peu dur, elle me fait penser à cette masse apathique, décrite par Walter Lippman lorsqu’il évoque la nécessaire mainmise du néo-libéralisme sur le Monde. Une masse qui, sur de très nombreux sujets, se fait dicter ses choix, l’immense majorité du temps sans réaction. Une masse soucieuse, a priori, de son pas-de-porte, de son chez soi et cultivant le confort de la non-réaction, de l’absence de conflit.

Je me prends à rêver que nous pourrions toutefois arriver aujourd’hui à un point de bascule, généré par une ambiance générale (le Covid, la Mondialisation, le changement climatique) mais sans doute davantage par les attaques des antispécistes, pour notre petit monde. Est-ce que cette menace, cette remise en question de nos pratiques (de notre « pas-de-porte »), ne permettrait-elle finalement pas une forme de réveil, tout le moins l’émergence d’un groupe parmi la masse, le public émergent, comme l’a théorisé John Dewey, s’opposant ainsi radicalement à celle sus-évoquée de Lippman. J’ai le sentiment que les pêcheurs se mettent de plus en plus en mouvement et, selon ma vision, dans une certaine recherche de thérapeutique. On perçoit dans ce mouvement une volonté de se connecter entre pêcheurs de tous bords (création de groupes sur les réseaux sociaux, pétitions, appels à la mobilisation, appel à la manifestation) pour exprimer l’existence de ce public émergent mais aussi, je l’espère, pour envisager des solutions. Et je terminerai sur ce point, les solutions, en rejoignant à nouveau la pensée de Dewey selon laquelle, ces publics émergeant de la masse doivent chercher leurs ressources dans le savoir, dans la connaissance, dans les sciences (en opposition probablement aux croyances) et ainsi proposer des formes expérimentales de solutions. Dewey, d’après ce que j’en ai saisi (!), croyait fort à l’importance des médias et des canaux de l’information pour permettre l’accès auxdits savoirs. J’y crois tout autant, espérant que Truites & Cie fait sa toute petite part du job dans cette affaire, et que ce public émergent n’est pas juste une utopie.

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«Comme les pêcheurs le savent, la pêche est à la fois exaltante et relaxante, et elle est excellente pour l'esprit et l'âme. La pêche à la ligne implique également des responsabilités car les pêcheurs à la ligne sont les yeux et les oreilles de la rivière, et les voix des poissons eux-mêmes. Les pêcheurs à la ligne peuvent jouer un rôle fondamental dans la conservation des poissons en appliquant les meilleures pratiques : ne pas laisser d'engins ou de filets fantômes, s'assurer que le bien-être des poissons est primordial, utiliser des appâts non destructeurs, pratiquer la remise à l'eau de la meilleure façon possible, ne pas pêcher certaines espèces pendant les périodes de fermeture et ne pas nuire à la faune sauvage. Et en soutenant des projets de conservation des poissons dans le monde entier.»

MARINA GIBSON – Ambassadrice de l’ONG Trout Unlimited

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Liens et références :

https://wwfint.awsassets.panda.org/downloads/world_s_forgotten_fishes__report_final__1.pdf

ASA, 2018. Sportfishing in America : an economic force for conservation. American Sportfishing Association. Alexandria, VA.

EAA, 2015. European Anglers Alliance Information brochure - An information leaflet addressed the Members of the European Parliament primarely. 2 p.

Funge-Smith S. et Bennett A., 2019. A fresh look at inland fisheries and their rôle in food security and livelihoods. Fish and Fisheries. Vol. 20, Issue 6, pp. 1176-1195

Lynch A., Beard D., Cox A. et al, 2016. Drivers and Synergies in the Managment of Inland Fisheries : searching for sustainable solutions. In : Freshwater, Fish and the Future : Proceedings of the Global Cross-Sectoral Conference. Eds : Taylor WW, Bartley DM, Goddard CI et al.

Marine Scotland, 2017. An Analysis of the Value of Wild Fisheries in Scotland. PACEC report on value of wild fisheries 3rd final.docx.

Mawle G.W. et Peirson G., 2009. Economic evaluation of inland Fisheries. Environnement Agency. ISBN : 978-1-84432-975-5

Pinder A.C., Raghavan R., Britton J.R., 2020. From scientific obscurity to conservation priority : Research on angler catch rates is the catalyst for saving the hump-backed mahseer, Tor remadevii, from extinction. Aquatic Conservation : Marine and Freshwater Ecosystems. Vol.30 Issue 9. Pp 1809-1815.

RBFF, 2019. 2019 Special report on fishing. Recreational Boating & Fishing Foundation. Alexandria, VA.

Tweddle D., Cows I.G., Peel R.A., Wey OLF, 2015. Challenges in fisheries managment in the Zambezi, one of the great rivers of Africa. Fisheries Ecologye and Management. Vol. 22 Isuue 1. Pp 99-111

Yoshiyama T., Tsuboi Ji, Matsuishi T., 2017. Recreational fishery as a conservation tool for endemic Dolly Varden, SAlvelinus malma miyabei, in Lake Shikaribetsu, Japan. Fisheries Science 83. Pp 171-180

A propos de l'auteur

Yann est originaire de Lyon et vit à Morzine aujourd'hui. Il pêche depuis l’âge de 6-7 ans après avoir attrapé le virus grâce à ses stages de pêche estivaux à l’…