Marketing made in 07

pêche Ardèche

En février 2022, nous discutions avec Laurent Garmendia, directeur de la FDAAPPMA09 sur la thématique de l'halieutisme en Pyrénées. A cette occasion, Laurent a fait référence à ce qu'il appelle la communication marketing de certaines FDAAPPMA, qui consiste à adopter des mesures de réglementation pêche à la mode en grande pompe, sans réel étayage scientifique... Presque un an plus tard, le propos prend tout son sens...

Texte

Le week-end dernier n'a pas seulement été marqué par l'apothéose d'une coupe du monde de football pas très éthique, c'est aussi le moment qu'a choisi la FDAAPPMA 07 pour annoncer ses nouvelles mesures phare de réglementation pêche émanant des AAPPMA du territoire. Citons le texte précisément pour partir sur de bonnes bases :

"La pêche en première catégorie se pratiquera exclusivement au moyen d'hameçons simples sans ardillon.

Le quota de salmonidés quant à lui passe à 3 poissons par jour et par pêcheur dans tout le département.

Les populations piscicoles subissent les effets du bouleversement climatique depuis quelques années. Les crues dévastatrices succèdent aux sécheresses répétées [...]. Nous avons la chance de posséder encore des populations de truites sauvages remarquables. C'est la volonté de préservation des souches endémiques qui a conduit les AAPPMA à prendre cette décision exemplaire lors de l'assemblée générale de la fédération."

En caricaturant, ça donne donc : 

"nos truites dérouillent avec ce climat qui part en sucette, donc on réagit en interdisant l'ardillon et en limitant le quota à 3"... pas mal non ?

Les réactions sur les réseaux sociaux ne se firent évidemment pas attendre : de nombreux pêcheurs, conquis et débordants d'enthousiasme, prophétisent désormais un avenir radieux à l'Ardèche (qualifiée par les plus optimistes de "futur Eldorado du tourisme pêche"... rien que ça ! pas sûr qu'ils aient lu le résumé du dernier rapport du GIEC), pendant que d'autres interpellaient tout de go leurs propres FDAAPPMA, enkylosées dans un immobilisme désormais scandaleux :

"Et chez nous, on fait quoi les gars? Prenez-en de la graine un peu !"...

Tenez vous bien, ces injonctions ont même concerné des départements comme celui des Hautes-Alpes, pourtant pas réputé pour ses rivières pelées et son contexte local moribond... mais que voulez-vous, c'est désormais la nouvelle norme : il faut "faire quelque chose", "faire bouger les choses".

Pourquoi ? sur la base de quel diagnostic ? dans quel but ? avec quels leviers efficaces ?

Tout cela reste souvent de l'ordre du nébuleux, quand on ne mélange pas tout et n'importe quoi. Et c'est précisément ce qui s'est produit ici : nous sommes repartis pour un énième tour de piste en matière de confusion entre halieutisme et conservation de l'espèce.

Pour rappel, la réglementation a pour vocation, en fonction de sa nature, à favoriser certaines pratiques de la pêche à la ligne, dont les 2 extrêmes : pêche panier avec maille "basse" qui va tendre à diminuer la taille moyenne des truites VS pêche de beaux poissons en no-kill, seul levier réglementaire potentiellement efficace pour décupler la taille moyenne des poissons. Point.

Jamais la pêche à la ligne n'a influé sur la pérennité d'une population de truite. Seuls des paramètres environnementaux en sont capables.

Si l'amalgame entre halieutisme et conservation est légion chez de nombreux pêcheurs et élus, il est plus grave et inquiétant de voir que certains personnels techniques des instances laissent passer cela. Sciemment ou pas ? Chacun aura son avis sur la question, en fonction de sa foi en la nature humaine peut-être... Car surfer sur cette vague est un excellent moyen de rafler tous les suffrages sur les réseaux sociaux, où les avis à l'emporte pièce et les réflexions grossières sont de mise... certaines FD placeraient-elles la biologie après la politique en ce moment ?

En pratique, le réflexe qui consiste à durcir la réglementation pêche lorsqu'on se trouve démuni face à des atteintes environnementales est non seulement inefficace d'un point de vue biologique, mais en plus, il brouille les pistes sur le plan intellectuel : il sous-entend par exemple que la pratique de la pêche participe au déclin des espèces piscicoles, soulage la conscience de certains gestionnaires, décale l'attention sur ces sujets annexes et noie les autres dans un bruit de fond d'hystérie collective qui symbolise la paralysie intellectuelle du moment... Comparez par exemple le nombre de like que récoltent les news sur l'hydroélectricité dans Truites & Cie par rapport aux articles traitant d'un aspect de réglementation pêche... le décalage est ubuesque !

Alors, si l'on se fait l'avocat du diable, certes, d'un point de vue politique, on pourra toujours rétorquer que motiver des troupes dont les rangs s'érodent en suivant les grandes tendances du moment (en plus, pas besoin de se fouler, il suffit de caser quelques mots magiques comme "double-maille" ou "parcours raisonné") est un moyen comme un autre d'agir en faveur du loisir pêche... c'est vrai. Mais je suis sans doute trop cartésien pour me résigner à voir la politique et la communication prendre les rênes de ma passion. Question de sensibilité. 

Plus dangereux encore, le passage sur l'ardillon semble également occulter l'influence croissante des mouvements animalistes dont on reparlera prochainement : comment peut-on encore être assez naïf pour croire qu'"améliorer nos pratiques" au sens où nous l'entendons nous, pêcheurs passionnés (la précision est de taille car notre prisme de vision nous leurre souvent sur les attentes du grand public à ce sujet) peut calmer les ardeurs de ces idéologues ? Comment ne pas craindre une récupération de ce genre de mesure ?

Ne pas assumer notre impact nous conduit au chaos. Penser redorer notre blason en rognant sur nos pratiques y concourt également. L'enfer est pavé de bonnes intentions.

D'un point de vue plus philosophique, cette communication s'inscrit pleinement dans la mouvance moderne viande de synthèse/lait de soja. Elle nous éloigne de notre histoire sous l'autel du dogme, de l'idéologie et promeut l'inculture.

A la lecture de cette bafouille, nul doute que Truites & Cie sera encore une fois taxé d'obscurantisme, d'équipe de vieux réac' mangeurs de truites...etc etc autant de sobriquets qui naissent d'une lecture partielle de nos articles et du manichéisme qui règne actuellement dans les débats.

Personne à Truites & Cie n'est défavorable au développement des parcours No-Kill, certains d'entre nous (dont je fais partie) se déplacent même régulièrement sur ce genre de secteur, en Espagne par exemple où ils sont particulièrement longs. Par contre, nous ne croyons pas à la magie, ni au conte de fée : si la graciation systématique permet souvent de ferrer de plus beaux spécimens, en aucun cas elle ne possède les vertus magiques telles que la multiplication de la biomasse qu'on lui attribue souvent.

Non, Truites & Cie ne prône pas de bouffer toutes vos truites et ni d'utiliser des ardillons comme le pensent certains, je crois simplement que nous pêcheurs, n'avons pas besoin de nous étendre sur ces sujets, qu'il serait plus sage d'agir en notre âme et conscience, sans trop ramener sa fraise sur le respect du poisson (notion qui n'a d'ailleurs aucun sens lorsqu'on va l'emmerder pour le remettre à l'eau).

Je relâche mes truites car je n'ai pas envie de les tuer, mais certainement pas pour sauver l'espèce ou encore moins pour faire un cadeau à un autre pêcheur, comme dirait l'autre.

Hydroélectricité, animaliste, adaptation au changement climatique... Quand on voit l'ampleur des chantiers qui passent actuellement sous la majorité des radars et l'absence totale de lobbying efficace du monde de la pêche, il y a de quoi s'insurger face à l'engouement que déclenche une énième fumisterie réglementaire. Une équipe si motivée et dynamique que celle de la FD07 a pourtant toutes les cartes en main pour faire bouger les lignes... à condition de ne pas se tromper de combat !

A propos de l'auteur

Simon est né dans le département du Gers et a découvert la pêche à l'âge de 10 ans. Bien qu'initialement éloigné des rivières pyrénéennes qui lui sont chères…