Halieutisme en Pyrénées (3/3) : peut-on améliorer la pêche des gros poissons ?

truite ariège

Après avoir discuté des attentes des pêcheurs ariégeois et de la santé des populations de truite des rivières patrimoniales d'Ariège, terminons l'entretien avec Laurent Garmendia, directeur de la FDAAPPMA09, en nous attardant sur le cas de la pêche en grande rivière et notamment sur la fameuse rivière Ariège dans sa partie basse :

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Laurent, abordons enfin le cas des grandes rivières à gros poissons ! Ce sont des milieux où les pressions s’accumulent : l’environnement s’y dégrade et en même temps, elles concentrent massivement la pression de pêche ces dernières années… tu as été à l’origine du quota 1 sur le Tarn aval au début des années 2000, le proposerais-tu à nouveau à des élus aujourd’hui ?

Question délicate…. je ne pense pas, en tout cas pas sur cette zone très précisément.

Rappelons ce contexte aveyronnais : on est au bout du bout du bout d’une rivière à truite, la température atteint celle de la méditerranée en juillet et dans les zones calmes, on a des carpes et du carnassier. La seule éclaircie pour nos fario réside dans la présence de quelques résurgences latérales et dans le lit du Tarn qui apportent une eau fraîche de salubrité pour les truites.

Et donc on a un stock de grosses truites là-dedans (surtout depuis l’épuration des eaux domestiques et industrielles de Millau) que quelques initiés avaient eu le bon goût de découvrir. Le bouche à oreille aidant, on commence à entendre parler de "cartons", de "la semaine des cons" fin mars-début avril, avant que le poissons blancs ne sortent, les pêcheurs à l’asticot faisaient a priori des cartons de grosses truites...

Donc on avait décidé de taper fortement sur le prélèvement en mettant un quota à 1 et pour être honnête, je l’ai proposé aussi pour faire un coup marketing (ce que je dénonce dans l’article précédent) à l’époque où le web pêche était passionnel et en feu, ça mettait les lumières sur la FD12 capable de changer de paradigme en proposant un terrain de jeu "grosses truites" sur 20 bornes intégrant en plus un no-kill de 2.5km (de mémoire).

Sur le papier ça le faisait, oui, mais…. non en fait !

Pour faire écho à ton raisonnement du début de l'entretien, c’est le cas typique où la pastille réglementaire représente pinuts alors que dans le même temps tu as considérablement modifié une des variables qui font la qualité de la pêche à savoir la fréquentation… en attirant les projecteurs sur l’endroit avec cette mesure réglementaire, la qualité de la pêche a été totalement fumée c'est ça ?

Exactement !

Dans le cas présent, la mesure réglementaire vient probablement sauver quelques truites mais les contraintes environnementales sont tellement puissantes que le système ne peut pas suivre, en résumé t’es sur un secteur 0.5 étoile que tu vas pousser à 1 étoile (dans le meilleur des cas) et dans le même temps, la communication faisant son affaire, la pression de pêche décolle...

C’est la triste réalité sur les systèmes qui sont au bout du bout ! S’il y a 15 truites de plus de 50cm au kilomètre et qu’on fait en sorte qu’il y en ait 25 demain, elles ne supporteront pas les 100 pêcheurs supplémentaires qui vont se battre pour les attraper... On en revient au premier article, la capturabilité s’effondre...

Donc cet exemple montre bien que la fréquentation est la variable prépondérante versus les poissons sauvés par la mesure réglementaire

J’ai fait cette erreur sans en mesurer les conséquences : tout vouloir... protéger, faire du marketing, satisfaire les pêcheurs... et ça a conduit à une impasse.

Et ce n'est pas faute d’avoir été conseillé dans le bon sens, mon ami Olivier Plasseraud m’avait prévenu : "la destinée de ces endroits c’est de rester clandestin, sous les radars."

Le serait-il resté avec le développement du web pêche ? Probablement pas mais disons qu’on a grandement accéléré un déclin satisfactionnel programmé...

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Tarn
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Le Tarn en aval de Millau, un ex-haut lieu de la pêche des grosses truites, victime de son succès...
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Concernant le Tarn, on te confirme bien qu’aujourd’hui, le ressenti pour un pêcheur à la mouche ou au toc, qu’on partage tous les 2 ainsi que nos amis, est sans appel : tu attrapes des poissons qui dans leur immense majorité mesurent autour de 30 cm, avec quelques 35+ qui sont les jolies courantes et de rares 45+… plus rien à voir avec la grande époque des 50+ qui gobaient les olives en rang d’oignons !

Et sur la rivière Ariège alors ?

Le contexte n’est pas du tout le même, la rivière est un vrai biotope à truite qui constitue la majorité de la biomasse présente.

Grand milieu, beaucoup de bouffe, une thermie favorable avec les soutiens d’étiage des barrages amont (on est loin des 25 degrés du Tarn à Millau) : les poissons de 4 ans qu’on observe font 40cm. Donc si on doit prendre des mesures restrictives pour faire de l’halieutisme, c’est clair, c’est là qu’il faut le faire ! Mais mais mais... la PKD vient assombrir notre contexte.

Rappelons très rapidement l’équation qu’elle nous pose grâce à l’exemple de l’article n°2  avec l’inventaire de Savignac :

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PKD Savignac
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Recrutement en truites fario rivière Ariège secteur Savignac en 2016
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La PKD a un effet de goulot d’étranglement : on peut avoir de belles productions d’alevins mais l’année d’après on a une très grosse perte et les 1+ sont ratiboisés. On trouve ce modèle sur toute la rivière avec des endroits plus en souffrance que d’autres en fonction notamment de la température.

Fort heureusement, comme on peut le voir dans l’exemple, des truites survivent et on parvient à conserver un stock de poissons ≥ 2+ que nous essayons de gérer, de bien répartir entre les pêcheurs avec un quota à 2.

Comme je le disais dans la partie 1, nous n’avons pas – même avant l’instauration du quota à 2 - de mauvais retours des pêcheurs... ils n’en prennent pas beaucoup mais elle sont de belles tailles et à l’évidence ça compte énormément pour leur satisfaction

Je profite de la présence de Matthieu qui accumule beaucoup de sorties sur la basse Ariège pour lui demander son ressenti : une réglementation pêche laxiste empêche-t-elle d’avoir des gros poissons en nombre ?

(Matthieu) Clairement pas ! D'ailleurs je peine même à croire que certains peuvent prétendre qu’il n’y a pas de gros poissons sur l’Ariège !

A ce sujet, on me rapporte par exemple que la pêche au vairon ruine la satisfaction des pêcheurs de grosses truites à la mouche sur l’Ariège !...

Alors là factuellement, en ayant les pieds dans l’eau, je constate que le prélèvement est tellement à la marge sur ces secteurs que c’est presque une perte de temps que d’en discuter ! Le dernier pêcheur que j’ai croisé au vairon sur l’Ariège ça remonte à des années, aussi loin que le dernier poisson de plus de 40 cm que j'ai vu prélevé… tu vois un peu l’ordre de grandeur...

Le témoignage de Matthieu est important car c’est un pro qui vit du guidage où la satisfaction client est primordiale.

Il prend tout son sens dès lors qu’on se penche sur la mesure réglementaire qui fait du bruit actuellement : la fameuse fenêtre de capture...

Déjà, on l’a vu dans la partie 2, on zappe d'emblée la dimension biologique au sens de la préservation des géniteurs pour faire de l’alevin, c’est un non sens on l'a dit. Concentrons-nous uniquement sur son intérêt halieutique : cette mesure peut-elle augmenter significativement le stock de gros poissons au point d’améliorer la CPUE (Capture par Unité d’ Effort) d’un pêcheur ?

En théorie, la fenêtre a du sens sur les cours d’eau à forte croissance c'est-à-dire là où on peut autoriser les pêcheurs à taper dans une cohorte très abondante, par exemple les [20-25]cm. Reprenez les résultats du Vicdessos (croissance bien plus faible), où voulez-vous placer la fenêtre ? Au dessus de 26cm, y’a quasiment pas de truites donc vous ne protégez rien ! (rires)

Revenons sur les parties basses des grands cours d’eau à forte croissance avec imaginons, une fenêtre de capture nous obligeant à relâcher tout poisson au dessus de 25cm (exemple). Si notre objectif repose sur l’augmentation du nombre de gros poissons, en théorie, c’est alléchant mais pour que cela soit efficace, la mesure doit sauver du prélèvement beaucoup de poissons. Idevient impératif d’estimer le nombre de gros poissons qui sont sortis chaque année du système par les pêcheurs...

C’est tout le problème du diagnostic de l’état initial des populations de grosses truites sur les grands milieux, comment évaluer le nombre de gros poissons présents avant la mesure et après son instauration ? comment procéder techniquement sur une rivière de 30-40m de large sans cumuler les biais rédhibitoires pour faire de la bonne science ?

On peut reprendre l’exemple du Tarn : si le prélèvement sur l’Ariège, comme en témoigne Matthieu, n’est pas si important que ça et que la fenêtre de capture sauve disons 10% des truites, à l’échelle des personnes supplémentaires qui vont venir pêcher suite à l’instauration de cette mesure à la mode, les 10% sauvés ne vont satisfaire personne... ce sera totalement transparent !

Un autre point qui doit nous pousser à la réflexion et va dans le sens de Matthieu : quel est le profil des pêcheurs qui en 2022 sont en capacité technique de prendre régulièrement des grosses truites sur une grande rivière comme l’Ariège ou le Salat ? à mon avis, plutôt de ceux qui leur font une bise et les relâchent... ça ne plaide pas dans le sens d’un fort prélèvement...

J’ai donc beaucoup de doutes sur notre capacité à faire de la science sérieuse sur des milieux aussi vastes.

Néanmoins, avec nos collègues de la FD65, nous avions voulu mettre en place la fenêtre de capture, eux sur l’Adour et nous sur la basse Ariège mais ça nous a été refusé par la DDT au dernier moment… ça illustre le fait (et les pêcheurs s’en sont aperçus à leurs dépens au sortir du confinement) que selon les préfectures, les textes de loi sont lus de façon plus ou moins souple… nos arrêtés ariégeois sont régulièrement attaqués par les associations donc la préfecture est à cheval sur la moindre poussière qui sort du cadre et donc on a été retoqués au nom d’une incompatibilité avec le code de l’environnement.

Actuellement, on a donc un quota à 2 qui fait sa vie et semble convenir aux pêcheurs.

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pêche ariège
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La synthèse de ces 2 exemples se résume finalement à une satisfaction conditionnée par un stock de gros poissons en place en rapport à une fréquentation ?

Oui, et tout le reste, c'est du gadget réglementaire, du marketing à l’effet plutôt néfaste... C’est une conclusion un peu désenchantée et assumée : lorsqu’on souhaite optimiser, développer des parcours sur des grosses truites sauvages, aie, ça pique,  nos possibilités se réduisent comme peau de chagrin...alors qu’en revanche c’est bien plus simple quand on artificialise les populations par du déversement de truites, on peut alors faire des parcours à thème et communiquer dessus...

J’irai même plus loin : ne vaut-il mieux pas avoir une réglementation uniforme sur un département sans communiquer sur des parcours spécifiques à truites sauvages et laisser les pêcheurs les découvrir par eux-même ? les clandestins comme les classiques ? toujours dans l’idée de diluer la fréquentation...

D’ailleurs, pour enfoncer le clou, on peut également penser au Gave d’Oloron qui a connu le même sort que le Tarn, en pire... parce que le Gave ça représente quand même autre chose que le Tarn en 2ème ! Demandez aux aficionados du Gave les conséquences du film promotionnel de la FD/CG 64 sur la capturabilité des poissons/satisfaction pêcheurs… 

Le manque d’espace, de linéaires de qualité à gros poissons bride en permanence notre capacité à en faire la promotion, ça nous renvoie à la première partie de notre interview sur la pêche à l’étranger avec, à certains endroits de vastes espaces salvateurs...

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pêche ariège
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Laurent, on arrive au bout de cet entretien, quel en serait le résumé ?

On vient de balayer beaucoup de choses, en résumé : retenir que la réglementation ne fait pas de la biologie mais de l’halieutisme, sans y parvenir à chaque fois... si tant est qu’on choisisse très bien les zones où l'on veut le faire sans les transformer en autoroute à pêcheurs sinon on casse leur très fragile satisfaction...

On a vu également qu’une réglementation dite clientéliste ou encore laxiste permet d’avoir de très belles populations avec parfois une bonne centaine de truites maillées en fin de saison de pêche dans une entente réciprocitaire capable de fournir, au passage, 2 champions du monde ariégeois de pêche à la mouche qui y ont probablement trouvé un bon terrain d’entraînement mais aussi de faire bosser des guides sur des grosses truites par exemple. Je considère que ce n’est pas si mal que ça pour les irresponsables et arriérés que nous sommes à en croire certains ! (rires) Surtout qu’on a fait le pari de faire de la science avant d'agir, sans tomber dans le marketing simpliste.

D’aucuns répondront qu’on peut mieux faire...

Et oui, alors pourquoi pas un no-kill de 30 bornes sur la Basse Ariège pour gagner en capital sympathie d’une frange croissante de pêcheurs ?

On a encore des pêcheurs qui vont à la pêche sur la basse Ariège dans le but de manger 1 ou 2 poissons sauvages. Le problème pour les gestionnaires, c’est de vouloir satisfaire tout le monde, l’offre de pêche est cohérente sur cette Ariège nous avons passé le quota à 2, nous avons créé 2 no-kill de plus de 2 km qui viennent se rajouter aux autres ce qui fait au final presque 6 km...

Je rappelle aussi que les no-kill, on les met où l’on peut et pas là où l’on veut ! On n’est pas en Espagne où les berges appartiennent à l’Etat qui fait ce qu’il veut, idem dans beaucoup de zones aux Etats-Unis, en Norvège…

Regardez le dépliant de la FD09, même sur des no-kill que certains considèrent comme « trop courts », on a des mentions « sauf parcelles x ou y » en raison des riverains qui n’ont pas signé car ils veulent toujours pouvoir manger des truites en bas de chez eux ! Il y a des centaines de riverains à faire signer pour créer des longs parcours no-kill, imaginez le bordel ! Tout ça est très compliqué à mettre en place… on se heurte réellement à cela…

Et une fraction d’entre eux peut tout faire capoter ?

Oui car imaginons que plusieurs ne signent pas, nous derrière, on va aller voir la DDT en leur disant : bon là sur 100m c’est no-kill puis en rive droite de ce point à celui-là, ce n’est pas le cas, puis rive gauche…etc etc... Là on va clairement nous rétorquer que le projet n’est pas mature ! Ce qu’il faut dire et redire aux pêcheurs qui ne semblent pas le mesurer, c’est qu’aboutir à ce qu’on a là, c’est déjà pas mal !

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Ta conclusion donc ?

Au-delà de toutes les considérations techniques, réfléchissons un peu : si l’on n’a pas exterminé les truites dans les années 60/70 avec quota illimité, maille à 18 et des asticoteurs partout, c’est certainement pas les pêcheurs modernes au toc nymphe qui font des bisous aux poissons avant de les remettre à l’eau qui vont y arriver… cette histoire de la canne à pêche qui peut mettre en péril une pop, c’est un fantasme, une doctrine que certains agitent comme un chiffon rouge afin d’imposer aux autres leur vision de la pêche

Notre entretien casse des croyances et se veut assez désenchanteur, nous les pêcheurs passionnés de truites et de milieux, développons finalement une sorte d’anthropocentrisme consistant à appréhender la gestion de la truite au travers de la seule perspective humaine : on les pêche, on les aime, on veut les aider alors on développe tout un tas de bonnes intentions qui, comme on l’a vu, ont très très peu d’effets face à la puissance des variables environnementales qui façonnent nos populations.

Si on veut les aider, il faut maîtriser l'hydrologie (le robinet) aux moment clés de l'année (surtout quand les alevins émergent et l'été pour les habitats et la T°) alors on va dire que c’est moins difficile (hum hum) en montagne lorsque c’est l’industriel qui décide du débit avec des grands barrages qu'en piémont où c’est la pluviométrie et les pompages pour l’agriculture qui font pour beaucoup... L’hydrologie est fondamentale mais l’habitat l'est tout autant, on peut obtenir de beaux résultats en cas de déficit en créant des caches adultes au moins 2m²/100m² de cours d'eau.

Tout n’est pas noir, on peut agir mais on doit vraiment bien diagnostiquer techniquement le problème avant de se lancer et ainsi éviter de tomber dans la mesurette réglementaire avec sa triste conclusion habituelle : "si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal"... sauf qu’entre temps, ça flingue une partie de l’halieutisme et aussi des rêves de pêcheurs !

Je te propose de conclure sur ça !

Oui, je tiens aussi à préciser que toute cette analyse résumant presque de 25 ans d’une vie professionnelle dédiée aux salmonidés repose sur la collaboration étroite avec, en son temps les équipes fédérales du 12 (pensée à Martine Guilmet), bien sûr actuellement celles du 09, ses présidents et leur CA qui donnent une confiance totale à leur staff technique, avec les bénévoles indispensables à la construction du réseau associatif pêche, mais aussi avec mes amis Baran Philippe, Delacoste Marc et Plasseraud Olivier qui sont centraux au travers de nos échanges, partages et confrontations techniques depuis toutes ces années. Il y a un peu, beaucoup, de chacun d’entre eux dans tout ce que vous avez pu lire.

Merci Laurent, de nous avoir supporté pendant toutes ces heures, nous sommes certains que ces lignes feront réfléchir pas mal de lecteurs pendant longtemps ! Merci pour ton accueil et à bientôt !

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