Montage de mouches : d'où venons-nous ? Où allons-nous ?

montage mouche

1921 : "Les autorités obscurcisssent notre jugement..." 

Ainsi débute avec fracas "The Way of a trout with a fly" ("La Truite et la Mouche") de G.E.M Skues. La phrase en elle même est géniale, non?

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skues
Légende
GEM Skues, créateur de la pêche à la nymphe
Texte

Provocation envers un ordre établi, un cri de révolte sous un ciel plombé par le dogme de l'époque qui se résumait alors à la pensée de Halford, grand contempteur de la pêche aval, des truites non-gobeuses et des mouches plus ou moins noyées. En osant penser différemment, en osant réfléchir plus loin, G.E.M Skues fit rentrer notre sport, notre art, dans l'ère du modernisme pour tracer une voie nouvelle, plus ouverte, plus universelle et finalement plus crédible. Nous devons énormément à Skues... Sans Skues, pas de Franck Sawyer... Sans Franck Sawyer, pas de pêche à la nymphe moderne, par exemple...

C'était un temps où ces grands noms de la pêche, parce qu'ils passaient leur vie le long de la rivière, qu'ils étaient fins observateurs et érudits, se sont érigés malgré eux comme références iconiques de la pêche à la mouche. A leur tour, ils devinrent "des autorités". Skues lui même était fortement critique vis à vis de ce qu 'il nommait "autorité" . En fait, il visait Halford, chacun l'aura compris ! Il considérait cela comme un problème, un plafond de verre qui l'empêchait de penser et d'agir. Mais quoique limitatif, le fait de se soumettre à une référence avait l'avantage de délimiter un cadre, promouvoir des parti-pris et d'établir une éthique...c'est d'ailleurs ainsi, je pense, et à ce moment là, que la pêche à la mouche allait revêtir son caractère culturel.

Citation
Les truites d'une certaine rivière se nourrissent de certains insectes à certains stades de leur développement. L'étude de ce principe simple doit être la base de réflexion dans laquelle tout pêcheur-monteur cohérent devrait s'engager.
Texte

Nous sommes un siècle plus tard, le problème est inverse aujourd'hui... Quid des autorités? youtube? facebook? internet en général? où le premier débutant passionné et hyper-actif (parlant de tout, ne comprenant rien!), peut devenir en quelques mois un référent possible ? La question se pose. C'est la mort des autorités, mais finalement, je ne sais pas si Skues s'en réjouirait.

Revenons à 2018. La pêche dite classique en a pris un sacré coup. Le matériel, les pêcheurs, l'état d'esprit - et la nature aussi un peu - ont beaucoup changé. Le schisme dans l'église vient, j'ose le prétendre, de la survenance chez le commun de la technique de pêche dite "de la nymphe au fil". Je fais là un simple constat, en aucun cas je ne dénigre une technique que je pratique moi même avec beaucoup de joie et en de nombreuses occasions. Cette méthode ultra-efficace et polyvalente, parfaitement maîtrisée par l'élite de nos compétiteurs, est sortie de sa confidentialité pour devenir la norme nouvelle... Si elle permet plus de prises et surtout la possibilité de pouvoir s'exprimer dans presque toutes les conditions, elle induit de façon irrémédiable une nouvelle vision de la pêche à la mouche chez les nouveaux adeptes, autant qu'elle sème le chaos dans l'esprit des anciens.

La nymphe au fil n'est pas critiquable en tant que méthode, elle est d'ailleurs passionnante à pratiquer et doit demeurer une corde supplémentaire à l'arc du pêcheur accompli. Je considère toutefois qu'elle doit être abordée avec un certain recul par ceux d'entre nous qui se préoccupent plus d'une quête de sens que du simple fait de rajouter quelques truites au compteur. En fait de schisme, cette méthode rompt avec le coté naturaliste de la vraie pêche à la mouche, celle déterminée par le rythme de la nature, le temps, les moments, et l'activité du monde aquatique. Et cet aspect, le naturalisme , est consubstantiel à notre art... Le rapport aux insectes notamment, ce lien direct à la nature s'étiole au grès de l'extension de ces nouvelles techniques. Victoire du résultat sur la connaissance, de la technique au détriment de l'observation, oubli progressif des gestes impliquant une certaine retenue, un désintéressement "quantitatif"...

Péché véniel certes mais petit drame dans le coeur des puristes. La perception générale de la mouche sèche en particulier, s'en trouve considérablement impactée. J'en veux pour preuve la composition contemporaine de la plupart des boîtes à mouches. Dans de trop nombreux cas, l'incohérence et "l' à peu près", des montages inadaptés (pour ne pas dire vulgaires...) prédominent. Les objections à cela sont toujours les mêmes, je les entends d'ici ! Il faut dire que je les ai toujours entendus ces arguments insipides, systématiquement décontextualisés et assénés avec une confortable assurance : "...de toutes façons, ça gobe plus!" , "...la mouche n'a pas d'importance, quand elles sont décidées, elles prennent n'importe quoi!"... j'en passe et des meilleures!!! Les truites gobent encore, pas tout le temps certes. Parfois même, elle prennent presque n'importe quelle mouche, oui c'est vrai...une ou deux fois par an. Je le concède, les truites gobent un peu moins, les éclosions se raréfient, c'est vrai aussi. Petite parenthèse à cet égard : Léonce De Boisset faisait le même constat en 1962 ...(L'Evolution De La Pêche à La Truite -Librairie Des Champs-Elysées- Paris 1962). 60 ans plus tard, ceci devrait nous inviter à la modestie et la méditation.

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baetis
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Pêcher à la mouche , ce n'est pas simplement prendre des truites...C'est je crois une acquisition lente et progressive d'une forme de philosophie naturaliste, un appel à la transcendance pour rester en lien avec ce quelque chose que nous sommes nombreux à ressentir et qui nous dépasse.
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Mises bout à bout, ces dérives successives influencent bien sur aussi les monteurs de mouches. Il y a ceux qui pensent que la mouche n’a pas grande importance, et il y a les autres. Aujourd’hui, les défenseurs de la mouche exacte à tout prix, cette chimère illusoire, se font rares et à vrai dire, on n’en rencontre guère, le principe de réalité ayant eu raison de leur entêtement. Pour ma part, je défends l'idée de la "mouche juste" corrélée à une grosse dose d'impressionnisme...J'y reviendrai. Dans les faits, je remarque que les nouveaux venus au montage ne font que se copier les uns les autres dans des imitations se voulant modernes mais surtout consanguines. Dans l'art du montage des mouches, le "comment" à remplacé le "pourquoi " on monte tel ou tel modèle. Le sens fait défaut. Beaucoup oublient que la conception des modèles et leur réalisation sont le véhicule de la pensée des anciens, des grands pêcheurs et monteurs « historiques». Le fil conducteur d’une culture, la quintessence de l’art à la pointe du bas de ligne.

Vous l’aurez compris, pour moi, c’est important. Une fois que l’on connait un peu les mouches et leur histoire (chaque artificielle digne de ce nom possède sa propre histoire), leur usage, les différents concepts de montage si on les monte soi-même, on avance plus vite. Je crois que le reste n’est que question de cohérence. Hélas, ou heureusement (c’est selon), cette aptitude à la cohérence requiert de nombreuses saisons passées au bord de l’eau. C’est donc très long, subjectif, et lié a un nombre toujours renouvelé de paramètres. Voilà pourquoi le même sujet fait autant parler (et écrire !) depuis l’aube des temps de notre sport, c’est sans fin.

Pour conclure je dirais en substance que les truites d'une certaine rivière se nourrissent de certains insectes à certains stades de leur développement. L'étude de ce principe simple doit être la base de réflexion dans laquelle tout pêcheur-monteur cohérent devrait s'engager. C'est à partir de cette approche que les articles qui suivront ici s'inspireront. Pêcher à la mouche , ce n'est pas simplement prendre des truites... C'est je crois, une acquisition lente et progressive d'une forme de philosophie naturaliste, un appel à la transcendance pour rester en lien avec ce quelque chose que nous sommes nombreux à ressentir et qui nous dépasse.

A propos de l'auteur

A 47 ans, Christian fait partie de ce que l'on pourrait appeler les "pêcheurs-naturalistes ". A une époque où le culte du nombre et de la taille des…