Jérôme Betemps, traqueur de cristi à la vie à la mort

pêche cristivomer

Jérôme Betemps est un pêcheur montagnard original : son dada à lui c'est le cristivomer ! Cet omble originaire du Canada le fascine depuis plus de 30ans maintenant, à tel point qu'il lui consacre la plupart de ses sorties en altitude, au sein de son territoire savoyard. Rencontre avec ce passionné qui nous fait pénétrer dans son univers :

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Salut Jérôme, le cristi et toi, une longue histoire... comment a-t-elle commencé ?

"Ce poisson, c'est avant tout une histoire de gamins, d'ados déjà passionnés par la pêche.

Avec mes 2 potes Fabrice et Cédric, nous avions 16 ans (quand j'écris ces lignes, j'en ai 47 !). C'était en juin 1992 au lac de Tignes (une autre époque pour ce lac et sa population de cristivomer), lors d'une sortie mouche organisée par nos aînés.

Je découvrai ce jour là dans le même temps le lac de Tignes, ce salmonidé méconnu qu'est le cristivomer et son représentant légendaire local affublé du nom de balafre (du à son immense cicatrice sur le dos) : un cristi monstrueux vivant dans la réserve du lac. Ce poisson, dans les dernières années de sa vie, devait approcher voire dépasser le mètre et les 10kg... malheureusement, personne n'a jamais eu l'occasion de vérifier ses mensurations !

En tout cas, cette rencontre scellera en moi une quête quasi mystique de ce poisson..."

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Aujourd'hui que représente cette quête pour toi ?

"Comme son nom l'indique, ce qui est important c'est... la quête ! Malgré tout ce temps passé là-haut, les années qui s'écoulent, la surfréquentation de nos montagnes post COVID-19 et ce poisson fantastique pris cette saison, ce qui me fascine et me fascinera toujours tant que je pourrai me lever la nuit, c'est la traque ! Cette attirance est sans doute liée à la nature des lieux où vit le cristivomer et aux créneaux horaires de sa phase alimentaire... il vous permet d'assister à ce moment incroyable où la montagne n'est rien qu'à vous ou à quelques privilégiés... Une vie ne suffirait pas tant il reste à découvrir de lieux et de lacs encore magiques pour pêcher ce poisson et assouvir ma passion."

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Quelle est ta technique favorite pour traquer ce poisson ?

"Je l'ai longtemps pêché au vairon manié (encore maintenant de temps à autre) mais aujourd'hui je privilégie la pêche aux leurres, à l'ondulante et au leurre souple. J'utilise le plus souvent une canne raide (un vrai piquet à tomate !) d'une longueur d'au moins 2m50 avec une plage de lancer située entre 5 et 30 gr. Un moulinet de taille 2000/2500 garni d'une tresse PE 1 à 1.5 max suivie d'un bas de ligne de 2m de fluorocarbone entre 18 et 25/100 suivant les lacs (abrasion, taille moyenne des poissons).

En ce qui concerne les leurres, je choisis, pour les souples, des tailles de 80 à 120 mm et des têtes plombées entre 5 et 10gr de type Black Minnow (Fiish). Les meilleurs coloris sont... ceux auxquels vous croyez ! Quelques metal jigs de 5 à 15 gr Lanka (Morpho), Mucho Lucir (Maria) figurent aussi dans mes boîtes.

Pour les ondulantes, il vous faut absolument la Tanza (Morpho) de Mathieu Cabar, une révolution dans la pêche de ce poisson (bon nombre de vairons peuvent lui dire merci !) en 10 et 15 gr. Sa nage si particulière en fait un véritable aimant à cristi.

J'emporte aussi quelques Lightning Wobbler (Tiemco) en 10 et 14gr.

Et pour clôturer le chapitre, sachez que ce poisson réagit très bien à la mouche, en sèche sur des terrestres et chiro émergents, et surtout en soie 6 ou 7 avec boobie en pointe et chiro en potence... une technique redoutable !"

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Parle nous de ton territoire de prédilection !

"Je vis sur Chambéry, au carrefour entre Savoie et Isère. Je pêche donc dans ces deux départements au rythme de mes envies durant la saison, ainsi que des paramètres de dégel, d'accessibilité, de fréquentation et surtout de la météo à l'instant T.

Ainsi, la décision de m'orienter vers tel ou tel lac de Tarentaise, Belledonne, Oisans ou Maurienne se fait souvent la veille au soir.

Pour ma part, je connais aujourd'hui une vingtaine de lacs où le cristivomer est présent, en densités et tailles plus ou moins importantes."

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"J'ai une préférence pour les lacs naturels, certains de type glaciaire. Si j'ai le choix, j'évite les lacs de barrage car le marnage parfois imprévisible de ces ouvrages a tendance à perturber, voire caler les cristivomers.

De plus, le décor de ces plans d'eau est un peu trop anthropisé à mon goût. Je précise d'ailleurs que leur accès est souvent aisé (en voiture ou via une marche d'approche de moins d'1h sur des sentiers très marqués), ce qui en fait une destination idéale pour celui qui souhaite débuter la pêche du cristivomer, ou ceux qui n'ont malheureusement pas la condition physique pour accéder aux altitudes plus élevées...

Que ce soit en lac naturel, glaciaire ou lac de barrage, je recherche les "omblières", à savoir des pentes plus ou moins importantes jusqu'à une profondeur maximale de 10m, ainsi que les plateaux et-haut fonds inférieurs à 6m de profondeur. En effet, au delà de 10/15m, les ombles comme le cristi sont sur des postes de repos et non de chasse. Mis à part la pêche au posé qui permet de profiter de l'opportunisme de ce poisson, les techniques actives (leurre, vairon manié, streamer) deviennent quasi improductives dans des profondeurs aussi importantes."

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Décris nous ta sortie type au cristi !

"Le côté fun de l'histoire, en tout cas c'est mon ressenti personnel, c'est que le bon timing pour ce poisson est au lever du jour. Si l'on prend en compte le temps de route (pour moi entre 1h30 et 2h) et surtout la durée de la marche d'approche pour accéder aux lacs souvent situés entre 2000 et 2800m, cela nous donne en juin (une des meilleures périodes), un lever entre 1h et 2h du matin, une randonnée à la frontale avec sur le dos un sac dont le poids dépend de la durée du séjour. Au final, tu te poses parfois la question : "putain qu'est ce que je fous là à cette heure-ci".

Mais après tous ces efforts, là-haut, dans cette dans cette ambiance magique qu'est le lever du jour, quand sur tes premiers lancers tu perçois cette touche si particulière... tu oublies rapidement les souffrances endurées! bref, généralement, après un petit déjeuner rapide mais obligatoire, tu pêches tant que le soleil n'a pas frappé la totalité du lac. En effet, l'activité de ce poisson diminue radicalement avec la lumière. 

Le retour se fait (si pas de bivouac) vers 11h pour être à la maison vers 14/15h, après une bonne matinée de pêche et plus de 12h dans les jambes."

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Quels sont les prérequis pour celui qui souhaite s'y frotter ?

"Le facteur essentiel à prendre en compte pour la traque de ce poisson et qui conditionne tout, c'est son habitat : la haute montagne. Ainsi, exception faite de quelques lacs de barrage ou réservoirs de station de ski accessibles en voiture, la plupart du temps (et tant mieux !) il faut s'attendre à une bonne randonnée ! Ceci implique quelques précautions et un minimum de logistique. J'emporte toujours le même sac (même si une tempête de ciel bleu est annoncée), il est composé de :

  • une veste étanche Gore-tex,
  • une doudoune compacte ou une polaire,
  • un haut thermique (ice breather, damar),
  • une frontale (malgré cet accessoire, ne jamais tenter une rando de nuit si vous ne l'avez pas déjà faite de jour),
  • un chest pack (pêcher léger, c'est essentiel !),
  • une trousse de premier secours,
  • un couteau/briquet,
  • un sifflet (tu cries 10min puis tu souffles pendant des heures),
  • un casse croûte (barres de céréales, compotes..),
  • de l'eau (même si l'on en trouve là-haut la plupart du temps).

Je fixe tout sur mon sac, je ne porte rien dans mes mains à part des bâtons de marche (essentiels soit dit en passant car ils évitent de se défoncer les genoux à la descente).

Enfin, une bonne paire de chaussures de montagne (le plus important ce sont vos pieds, ce sont eux qui vous permettent de redescendre) complète le tout.

Voilà pour le côté matériel, ensuite, passons à un point important : il faut choisir un effort adapté à l'entraînement effectué ! Ne faites pas vos monchus, faites preuve d'humilité et de respect envers la montagne. Jouer les héros là-haut c'est jouer à un jeu perdu d'avance !

Et surtout pour finir, vérifier systématiquement la météo à l'instant T, s'il y a un doute, c'est qu'il n'y a pas de doute : restez chez vous ! Un orage en montagne reste une expérience terrifiante, croyez moi !

Si vous prenez en compte ces quelques conseils, l'expérience de la traque du cristivomer, quel que soit le résultat, reste et restera un souvenir impérissable."

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Bon, peux-tu nous faire le récit de cette capture hors norme de cet été ?

"Je crois que je pourrais en parler pendant des heures, tant ce moment est gravé en moi dans les moindres détails... 

Bon pour faire court, cela s'est passé le 8 juin cette année. Ce jour là, nous décidons Simon, Quentin et moi de faire une "matinée cristi " : départ 2h du mat' de Chambéry, arrivée au lac de la Plagne vers 5h30. J'attaque à la Tanza vu l'heure... Je commence toujours par pêcher un plateau avec 5/6m de profondeur à cette heure de la journée. J'ai la certitude que les gros sujets montent des profondeurs pour chasser sur ce type de haut fond.

De mémoire, nous touchons 2 poissons calibrés autour de 40cm. Il doit être 6h15 quand sur un énième lancer je prends cette touche, plutôt ce rebond, si particulier...

Ferrage de tuche (comme à mon habitude) et puis plus rien...sur le moment j'ai la sensation d'avoir accroché une serpillère... puis viennent les coups de tête, lourds, brutaux même... je suis "oursé" comme dirait Quentin. S'en suit un rush de 40m interminable, inarrêtable quand enfin, il stoppe sa course. Je sais pertinemment qu'il va me la jouer mérou : droit dans les cailloux !

Inconscience ou fruit de l'expérience, j'ai le réflexe de monter sur la butte située derrière moi... connu pour ma délicatesse légendaire lors des combats (moins le poisson passe de temps dans l'eau, plus j'ai de chance de le sortir non ?), je bloque la bobine avec ma main et pompe énergiquement pour l'empêcher de rejoindre sa cache.

Alignement des planètes ? coup de chance ? récompense divine ? Quoiqu'il en soit ce 8 juin, grâce au courage ou à la folie de Quentin qui dès le début du combat, posera sa canne et se jettera dans une eau glaciale pour assurer un coup de raquette magistral et immortalisera à tout jamais cet instant. Encore merci les copains, celui-ci je vous le dois !

J'exulte, je hurle (de mémoire de marmotte, jamais entendu ça). Viendra le verdict sur la toise : 101cm. Un poisson parfait avoisinant les 9kg. Un truc de dingue !

Ici, sur mon lac.. en 19/100, à la Tanza, un rêve éveillé. 

Pour finir en beauté, nous avons eu des conditions optimales pour la remise à l'eau de ce poisson hors norme : il a passé peu de temps hors de l'eau dans un air frais... le top !"

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Est-ce que cette capture hors norme était une finalité en soit, comment vas-tu entretenir la flamme désormais ?

"Une finalité ? Plutôt une récompense incroyable ! Je le prends personnellement comme un honneur. Sérieusement... un cristi métré, ici ? chez nous ? Dans un monde anthropisé comme le notre, avoir le privilège de croiser un poisson de plus de 20 ans d'âge à l'état sauvage, c'est presque impensable !

Pour te rassurer et au risque de me répéter, le plus important pour moi reste sa recherche, et crois moi pour ce qui est d'entretenir la flamme, elle n'a jamais été aussi attisée au final !

Et puis mon ami Simon me dira à juste titre ce jour-là cette phrase parfaite pour la motivation : "Hé Jé, tu sais, s'il y a un 101... il y a forcément un 102..."

C'est tout ce qu'on te souhaite Jérôme, merci pour le temps que tu nous as accordé !

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Le cristivomer (Salvelinus namaycush) est un omble originaire d’Amérique du Nord. Il est reconnaissable à sa parure vert olive/gris foncé, parsemée de taches claires. Grâce à sa longévité hors du commun, le cristivomer peut atteindre des tailles impressionnantes, il dépasse fréquemment le mètre dans son pays d'origine et peut peser plusieurs dizaines de kilogrammes.  En France, la plupart des individus mesurent moins de 40cm, en raison de la pauvreté des biotopes qu'il fréquente. En effet, le cristivomer est une espèce ichtyophage. Connu pour son caractère lucifuge, il préfère les eaux profondes pour ses phases de repos mais il monte fréquemment chasser sur les bordures aux extrémités du jour. Introduit dans de nombreux lacs d'altitude des montagnes françaises au début du XXème siècle, il s'est naturalisé dans certains d'entre eux où sa reproduction est avérée. Ces introductions sont aujourd'hui décriées en raison de l'impact de ce poisson sur les biocénoses en place, notamment les amphibiens.

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