Leurre : bien pêcher les étiages de début de saison

truite leurre

Malheureusement, la tendance hydro-météorologique tend à se confirmer année après année : hormis lors de crues brèves mais de grande ampleur, les débits de nos rivières s’amenuisent et les périodes de basses eaux apparaissent de plus en plus précocement dans la saison. Il peut subsister quelques exceptions ponctuelles et/ou locales (globalement, le phénomène est exacerbé sur la zone méditerranéenne, bien visible dans le Sud-Ouest de la France et plus atténué ailleurs), mais la diminution de la ressource en eau est une tendance lourde qui semble toucher la quasi-totalité des bassins-versants situés sous nos latitudes. Ainsi, nous constatons de façon régulière des étiages sévères dès le mois de mars. Et en mars, il y a un rendez-vous bien particulier qui attend chaque amateur de mouchetées : la sacro-sainte ouverture de la truite ! Malgré des débits toujours plus faibles, essayons de mettre toutes les chances de notre côté pour faire en sorte que cette échéance si attendue soit réussie.

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L’étiage de fin d’hiver/début de printemps

Les précipitations hivernales régressant, les cours d’eau connaissent logiquement des étiages assez stupéfiants dès la fin de cette saison, d’autant plus que les précipitations qui se sont formées sous forme de neige en altitude n’ont pas encore fondues pour soutenir les débits. Je ne vais pas m’étendre sur le phénomène mais même la fonte des neiges telle qu’on la connaissait dans les Pyrénées il y a quelques dizaines d’années semble révolue (cette fameuse transformation en eau de ruissellement massive et soutenue en mai-juin rendant l’exercice de la pêche assez délicat...). La fonte nivale a désormais lieu tout au long de l’hiver, le rythme s’accélérant quelque peu au printemps, s’il reste encore de la neige (ce qui est de moins en moins le cas)…

Lors de l’année 2021, j’ai pu constater sur certaines rivières de l’Est des Pyrénées françaises des étiages très sévères, jamais vus pour ma part, et cela dès le mois de mars. Par exemple, la Têt à Perpignan n’a pas dépassé les 1 m3 par seconde sur plusieurs journées. Je parle bien d’un fleuve côtier de près de 120 km dont la grande majorité du bassin-versant est bordée de sommets frôlant les 3000 m d’altitude. Le changement climatique a des conséquences que tout pêcheur peut constater lors de la pratique de son loisir. Les sécheresses sont récurrentes et l’agriculture et/ou l’hydro-électricité ne laissent que quelques gouttes aux rivières et à leurs habitants. Les conséquences à long terme sont néfastes pour les milieux et pour notre loisir. Mais à court terme, durant la période de l’ouverture, les basses eaux peuvent s’avérer un atout pour le pêcheur de truites...

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Des conditions finalement propices à la pêche

Ces étiages apparaissant tôt dans l’année se produisent alors que l’atmosphère n’est pas encore trop chaude, ce qui limite les risques sur la vie aquatique. L’eau reste fraîche et le taux d’oxygène dissout est suffisant pour les salmonidés qui sont très sensibles à ces paramètres. Si en été sécheresse et canicule peuvent avoir des conséquences désastreuses sur la survie des populations de poissons et a fortiori sur l’activité pêche, en début de saison, les étiages permettent à la température de l’eau de gagner quelques degrés, d’autant plus si le soleil brille et les températures sont clémentes. Ce réchauffement mesuré sera très bénéfique pour l’activité des truites, ces dernières appréciant à la sortie de leur léthargie hivernale ce genre de conditions thermiques plus douces et plus en phase avec leur optimal. Il y a fort à parier qu’elles seront dehors à se nourrir des premières éclosions se manifestant.

Aussi, d’un point de vue technique, il est aisé d’atteindre les poissons par basses eaux. Le pêcheur a plus de facilité pour présenter son leurre correctement à une truite dans 1m3 d’eau qu'au même salmonidé placé sous 10m3. L’impact de la dynamique du courant sur la dérive et la gestion de la bannière sera bien moins important lorsque les débits sont faibles. La bonne présentation du leurre est plus évidente, la façon de procéder s’en trouve simplifiée.

Des postes moins nombreux

L’étiage prononcé a des conséquences sur la répartition des truites. Ces dernières ont tendance à délaisser les secteurs où la hauteur d’eau est devenue trop faible où elles ne se sentent plus en sécurité. Elles gagnent les profonds. Il est possible d’observer dans la même poche plusieurs poissons regroupés dans quelques mètres carrés, parfois même des spécimens de belles tailles. Cette promiscuité et la cohabitation qui en découle est peu connue chez ces individus très territoriaux. Mais ils semblent s’en accommoder. C’est donc dans les fosses qu’il faudra axer sa pratique, surtout si les beaux sujets sont l’objectif.

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Soyez furtif

Dans ces eaux basses et claires, la méfiance des truites est à son paroxysme. La discrétion est plus que jamais de mise. C’est un facteur primordial pour réussir sa sortie lors d’un étiage. Observez bien le profil de la rivière avant de débuter la prospection. Essayez d’inventorier les postes les plus prometteurs et la façon de les aborder la moins voyante. Cette phase stratégique, avant l’action de pêche à proprement parler, permet de planifier son action en fonction des caractéristiques du linéaire du cours d’eau se dévoilant à la vision du pêcheur.

Les déplacements entre chaque coups doivent être calculés afin de se tenir autant que possible hors du cône de vision de la supposée truite. Arpentez les secteurs ombragés (s’il y en a et si les crues n’ont pas emporté tous les arbres du lit de la rivière) : un poisson au soleil ne voit pas ce qui se passe dans l’ombre. A l’approche du poste, la silhouette se rabougrit et les mouvements brusques sont bannis. Il faut constamment garder à l’esprit que la surface de l’eau est moins agitée pendant les étiages que lors de conditions hydrologiques normales et donc que ce qui se passe hors de l’élément liquide est bien mieux capté par l’œil du poisson.

Si les truites voient mieux, elles entendent aussi plus distinctement. Le moindre bruit sous l’eau, par exemple un galet qui roule sous la botte, sera plus nettement perçu par la truite, le tumulte engendré par le bouillonnement de l’eau étant moins important. Marchez à pas feutrés et faites attention où vous mettez vos pieds.

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Comment aborder le coup

Toujours dans un souci de discrétion, je pêche en remontant le cours d’eau et attaque quasi-systématiquement un poste marqué en lançant plein amont, parfois même d’assez loin, lorsque la topographie et la végétation le permettent. La truite se tenant face au courant, elle ne voit pas le pêcheur situé dans son axe arrière, qui représente son angle-mort en quelque sorte. Un chenal rectiligne et suffisamment profond se prête très bien à ces pêches up-stream. La prospection s’effectue par une succession de lancés parallèles les uns aux autres pour bien peigner la largeur du chenal (si le chenal est étroit, en ru ou ruisseau par exemple, un ou deux passages suffiront). Il faut faire attention à poser son leurre suffisamment loin de la zone de tenue pour, d’une part, ne pas effrayer le poisson d’un « plouf » indélicat et, d’autre part, laisser le leurre couler jusqu’à proximité du fond, car c’est dans cette dernière couche d’eau que se tiennent généralement les truites en début de saison. Poussé par le flux, le leurre passe rapidement. C’est une pêche de réaction. Le but est de déclencher une attaque réflexe de la part d’un prédateur posté. Un poisson nageur coulant rapidement ou un leurre souple de type finesse ou slug et monté sur une tête plombée à darter sont alors tout indiqués.

Une fois le secteur prospecté en pêchant vers l’amont, je remonte par la berge où je serai le moins visible afin de prospecter ce même coup en effectuant des lancés perpendiculairement au courant. La situation du pêcheur dans le champ de vision du poisson convoité nécessite de se soustraire à sa vue autant que faire se peut et de réduire l’amplitude de sa gestuelle pour ne pas alerter sa méfiance. De ce fait, les lancés sous la canne sont à privilégier à ceux par-dessus la tête. Après avoir touché l’eau, le leurre décrit un arc de cercle et les dérives se terminent plein aval, down-stream, donc. Ainsi, la vitesse d’évolution de l’artifice est plus lente qu’en pêche amont. Cela permet d’insister sur le secteur en s’aidant du courant. Shad slims judicieusement plombés et poissons nageurs aux flans plats qui tiennent dans les courants (certains fabricants les nomment « flats ») aideront grandement dans cette tâche.

Adapter son matériel

Il semble évident qu’une rivière n’est pas à aborder avec le même équipement selon qu’elle connait une crue ou un étiage. Durant les basses eaux, il est tout à fait conseillé d’affiner quelque peu son matériel.

Les leurres employés peuvent avoir des tailles légèrement plus compactes mais sans tomber dans l’excès. Nous sommes en début de saison et les truites sont normalement plus agressives que le restant de l’année et elles ne sont pas encore focalisées sur de petites proies. Des bouchées de 5 à 7 cm sont recommandées. Il est bien entendu possible de descendre encore en taille sur les ruisseaux. Par contre, ma pratique passée me laisse à penser qu’il ne sert à rien de monter beaucoup plus en grandeur même sur les cours d’eau majeurs lorsque les débits sont restreints, mais peut-être que d’autres ont connu des expériences différentes.

Au niveau des coloris, nous sommes dans la période de l’ouverture et tout peut fonctionner, des nuances les plus sobres aux plus extravagantes. C’est pour cela qu’il est intéressant d’avoir deux teintes dans ses boites : une qui contraste complètement avec le milieu ambiant et une qui se détache peu des couleurs de la rivière. La première, typiquement incitative, peut comporter du fluo, du rouge, du orange... mention spéciale à cette dernière couleur pouvant être particulièrement redoutable. La seconde, plus imitative, peut être représentée par certains coloris « barbeau », « goujon » ou « ayu » pour les fonds minéraux à dominante jaune-brun clair. Un « yamame » se marie parfaitement dans les rivières aux fonds gris comme on en rencontre fréquemment sur les bassins versants granitiques ou gneisseux. Un leurre verdâtre est adapté aux secteurs bien plantés en végétation aquatique. Par ailleurs, vous avez surement remarqué que les farios prennent les couleurs du milieu dans lequel elles vivent. Utilisez les teintes qui s’approchent le plus de celles des truites convoitées et vous serez dans le vrai pour votre gamme de leurres aux coloris naturels.

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La puissance de la canne peut être diminuée d’un cran par rapport à celle qui est utilisée habituellement. Si, pour un cours d’eau donné, une ML est généralement de sortie lors de débits moyens, durant les basses eaux une L sera toute indiquée. Par contre, s’il y a bien quelque chose qui ne doit pas diminuer c’est la longueur de la canne. Il faut garder un bras de levier suffisant pour que la ligne coiffe le moins possible le poisson, notamment en pêche amont. De plus, un blank court ne permettrait pas de se tenir en retrait par rapport au poisson et nous avons vu au-dessus que c'était très important dans la discrétion de l’approche. Gardez-donc votre longueur habituelle, celle qui vous convient lorsque la rivière connait son débit moyen.

Dans ces conditions au sein desquelles l’efficacité de la vision de la truite se trouve décuplée, un surcroît de longueur est indispensable au niveau du bas de ligne. Un minimum de 2m est recommandé. Pour mettre toutes les chances de son côté il est conseillé de nouer un bas de ligne en fluorocarbone et cela même si du nylon transparent est enroulé sur la bobine du moulinet. On ne fait pas mieux niveau discrétion dans les eaux claires. S’il y a de beaux spécimens, un bon 18 ou 20 centièmes fera l’affaire. Pour les poissons plus modestes, 14 ou 16 centièmes suffisent.

Quand pêcher ?

De mon expérience, il n’y a pas de contexte météorologique à préférer. Soleil, temps couvert, éclaircies… la couleur du ciel importe peu par basses eaux. Vous remarquerez que je ne parle pas de pluie. Ce phénomène pourtant naturel devenant tellement exceptionnel qu’il est peu probable. La température de l’eau qui n’est ni chaude ni froide (pour une truite bien sûr) doit favoriser cette absence d’exigence météorologique. Le milieu de journée me parait être le meilleur moment pour réussir à piquer quelques farios. C’est d’ailleurs souvent vers midi que la rivière se réveille avec l’apparition des insectes aquatiques.

Ces basses eaux de début de saison sont donc des périodes plutôt favorables à la pêche si l’on sait respecter certains des principes évoqués ci-dessus. Mais devoir pratiquer sur des rivières aux débits faméliques et dans des milieux de plus en plus dégradés, notamment sur les zones de piémont, ne correspond pas à l’idée que je me fais de la pêche de la truite. Le pêcheur recherchant les mouchetées dans des eaux fraîches et oxygénées au sein de paysages sauvages et préservés ne sera-t-il plus bientôt qu’une image d’Epinal ? Essayons malgré tout de profiter de cette ouverture 2022. Pour l’instant dans le Sud de la France les niveaux sont plutôt faibles, voir même très faibles. Les étiages sont là… Mais la situation hydrologique pourrait s’améliorer prochainement d’après les derniers modèles météo. Peut-être aurons-nous des débits soutenus pour l’ouverture. Tant mieux pour nos rivières et leurs habitants... et tant pis pour l’à-propos de mon article qui tomberait à l’eau !

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A propos de l'auteur

Comme ses aïeux, Pierre pêche depuis tout petit. A ses débuts, suivant la tradition locale pyrénéenne, il procède au toc. Mais dès le premier contact avec un lancer, il…