Géovan

Pêche des ombres en Laponie suédoise (Part 1)

ombres laponie

Il est 1h30 du matin en ce mardi 26 juin. Cela fait presque 7h que nous roulons, mon compagnon Olivier et moi, tout schuss vers le nord, depuis l'aéroport de Stockholm. Le repas frugal pris à la va-vite en début de trajet semble lointain. Quoique la luminosité importante de cette latitude soit un allié de choix pour un tel trajet nocturne, un arrêt s'impose car nous sommes au bout du rouleau. Depuis quelques kilomètres, le bitume enrobé de l'autoroute a laissé sa place à des routes plus sinueuses qui serpentent dans les denses forêts de pins et d’épicéas. Elles finiront par se transformer en gravel road, à l'approche de notre destination. L'exotisme inhérent à cette migration nordique nous envahit peu à peu…

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Nous parvenons enfin au gîte à 2h du matin, après plus de 700km de route. Nous pénétrons silencieusement dans l'entrée en espérant trouver quelques indications pour regagner notre chambre sans réveiller nos hôtes. Immédiatement, l'ambiance rustique conférée par l'étendoir à waders en bois de cerf dans le couloir d'entrée, rend l'endroit familier. Quelques secondes plus tard, Alban Regnoult, patron de Lappland Pro Natur, nous accueille, gueule enfarinée et caleçon bariolé apparent, pour un premier échange des plus original. Son camp de pêche au brochet se situe à proximité et il est chargé de nous présenter à nos hôtes lapons, Micke, Majelis et sa fille Sara (qui n'a visiblement pas été effrayée par ce barbu ténébreux provençal). 

Le lendemain matin, Alban doit nous quitter car c'est le plein boum dans son camp de pêche au brochet ; mais nous donne rendez-vous dans 3 jours pour un moment au bord de l'eau en notre compagnie. Micke, chef de famille conforme à ma vision (certes un peu éculée) du parfait nordique -flegmatique, regard droit et muscles saillants - nous briffe sur les secteurs et les accès à la Vojman River toute proche. Il nous distribue pour l'occasion une carte détaillée où figurent tous les chemins forestiers praticables en SUV. Il prendra même le temps de nous accompagner jusqu'au premier spot, en nous prévenant que les conditions sont tardives cette année car les précipitations neigeuses ont été très abondantes durant l’hiver (vue la canicule inédite qui a sévi durant l'été, heureusement qu’il en fut ainsi). Nous trouverons donc des eaux plutôt fortes et froides, mais cela ne devrait pas annihiler les classiques éclosions printanières qui font l'attrait de ce secteur. La pêche sera essentiellement axée sur les ombres, espèce endémique et majoritaire. La densité de truites fario semble plutôt faible (c'est avant tout une affaire de "gros poissons aux leurres" sur cette rivière).

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Vojman river
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A 11h, nous sommes prêts à en découdre. La rivière est majestueuse, puissante et large d'au moins 40m. Avec ses eaux sombres et ses gros blocs granitiques, elle a des petits airs d'Allier aval, en plus impressionnant toutefois. Les niveaux semblent importants, au vu des herbes rivulaires immergées. Nous descendons tranquillement le long de la berge pendant quelques minutes et nous nous plaçons, Olivier et moi, à une cinquantaine de mètres d'intervalle. Je choisis de débuter par une portion variée avec une petite île dont les 2 bras présentent des faciès bien différents, ce qui devrait permettre de glaner rapidement quelques infos sur la tenue des poissons. Je remarque immédiatement plusieurs espèces d'insectes dérivant en surface en cette fin de matinée, dont plusieurs mouches de mai massives qui s'élèvent élégamment au-dessus des courants.

Juste à l'amont de la cassure engendrée par l'île, une fin de rapide me fait de l’œil et c'est là que j'envoie mon premier tandem de nymphes. Dès les premières dérives, les ombres de tailles modestes s'enchaînent, ne laissant aucun doute sur la densité du secteur. Parmi eux se trouvent deux truites à la robe sombre assez typée.

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truite Laponie
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may fly
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La prospection se poursuit donc avec les deux bras de l'île. Je fais choux blanc dans celui de droite, plus maigre et marqué. De l'autre côté, se dessine une longue veine de courant caractéristique : une tête puissante et moutonnée dont le couple vitesse/profondeur change progressivement jusqu'à mourir dans un immense plat profond et plus mou. Quelques poissons sont déjà en train de gober dans la fin du pool.

Je démarre la veine en aval, en réalité le plus en aval possible compte tenu de la profondeur importante dès la berge avec le niveau actuel. Je comprends aussitôt pourquoi des gilets de sauvetage nous ont été prêtés : ça pousse fort et le substrat hétérogène couplé à la couleur thé de l'eau compliquent sacrément la pratique du wading. Un bâton est à prévoir, même pour les pratiquants les plus aguerris et sportifs. La partie intermédiaire de la veine ne m'apporte rien et c'est en remontant dans un courant plus puissant que les premières touches sont enregistrées. Cette logique nous accompagnera jusqu'à la fin de notre séjour : si vous rechercher les ombres à la nymphe (ou plus généralement sous l'eau), il faudra rechercher des couples importants. Peigner les gros tubes centraux, même ceux qui semblent à priori trop violents, est très porteur et vous serez surpris de voir où se tiennent ces diables d'ombres !

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pêche Laponie
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Je retrouve mon compagnon Olivier qui a pris des poissons en nymphe lui aussi, après avoir prospecté en vain une bordure en sèche. Nos observations se recoupent : les ombres lapons, encore plus que leurs homologues français, se tiennent préférentiellement dans la partie centrale du cours d'eau.

A 13h, pause déjeuner : nous apprécions le panier repas concocté par nos hôtes, et c'est aussi l'occasion de croiser le fer avec les premiers moustiques locaux qui nous avaient encore relativement épargnés jusqu’alors...

Après le repas, nous partons en quête de gobages sur le lisse juste en amont de notre point de restauration, où plusieurs poissons crèvent déjà la surface. Au vu de la variété incroyable d'insectes dérivant au moment de les attaquer, le choix de la mouche est difficile. Les gobages sont assez sporadiques et le niveau d'eau très tendu complique probablement la donne. Il faut user de patience pour parvenir à ferrer un ombre en surface. Olivier émet l'hypothèse selon laquelle une bonne présentation prévaut sur le modèle de sèche utilisé dans ces conditions d'eaux fortes. Les poissons semblent lui donner raison et il réalise plusieurs captures en pêchant trois quart aval, avec de petits sedges roux en bécasse taille 14 et 16. Nul doute qu'avec des débits moins conséquents, les perspectives de pêche en surface auraient été énormes, tant nous avons été bluffés par l'ampleur des éclosions lors de ces quelques jours de pêche. Pour les adeptes de la technique, la pêche en noyée aval mérite aussi que l'on s'y attarde car de nombreux pools s'y prêtent à merveille.

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sedge
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pêche Laponie
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pêche Laponie
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Le deuxième jour, Olivier est déjà las de balancer des enclumes en tungstène (j'avoue m'en accommoder bien mieux que lui), et nous planifions donc de pêcher un volume d'eau plus modéré, si possible en sèche dès le début de journée. Nous faisons part de nos attentes à notre hôte et, en bon pêcheur local maîtrisant parfaitement son territoire, il nous propose immédiatement de tenter un affluent situé à une cinquantaine de kilomètres. Comme la veille, il nous guidera sur le spot. La rivière large d'une dizaine de mètres coule entre deux plans d'eau et ne fait que quelques kilomètres de long. Nous retrouvons pour l'occasion une pêche plus légère et plaisante. Comme ailleurs en Laponie, la configuration alterne entre lisse tourbeux et portions caillouteuse plus pentue, de sorte qu'il est possible d'établir de réelles stratégies de pêche selon l'humeur des poissons, ou de ne pêcher qu'un type de coup, selon l'envie du jour. Nous prendrons ici quelques ombres et truites en sèche, en pêchant les parties amorties et les têtes de lisse. Ces farios sombres fortement ponctuées de noir sont splendides.

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pêche Laponie
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pêche Laponie
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Sur la route du retour, nous passons sur la Vojman et décidons de revenir sur le secteur de la veille, mais berge opposée.  A ce moment, nous croisons deux pêcheurs danois. Nous les saluons et en profitons pour leur poser quelques questions : ils confirment que les niveaux sont vraiment importants en début d'été, et que cela perturbe sans doute les montées d'ombres en surface. Ils viennent pourtant à ce moment de l'année car les éclosions y sont nombreuses et la pêche en sèche d'ordinaire excellente. Nous remarquons d'ailleurs que ce sont des sedges roux qui ornent leur accroche mouche... 

Arrivés au bord de l'eau, nous observons que la rivière forme un léger coude à cet endroit.  Nous évoluons sur la berge convexe, celle où passe la veine porteuse.  L'occasion est rêvée de mettre quelques coups de nymphe dans cette veine principale, d'ordinaire trop éloignée pour être prospectée correctement avec nos cannes à mouche 10 pieds soie de 3 (la nymphe au toc pratiquée avec une canne de plus de 3.80m serait d'ailleurs bien plus adaptée à cette pêche en dérives, lourde et éloignée). Après avoir monté une pointe longue et fine - je n'hésite jamais à descendre en 10/100 pour les pêches d'ombres afin de favoriser l'immersion des nymphes et la qualité de la présentation, ces derniers n'étant pas des foudres de guerre une fois ferrés- je démarre le lignage et rentre plusieurs poissons du calibre supérieur à ceux de la veille, tous assez voisins en taille (des individus autour de 45/46 cm). En fait, tout au long de notre séjour, nous remarquerons cette propension marquée des ombres à se regrouper par classe d'âge sur les postes. Même si cette règle n'est pas infaillible, elle s'est vérifiée à de nombreuses reprises. Selon les dires des locaux, ces poissons autour de 45cm peuvent être raisonnablement considérés comme de « beaux poissons courants » pour la rivière. Les poissons de 50cm, quoique plus rares, ne sont pas pour autant anecdotiques.

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ombre Laponie
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pêche Laponie
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Pêche Laponie
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Le soir, Alban nous retrouve au gîte et nous dégustons un excellent chili con carne maison en sa compagnie. Moi qui avais été médisant au sujet de la gastronomie nordique sur le trajet aller, nos hôtes nous ont régalés chaque soir. Bien que je n'accorde pas une importance démesurée à l'alimentation lors d'un séjour de pêche intensif, je peux vous assurer que la longueur des journées peut être harassante sous ses latitudes à cette époque de l'année. Se restaurer dignement avec des produits sains et locaux est un luxe auquel nous avons été particulièrement sensibles, Olivier et moi. Le dîner vous sera servi vers 20h, ce qui constitue un horaire idéal en vue d'un coup du soir tardif. En effet, pour les plus motivés, il est tout à fait possible de pêcher après ce créneau horaire tant la luminosité extérieure est importante (un semblant de pénombre n'apparaît qu'entre 1 et 3h du matin environ).

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repas Laponie
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une entrée en circuit court : élan, renne, fromage Västerbotten et pain maison.
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pêche Laponie
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Pour cette fin de séjour, Alban est de retour et nous propose un programme des plus alléchants : afin de varier les lieux de pêche, il nous convie à une matinée sur un affluent totalement méconnu de la Vojman, dont il dispose du droit de pêche intégral. Son argument choc pour nous motiver évoque une multitude d'ombres gros comme ça... Je suis toujours de nature septique face à de telles révélations, sans doute la lassitude de fréquenter trop assidûment les réseaux sociaux, lieux d'échange peuplés d'un grand nombre d'obnubilés du centimètre et d'esbroufeurs patentés. Ayant toutefois un assez bon feeling avec le personnage (malgré ses goûts musicaux à gerber), je pars sans spéculer.

Nous arrivons sur le spot après une bonne heure de route et une fin de trajet sur un chemin scabreux où nous avons le loisir d'observer de lointains sommets enneigés, surplombant une steppe encore aride. A peine descendus de la voiture, les moustiques nous agressent et la rivière se découvre : elle est constituée d'une série de portions de radiers maigres resserrés (4 à 5 mètres de large) entrecoupés de grandes zones calmes et plus profondes (la hauteur d'eau excède rarement les 2m mais la largeur peut alors dépasser 20m). J'opte pour une 9’ soie 5 dans l'optique de pêcher en sèche. Plusieurs gros ombres sont déjà en train de gober dans la tête d'un profond et le premier ferré sur un sedge générique mesure 48cm... de bon augure pour le reste de la journée !

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ombre Laponie
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Dans le profond juste en aval, Alban prend quelques ombrets aux leurres (oui les ombres locaux ne font pas dans la dentelle), sa technique de prédilection. Il utilise ici un matériel polyvalent, lui permettant de rechercher efficacement ombres, grosses truites et brochets : à savoir une canne spinning assez longue de 7'5, puissance M, couplée à un moulinet taille 2500 garni d'une tresse fine. Alban n'utilise pas de fluorocarbone de gros diamètre pour ne pas handicaper la nage des leurres à ombre qu'il utilise majoritairement (poisson nageur coulant de 5 à 7 cm). Toutefois, je vous encourage à trouver une astuce permettant d'éviter les coupes de brochet (un fin bas de ligne en titane semble par exemple bien adapté). La matinée se poursuit au gré des postes, brochets et gros ombres s'enchaînent, en sèche et aux leurres. Notre guide s'offrira même le luxe de ferrer un brochet d'un bon 90cm, piqué au coin de la bouche, avant que je ne le rate lamentablement à l'épuisette…

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pêche Laponie
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Pêche brochet Laponie
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En fin de matinée, un poisson de 52cm vient cueillir mon sedge en surface puis Alban enchaîne avec un 51cm au poisson nageur. La densité de gros ombres est impressionnante !

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pêche Laponie
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Cette journée avec Alban nous permit de terminer le séjour en apothéose. Nous retiendrons de notre courte escapade le dépaysement lié aux paysages verdoyants nordiques, le peuplement piscicole faramineux de ce bassin versant, et enfin l’accueil de nos hôtes lapons, dont la bienveillance fut pour beaucoup dans notre plaisir et notre envie de revenir ! Si vous voulez tenter l’expérience, Nomade Pêche organise des séjours sur mesure durant la courte (mais intense !) saison de pêche, de mi-juin à fin aout.

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Pêche Laponie
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Infos pratiques :

Le secteur se situe à plus de 700 km au nord de Stockholm. Le climat continental offre des températures plutôt tempérées mais des amplitudes importantes en été : il peut faire jusqu’à 30°C l’après midi et plutôt friquet le matin. Prévoyez donc des vêtements variés. A noter que les moustiques peuvent vous gâcher certains moments de pêche tant leur présence est oppressante. La quasi-totalité des répulsifs (y compris les mixtures locales) sont peu efficaces sur certaines peaux…Pour en avoir fait les frais, je peux vous assurer que cette agression permanente peut vous conduire à la crise de nerfs à certains moment. Un chapeau avec moustiquaire intégrée, même si peu esthétique, est la solution ultime.

La rivière principale du secteur naît dans un lac naturel immense de 70km de long. Il représente l'archétype des plans d’eau suédois en termes de configuration et de peuplement piscicole. La population est composée de brochets et de truites lacustres. La rivière qui s'en échappe, théâtre de nos pérégrinations halieutiques, est indemne de toute installation hydroélectrique et de toutes autres atteintes modernes. Ses affluents sont également excellents pour la pêche.

Comme dans de nombreuses rivières suédoises, les ombres cohabitent ici avec une belle population de brochets. Le moindre bras secondaire, la moindre retourne est parsemée de roseaux propices à la tenue de ces poissons. Ils sont très agréables à prospecter en wading que ce soit avec des leurres de surface ou au streamer. Enfin, les adeptes des pêches plus spécifiques de gros spécimens en bateau pourront jeter leur dévolu sur le plan d’eau amont, quasiment vierge de pression de pêche.

Pour plus d'infos, contactez Sylvain Duvinage de Nomade Pêche :

 

Nomade Pêche

 

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Pêche Laponie
Géovan

A propos de l'auteur

Simon est né dans le département du Gers et a découvert la pêche à l'âge de 10 ans. Bien qu'initialement éloigné des rivières pyrénéennes qui lui sont chères…