
Mes deux premiers voyages en Suède pour y pêcher le brochet à la mouche avaient été de grande qualité (voir les récits ici). Ces deux dernières années, j’avais délaissé la destination pour des virées irlandaises ou ibériques mais les paysages du Nord commençaient à me manquer...
La Nature n’a en ces terres rien de bien sauvage (les forêts sont essentiellement cultivées en mono-espèce et les cours d’eau rarement libres de barrages), mais ces grandes étendues boisées, parsemées de lacs et de rivières, où il y a peu de signes de présence humaine, procurent un vrai sentiment de bien-être et de dépaysement.
Cette fois-ci, je voulais aller le plus au Nord possible. Je voulais prospecter des zones où la période favorable pour l’alimentation des carnassiers est courte - induisant des comportements agressifs -, pouvoir pêcher un maximum en surface, cibler le début de saison pour trouver les poissons encore proches des bordures.
Le cahier des charges défini, je faisais le tour de mon réseau pour trouver la meilleure destination possible mais réalisais alors que je m’y prenais bien tard. Au début de l’hiver, tout était complet pour la saison suivante.
Le salut vient finalement d’Adrien, de l’agence DKD Läika, quand il m’appelle pour me dire que suite à une annulation, il y a 2 places libres au Wild Lake Lodge la semaine de l’ouverture du camp, début juin. En suivant, le Camp Juno qui accueille habituellement les pêcheurs à partir du début du mois de juillet, nous recevra dès la mi-juin.
Le programme semble parfait, il est en effet difficile d’aller plus au Nord et d’y être plus tôt dans la saison.
C’est en compagnie de Jef, mon binôme depuis quelques années pour aller traquer les carnassiers à la mouche, que nous atterrissons à l’aéroport de Stockholm le 7 juin.
Il est possible d’arriver plus près des camps en atterrissant à Luleå, mais la correspondance n’est pas toujours pratique, le billet assez cher et la location de voiture plus simple à l’aéroport de la capitale.
Malgré notre arrivée tardive, nous prenons directement la route car le camp se trouve à 10 heures de voiture de l’aéroport. Jef, dont c’est le premier séjour nordique est impressionné par le calme qui règne à la sortie de l’aérogare. Les bus sont essentiellement électriques et la circulation bien fluide pour un aéroport international.

Dès les premiers kilomètres, les paysages typiques du Nord de l’Europe nous entourent. C’est un défilé sans fin d’une alternance de forêts de conifères, de lacs et de rivières, parsemés de maisons de bois rouges, parfois jaunes pour les plus anciennes. C’est beau même si c’est assez monotone et on s’y sent bien. Nous arrivons au Wild Lake Lodge le lendemain de notre atterrissage, les 70 derniers kilomètres se font sur une large piste en terre bordée majoritairement d’étendues d’eau. On aurait envie de s’arrêter partout pour lancer nos streamers et nous sommes maintenant impatients de passer à l’action.

Nous sommes chaleureusement accueillis par Andreas et Jonas. Andreas est italien et sourit tout le temps, il est guide de pêche et cuisinier professionnel, il gère le camp depuis 2020 (le camp existant depuis 2015). Jonas est quant à lui un jeune suisse francophone qui est venu pêcher l’année dernière comme client et est revenu cette année assister le boss.
Le camp est un vrai havre de paix. La piste qui y mène se termine en cul de sac quelques kilomètres plus loin. Il est situé au bord de l’immense lac Uddjaure et se compose de quelques petits bâtiments en bois. Il accueille uniquement 6 pêcheurs par séjour, hébergés dans 3 chalets différents.
Le camp se trouve à proximité immédiate du cercle polaire. Le dégel du lac s’est terminé il y a seulement 3 semaines. L’hiver les températures descendent sous les - 40°C et l’épaisseur de glace atteint un mètre. Pendant plusieurs semaines le soleil ne se couche plus. Nous sommes donc présents en ces lieux au début de la courte période où la flore et la faune explosent.
Place aux différentes options de pêche :


Le grand lac en barque motorisée
L’immense lac devant le camp est le terrain de jeu favori des pêcheurs aux leurres. Ce gigantesque plan d’eau minéral abrite une très grande quantité de grands brochets et il est possible d’y capturer plusieurs métrés par sortie. Pour exploiter cette véritable mer intérieure il y a trois barques en alu (une par binôme), équipées de moteurs thermiques et électriques ainsi que de sondeurs GPS. La navigation demande une grande prudence car il y a peu de fond et des rochers partout. Il est possible également de prendre des journées guidées avec Andreas. Son bateau puissamment motorisé vous permettra de découvrir des secteurs plus éloignés du lac et la connaissance du terrain de votre guide fera souvent la différence.

Les conditions étaient déstabilisantes au début pour nous, pêcheurs à la mouche, sur cet immense plan d’eau.
Il faut faire confiance aux indications d’Andréas sur les secteurs à prospecter car ce lac minéral n’abrite que très peu d’herbiers. Mais les poissons sont bien là, proches du bord, et ils sont de belle taille. Dès les premiers lancers, nous faisons bouger quelques gros spécimens et rapidement nous attrapons nos premiers brochets.

Une autre difficulté à gérer pour nous est le vent. Jef, après m’avoir harponné sur le sommet de la tête, à travers capuche et casquette, se plante profondément un streamer dans la main. Les ardillons n’ayant pas été écrasés par mon partenaire, il faut faire traverser la pointe de l’hameçon afin de la couper pour pouvoir extraire le leurre. Je pense qu’après ce magnifique doublé, il n’oubliera plus de supprimer l’ardillon.

Peu habitués au maniement des moteurs électriques, gênés par le vent et déstabilisés par un environnement si immense et dépourvu d’herbiers, nous avons du mal à trouver la pêche.
Pourtant, le potentiel de ce plan d’eau semble énorme. Nous partageons le camp avec 4 pêcheurs aux leurres hongrois qui sont des habitués des lieux. Ils attrapent de nombreux poissons chaque jour dont plusieurs métrés. Ils pêchent parfois à la traine pour prospecter de plus grandes étendues d’eau et si cette technique n’est pas la plus sexy, elle est un bon révélateur de la grande densité en gros poissons du plan d’eau.


Nous consacrons au total 2 journées à la prospection en barque du grand lac avec des résultats assez moyens. Toutefois, avec 5 ou 6 poissons par jour et par pêcheur et une taille moyenne autour de 80cm, il y a de quoi satisfaire largement un pêcheur aux habitudes hexagonales. Mais j’ai le sentiment, avec un peu de recul et vu les résultats de la suite de notre séjour que l’on pouvait faire mieux.

J’ai hâte de retourner sur ce magnifique plan d’eau pour y tester quelques théories qui tournent maintenant dans ma tête.
L’une d’elle serait de profiter de la bonne motorisation des barques pour changer rapidement et souvent de secteurs de prospection lorsqu’on ne déclenche pas d’attaque après un certain temps. Je sais que c’est ce que font les guides sur les très grands milieux (comme le Grand Lac des Esclaves au Canada) car ils savent par expérience que plusieurs baies successives peuvent être improductives, alors que la suivante peut permettre de prendre une dizaine de poissons.
Une autre option qu’il me tarde de tester serait de pêcher essentiellement avec des mouches de surface. Je l’ai peu fait, plus habitué à utiliser cette technique dans et à proximité des herbiers mais les quelques moments consacrés à cette option auront été finalement les plus fructueux. Il y a peu de fond, les poissons se tiennent à l’abris des regards le long des blocs de roches et un streamer qui pousse de l’eau en surface peut les faire venir de loin. Je ne suis pas près d’oublier cet énorme poisson qui, alors que mon streamer flottait immobile à moins d’un mètre de la barque pendant que je me débattais avec la commande du moteur électrique pour éviter les blocs de roche dans le vent, est venu happer mon leurre dans une explosion d’eau m’arrachant quasiment la canne des mains. Au final, ne pouvant avec une seule main, rendre de la ligne, il coupera la boucle de ma soie qui devait être déjà endommagée. Quelle violence et quel souvenir…

Les petits plans d’eau en Float Tube
Voila un domaine où nous nous sentons beaucoup plus à l’aise avec mon partenaire.
Lors des briefings matinaux avec Andreas et Jonas, nous ciblons quelques petits lacs à prospecter dans un même secteur. Notre hôte italien en connait un bon nombre dans la région et avec son acolyte suisse, ils ont testé de nombreux plans d’eau les jours qui ont précédé notre arrivée. Nous voilà partis, point Google Maps dans le téléphone et objets flottants dans le coffre.


Plusieurs fois, l’accès se fait par des petits cours d’eaux qui coupent la piste avant de rejoindre les lacs ciblés. Très vite nous ne voyons plus aucune trace humaine et avons l’impression d’être seuls au monde. En général, il y a peu de fond et l’eau est claire. Nous retrouvons notre pêche de prédilection avec des montages anti-herbes qui nous permettent de rentrer dans la végétation aquatique. Quel plaisir de voir les poissons attaquer en subsurface ou de voir une vague se former derrière nos leurres flottants, prédisant une attaque violente.
Les prises sont assez nombreuses et si la taille moyenne est plus modeste que dans le grand lac, nous prenons régulièrement des poissons de plus de 90 cm.

Même ici, très au Nord en Laponie suédoise, la pêche du brochet reste la pêche du brochet, poisson lunatique s’il en est !
Il faut savoir profiter des périodes d’activité car, par moment, nous avons l’impression que les poissons ont déserté les plans d’eau. Un jour, nous faisons bredouille successivement sur 3 petits lacs, à l’exception de 2 petits poissons décrochés. Pourtant, en ces mêmes lieux, Jonas a pris de nombreux brochets en pêchant rapidement du bord la semaine précédant notre arrivée. Il est à noter que ce jour-là, les pêcheurs aux leurres hongrois ont également des résultats bien faibles sur le grand lac.
Mais il y a toujours une solution de repli et c’est ce même jour que Jef prendra son premier métré lapon.

La pêche en Neptun Boat
C’est une péripétie de voyage qui nous amènera à tester cette option.
A la suite d’une confusion lors de la récupération des sacs à l’aéroport, mon partenaire se retrouve avec un sac rempli de vêtements et d’accessoires pour la voile. Il lui faudra 6 jours pour récupérer son bagage et son précieux matériel. Heureusement, j’ai de quoi équiper facilement 2 pêcheurs en cannes, moulinets, soies, streamers etc… mais le wader de dépannage gentiment fourni par Andréas n’est pas du tout étanche. Nous ne l’avons pas vraiment constaté lors des journées en bateau mais la première journée en Float tube aura révélé une fuite importante et le froid est difficilement supportable en fin de journée.
De ce fait, Andréas propose à Jef d’utiliser gracieusement un Neptun Boat (Ils sont normalement à louer en option) le temps de récupérer son sac et son wader.

Facile à transporter sur le toit d’une voiture, il est équipé d’un moteur électrique et une grande glacière sert d’assisse. C’est la pêche grand confort et avec une bien plus grande autonomie. Je continue pour ma part d’utiliser le petit engin flottant.

Après une matinée peu prolifique sur un premier lac, nous basculons nos embarcations sur le plan d’eau voisin alors que le vent se lève.
Est-ce le changement de météo qui déclenche l’activité ? Quoiqu’il en soit, je prends rapidement une petite dizaine de brochets de belles tailles en prospectant les bordures.
De son côté, mon partenaire n’a pas de touche. La prise au vent de son embarcation et l’impossibilité de manœuvrer le moteur électrique tout en lançant l’empêchent de prospecter le raz des berges et à priori c’est là que ça se joue.
Par contre, je découvre les joies du remorquage quand nous décidons de changer de berge et qu’il faut se déplacer de 2 bons kilomètres face au vent.

Pour notre deuxième journée en tandem Neptun/Float, Jef commence par se confectionner une ancre avec une sangle de transport et un petit bloc de roche. Cela change tout. Il peut maintenant immobiliser son embarcation à proximité des herbiers ou de la berge.
Nous sommes sur un grand lac et après avoir prospecté une rive avec peu de succès, nous profitons de la motorisation et du remorquage pour traverser ce lac tout en longueur.
Encore une fois, les indications de nos hôtes sont précieuses car nous pêchons maintenant une zone peu profonde avec des prêles. J’ai pu constater lors de mes précédents séjours en Laponie que ces herbes aquatiques sont de vrais aimants à brochets et le royaume de la pêche en surface. Dès les tous premiers lancers, mon imitation de souris se fait violement aspirer par un poisson de belle taille. Pendant les heures qui suivent, les touches se succèdent rapidement pour des actions spectaculaires et la taille moyenne des prises est vraiment élevée.


Jef est maintenant aux anges. Ayant également noué une imitation de souris au bout de sa ligne, à bord de son embarcation maintenue en place par son ancre de fortune, il enchaine lui aussi les touches spectaculaires. La position debout autorisée par le Neptun lui permet de voir les poissons arriver avant leurs attaques ce qui rend la pêche encore plus ludique.

Ce sera finalement une après-midi mémorable avec un nombre conséquent de brochets de belles tailles agrémentée de jolies perches qui succombent elles aussi aux streamers de surface. Exactement ce que nous sommes venus chercher sous ces latitudes et à cette saison !

Nous avons pu juger des qualités du Neptun mais aussi de ses limites. La qualité principale est bien sûr une autonomie beaucoup plus grande qu’avec un Float Tube, d’autant que les batteries étaient à peine utilisées au quart de leur capacité à la fin de nos sessions. Le fait de pouvoir lancer debout peut aussi être perçu comme un avantage mais permet surtout une meilleure visibilité des actions. Il faut par contre intégrer une prise au vent forte et la nécessité de s’ancrer. Il me parait enfin utopique de vouloir pêcher à deux, à la mouche, simultanément.
Nos partenaires hongrois ont lors de ce séjour prospecté un grand lac à 4 et avec 2 embarcations. Ils ont pour ce faire, pêché en alternance pendant que l’un d’eux manœuvrait le moteur électrique. Il est à noter que si vous désirez partir avec les deux Neptun, Andreas les transporte avec une remorque et revient les chercher à la fin de la journée.

Le wading en rivière
Il y a plusieurs rivières dans les environs du camp qui abritent de solides populations de brochets mais nous n’y avons pas consacré une journée pleine. 6 jours, ça passe tellement vite !
Cependant, nous avions remarqué le jour de notre arrivée un cours d’eau qui se jette dans l’immense lac à quelques kilomètres du camp. En passant sur le pont je n’avais pu m’empêcher de dire : « ici, ça pue le broc !!! ».
Nous avons donc décidé de tester du bord quelques centaines de mètres de berges sur le chemin du retour d’une journée bien difficile. Nous y trouvons des poissons actifs et Jef y capture son premier métré avec une attaque à vue qu’il n’est pas près d’oublier.

Au final, nous nous arrêtons 3 fois en fin de journée pour de courtes sessions le long de cette rivière et y trouvons toujours un peu d’activité.
Ce cours d’eau offre un linéaire assez court entre 2 lacs mais il y a d’autres rivières dans le secteur qui peuvent valoir une prospection plus longue en demandant conseil à Andréas.
La pêche en wader du bord sur de tels cours d’eau est particulièrement agréable, rappelant la pêche de la truite au streamer mais avec les attaques toujours aussi violentes des brochets et des défenses augmentées par la force du courant.



Après une semaine aussi réussie, il est difficile de quitter le camp et nos hôtes avec lesquels nous avons tissé de vrais liens. Andréas gère magnifiquement le site dans une bonne humeur permanente et nous aura régalés de quelques spécialités italiennes ou autres.
Jonas est lui d’une gentillesse incroyable, toujours disponible et trouvant des solutions à chacune de nos requêtes.
Parfois difficile, la pêche aura finalement été de très grande qualité dans un environnement grandiose et peu fréquenté.
Mais de nouvelles aventures nous attendent à une journée de voiture de là, encore plus au nord et nous sommes bien impatients de découvrir de nouveaux territoires...
